par François Alfonsi
À partir de quand le « droit à la différence » devient-il une revendication « séparatiste » ? À partir de quel niveau de remise en cause de l’ordre établi un citoyen tomberait sous le coup de cette loi pondue par le gouvernement au nom de la lutte contre l’islamisme radical ? Cette nouvelle loi ne fera en fait que renforcer la dérive autoritaire de l’État.
Quelles qu’aient été les contorsions ministérielles pour affirmer qu’il n’y avait rien à craindre pour nos libertés de ce texte âprement débattu à l’Assemblée Nationale, il est clair que rien de tout cela n’est convaincant.
Omniprésent dans les débats, le mot « séparatisme » ne figure pas dans la loi, pas plus que le mot « islamisme ». Sémantiquement on parle désormais d’une loi « confortant les principes républicains ». Ce qui n’est pas vraiment rassurant !
Car une loi est censée s’appliquer à tous et réprimer de la même manière tous ceux qui affaibliraient les « principes républicains ». Quand on connaît les dérives potentielles des « républicains à la française » qui pullulent au sommet de l’État, on ne peut qu’être inquiets pour la suite.
Il y a un précédent que l’on connaît bien, celui de l’article 2 de la constitution sur le « français, langue de la République ». Son adoption en 1992 avait fait l’objet de longs débats expliquant que ce qui était visé par le texte était la langue invasive, l’anglais, et non les langues régionales, toutes en régression. Le résultat a été tout autre, l’anglais n’a pas reculé d’un pouce, par contre l’article 2 de la Constitution a été régulièrement opposé aux tenants des langues régionales pour refuser leurs demandes.
Concrètement quels sont les craintes que l’on peut nourrir avec cette loi destinée à « conforter les principes républicains » ? Un club sportif taxé d’anti-français, une association assurant l’enseignement de la langue en immersion pour l’émanciper de la domination du français dans l’espace public, ou un hebdomadaire nationaliste corse comme Arritti, seront de facto placés sur le même plan qu’un lieu de culte accaparé par les courants religieux islamistes les plus extrêmes. Première conséquence pratique énoncée par le texte de loi : toute subvention à de telles associations devient alors hors la loi, et c’est le Préfet qui en décide Autant dire que nous serons nombreux sous la menace !
« Tous les séparatismes sont ciblés » affirme le préambule de la loi : comment penser que le « séparatisme corse » ne sera pas un jour dans le collimateur au gré de l’appréciation d’un Etat dont on a connu les dérives répressives par le passé, et que l’on vérifie encore aujourd’hui dans le dossier d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri ?
On est en fait certains du contraire. L’acharnement anti-langues régionales d’un Jean Michel Blanquer, la déclaration d’Eric Dupont-Moretti sur le FIJAIT, le fichier terroriste appliqué indifféremment aux militants corses et aux islamistes, le rejet d’un dialogue avec la majorité nationaliste de la Collectivité de Corse à tous les étages de l’État, du local au Palais Lantivy, jusqu’au sommet, dans les salons de l’Élysée, sont autant de signaux d’alerte sur l’usage qui pourra être fait demain du nouvel arsenal juridique répressif que cette loi installe.
Les débats sur les bancs de l’Assemblée ne viennent pas atténuer nos craintes. Le grand argument de la France Insoumise par exemple est d’en appeler à la fin des lois spécifiques sur le culte d’Alsace et de Moselle au nom des « principes républicains » qu’il faut conforter. On comprend bien qu’il s’agit de couper toutes les têtes qui dépassent et que l’extrémisme républicain sera constamment sur le pied de guerre au nom de sa conception uniformisatrice de l’État.
Dans le contexte des attentats terroristes islamistes, réactivé récemment encore par l’assassinat du professeur de Conflans Sainte Honorine à la sortie de son collège, les interventions pour dénoncer les dangers de cette loi sont rares. Les députés corses s’y sont consacrés, mais le fait majoritaire s’imposera et balaiera leurs objections. Cette loi passera, et la démocratie corse s’en trouvera aussitôt atteinte.
En fait, l’État français est en train de se doter d’un arsenal juridique à l’espagnole, qu’il utilisera à sa guise le jour venu, le « confortement des principes républicains » n’étant qu’une novlangue pour désigner des délits assimilables à ceux de sédition et de rébellion tels que la justice espagnole les a appliqués aux dirigeants démocratiques du mouvement indépendantiste catalans en les condamnant à treize années de prison. •