Cap'artìculu

Un débat sur la mafia

par François Alfonsi
La mafia est un mal qui ronge la Corse depuis des décennies désormais. La partie visible en est la chronique des meurtres qui endeuillent régulièrement notre société. Chaque éruption de violence révèle ainsi un volcan actif dans les soubassements de la société. En septembre, il a été décidé qu’aurait lieu une session de l’Assemblée de Corse consacrée à la lutte contre la mafia en Corse.

 

Ce volcan, pourquoi est-il si actif, et comment l’éteindre ? Comme toute machine complexe, l’organisation mafieuse repose sur plusieurs piliers. Le premier est l’argent facile, celui qui permet de perpétuer le système pour tous ceux qui en dépendent financièrement, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie. Il n’y a pas de mystère, le trépied est bien connu : trafic de drogue, racket et blanchiment. Fût un temps, ce sont les braquages à répétition qui assuraient le quotidien des organisations mafieuses. Le renforcement de la sécurité des établissements brassant du numéraire a manifestement tari cette source de revenus. La prostitution aussi a changé de nature depuis internet et le pain quotidien du gangster d’après-guerre n’a plus vraiment cours aujourd’hui. Le carburant moderne de la mafia, c’est le marché de la drogue pour le contrôle duquel on peut attribuer bien des meurtres que l’actualité égrène chaque année. Ainsi que le racket que l’on impose aux acteurs de la vie économique mis sous la pression de menaces de représailles que l’on constate à intervalles réguliers, engins de chantier brûlés ou commerces détruits. Maîtriser ces flux de revenus occultes est pour l’organisation mafieuse le B-A-BA de la continuité de son système. L’éradiquer devrait être une priorité, mais visiblement l’efficacité n’est pas au rendez-vous ! Et que dire du blanchiment qui prospère vue d’œil malgré Tracfin et autres ?

Le second pilier est la « ressource humaine », celle sur laquelle on s’assure une emprise à travers une vie souterraine qui sert de refuge aux jeunes les plus fragiles, en détresse affective, familiale ou scolaire. Ces « lieux de débauche », pour reprendre une expression vieillotte mais éloquente, pas grand-chose n’est fait pour les identifier et les neutraliser. Et n’oublions pas que la prison en fait partie.

Troisième pilier, l’accès aux moyens, notamment les armes à feu, qui en Corse circulent encore trop facilement. De la même façon que l’on peut corréler le laxisme de la politique de détention d’armes à feu avec les massacres de masse aux États Unis, il n’y a pas besoin d’être un grand statisticien pour penser qu’une diminution de la circulation des armes à feu dans l’île se traduirait mécaniquement par une diminution du nombre des meurtres.

 

Face à ces délinquances multiformes, la société oppose la répression policière et judiciaire dont l’État régalien a la compétence exclusive. Surveillances, arrestations, condamnations : quelques réseaux tombent, mais le système semble se régénérer rapidement. Pourtant les moyens pour enquêter ont techniquement évolué, depuis la révolution ADN jusqu’aux écoutes sophistiquées dont le contenu alimente des ouvrages de librairie. Mais derrière quelques succès, il y a aussi de nombreux ratés.

Ce bilan notoirement insuffisant est sous la critique de ceux qui l’attribuent à un laxisme délibéré comme l’ont fait plusieurs rapports judiciaires à la fin des années 90 qui ont pointé la priorisation donnée par l’État à la lutte contre le mouvement nationaliste. Mais trente ans se sont écoulés depuis, l’explication a fait long feu et le problème reste entier.

Car une société répressive ne suffira pas à éteindre le volcan de la mafia en Corse. C’est une société résistante qui y parviendra, en mettant au ban ses éléments les plus troubles, et en tarissant les flux basiques qui alimentent la machine, en trafic de drogue comme en soldats perdus.

Comprendre les mécanismes et agir enfin pour les démanteler, voilà l’attente qui est relayée dans l’opinion publique par tous ceux qui appellent à ce débat, notamment les collectifs citoyens créés il y a trois ans. C’est une motion déposée par Core in Fronte qui a débouché sur son inscription à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée de Corse en septembre.

L’attente est forte. •