Un nouveau seuil a été franchi

par François Alfonsi
L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe a déclenché une escalade militaire qui prend chaque jour une tournure plus dangereuse et plus lourde de conséquences pour l’Europe et le monde. Comment cela va-t-il se terminer ?

 

 

Les logiques de guerre vont toujours crescendo. À son huitième mois, le conflit ukrainien vient de franchir un nouveau seuil, et le danger devient chaque jour plus grand aux portes de l’Europe.

L’armée ukrainienne devait être rapidement balayée selon les plans russes du départ. Non seulement elle a résisté, mais elle est en phase de reconquête de son territoire. Elle développe aussi des actions secrètes de vaste ampleur comme la destruction partielle du pont de Kertch construit à grands frais pour relier la Russie et la Crimée.

Militairement, ce pont est indispensable pour ravitailler la zone de Kherson en armes et en hommes, là où se joue l’issue de la contre-offensive ukrainienne après les succès rencontrés sur le front à l’est de Kharkiv. Malgré l’ampleur de la destruction opérée, l’infrastructure a conservé une capacité de transit et elle va continuer à remplir sa fonction stratégique. Mais l’action d’éclat de l’Ukraine appelait automatiquement une réponse.

Un déluge de missiles et de roquettes a été envoyé par la Russie en représailles à ce coup d’éclat qui affaiblit politiquement Vladimir Poutine. Et, suivant la logique de l’escalade, une nouvelle donne intervient avec l’entrée en guerre du Bélarus contre l’Ukraine. Ce renfort de la Biélorussie, vassal et obligé de Moscou, était prévisible à l’heure où l’armée russe recherche de nouvelles forces à engager dans le conflit pour en renverser le cours qui, depuis cet été, lui est défavorable.

 

Les conséquences du conflit dureront longtemp.

De ces quelques éléments, on peut tirer la conclusion que les deux belligérants ont du répondant, et que donc la fin de la guerre n’est pas pour demain, aucune des deux parties ne pouvant envisager de s’avouer vaincue, ni l’Ukraine qui renoncerait alors à son indépendance, ni la Russie qui verrait s’effondrer sa stature internationale. Et dans le sillage des deux belligérants, ceux qui les soutiennent doivent admettre que les conséquences du conflit dureront longtemps pour eux aussi.

Aux premières loges, l’Union européenne. Les réfugiés y sont des millions qu’il faut héberger, nourrir, éduquer et préparer à regagner un jour leur pays. Les secours d’urgence devront donc s’inscrire dans la durée. L’approvisionnement en armes de l’armée ukrainienne devra continuer et se hisser même à un niveau supérieur. Et surtout, il faudra faire face à la crise énergétique consécutive à l’arrêt des fournitures de gaz par la Russie.

La destruction, sur les fonds marins de la Mer Baltique, des gazoducs NordStream1 et NordStream2 qui relient directement la Russie à l’Allemagne, crée à cet égard une situation définitive de pénurie dès cet hiver, et plus encore lors des hivers à venir.

Avant la pénurie était à craindre ; désormais, elle est certaine.

Tant que ces deux gazoducs étaient là, la Russie pouvait faire pression et obtenir, de l’Allemagne notamment, quelques concessions. D’ailleurs NordStream1 a été en service durant tous ces derniers mois ce qui a permis de remplir les réserves souterraines allemandes. Beaucoup soupçonnent l’Ukraine d’être à l’origine de cet attentat qui rend les choses désormais irréversibles entre l’Europe et la Russie.

Or, cette pénurie de gaz sera subie de façon très différente selon les pays d’Europe. Il en résulte des fractures d’intérêt au sein de l’Union. Les sommets se succèdent qui n’arrivent pas à dégager un consensus sur le plafonnement du prix du gaz, et donc celui de l’électricité. Ils montrent la difficulté rencontrée. D’un côté les moins dépendants veulent s’entendre pour « plafonner » les prix, quitte à faire face à une éventuelle pénurie si le marché mondial les faisait évoluer à la hausse. De l’autre côté les plus dépendants veulent pouvoir acheter le gaz disponible « coûte que coûte » pour ne pas bloquer leur industrie, et ils en ont les moyens comme par exemple l’Allemagne. Mais ce comportement particulier fragilise la solidarité européenne dans le bras de fer avec les fournisseurs.

En entrant dans l’hiver, le conflit ukrainien va plus que jamais conditionner les équilibres politiques à venir. Pour l’Europe, la seule sortie efficace possible est de mener sa transition énergétique au galop. Sinon, Vladimir Poutine pourra la menacer et la contraindre économiquement. •