30 ans d’Air Corsica

Un symbole de la Corse qui va de l’avant

Voilà trente ans que l’Assemblée de Corse créait la « Compagnie Corse Méditerranée ». Aujourd’hui, la compagnie est, avec presque 700 emplois, le plus grand employeur de l’île, à égalité avec EDF ! Son parcours résume trois décennies d’Histoire de la Corse, depuis les premières années du « statut particulier » qui avait créé l’Assemblée de Corse jusqu’à aujourd’hui.

Première « petite histoire » significative, celle de son nom. Au moment de sa conception, lors des débats qui ont précédé la création de la Société d’Economie Mixte « CCM » le 4 septembre 1989, son promoteur Philippe Ceccaldi a avancé son projet en milieu hostile, entre réticences et scepticisme forcené. Professionnel du secteur aéronautique, il a bien sûr en tête le nom d’Air Corsica par analogie avec Air France, mais il doit y renoncer car cela hérisse ceux qui y voient une affirmation politique trop marquée. Il faudra attendre 2011, plus de vingt ans, pour que Air Corsica remplace enfin l’acronyme anonyme CCM et s’impose comme une évidence dans le ciel de Corse. Deux décennies qui en disent beaucoup sur la lente, mais irréversible, évolution des esprits dans l’île.
L’autre « petite histoire » significative des premiers pas de la « CCM » est celle de la majorité qui l’a portée aux fonts baptismaux. Elle était composite, formée d’élus venant des différents bancs de l’Assemblée, une partie de la droite autour de Philippe Ceccaldi, une partie de la gauche avec Paul Giacobbi, et les nationalistes, alors scindés entre UPC, dont le Président de groupe était le regretté Andrìa Fazi, et Cuncolta Naziunalista.
Le débat parmi la droite était en gros celui de la confiance en la Corse et en sa capacité à assumer un tel projet. Les opposants s’en remettaient à Air France car à leurs yeux seule la France pouvait avoir l’ambition d’une compagnie aérienne. Ce projet hissait l’Assemblée de Corse bien au delà du simple statut de « collectivité locale ». Pour nombre d’entre eux, c’était tout bonnement impensable.
Le débat parmi la gauche était plus idéologique. Pour les communistes, alors nombreux parmi l’opposition, créer une compagnie corse était vouer les salariés à subir un « patron corse » suspect par définition. Et c’était contester Air France, bastion syndical, dont les responsables rejetaient le projet pour préserver leur pré carré. A leurs côtés une partie des « radicaux de gauche », autour de Nicolas Alfonsi et Emile Zuccarelli, marquée par l’esprit « Corse Française et Républicaine » qui est encore très fort à la fin des années 80, voit dans la création d’une compagnie aérienne corse un projet crypto-nationaliste, et ils le diabolisent par préjugé politique.
Chez les nationalistes, entraînés par Andrìa Fazi qui s’était passionné d’emblée pour le projet, les réticences étaient fortes, surtout parmi les plus radicaux encore arrimés aux principes de la « Lutte de Libération Nationale » d’un FLNC alors en pleine activité. Les contre-arguments se sont exprimés : confier la réalisation d’un tel projet à une « assemblée claniste » reviendrait à faire un cadeau à nos adversaires, seule une « Corse libérée » pourrait valablement en prendre l’initiative, etc… Fort heureusement ces arguments à la rhétorique « révolutionnaire » ont rapidement été écartés au profit d’un soutien au projet.
L’assemblage hétéroclite d’une partie de la droite, d’une partie de la gauche et des nationalistes a fini par former une majorité suffisante, au bout de la troisième tentative, après deux échecs que Philippe Ceccaldi a rappelé quand il s’est exprimé, avec émotion, devant les centaines de personnes venues fêter le trentième anniversaire de la création de la compagnie, mercredi 4 septembre 2019, à Coti-Chiavari.
Aujourd’hui Air Corsica est rentré dans la « normalité » de la Corse. Les pionniers sont retraités, et leur ont succédé des centaines de jeunes Corses pour qui les métiers de l’aéronautique sont désormais une route professionnelle valorisante qui leur permet de vivre et travailler en Corse. Les premiers pilotes et cadres techniques étaient presque tous venus du continent. Aujourd’hui des jeunes Corses se sont formés et occupent naturellement la majorité des postes.
La réussite d’Air Corsica est devenue la réussite de la Corse qui entreprend. Jeune élu ayant pris la suite d’Andrìa Fazi malheureusement décédé en 1989, l’année même de la création officielle de la compagnie, j’en ai accompagné les premiers pas comme administrateur. Ca a été une belle aventure, avec bien des obstacles à franchir, et la démonstration par l’exemple que le peuple corse peut avancer avec confiance vers des projets complexes et audacieux.
Je ne suis pas sûr que la même audace soit aujourd’hui aussi présente, malgré les avancées institutionnelles, malgré les évolutions politiques. Il faut la réveiller !

François Alfonsi.