Législatives

Une élection à haut risque

Par François Alfonsi

 

La tourmente qui a suivi la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron crée une situation sans précédent. Chacun est obligé de s’organiser dans la précipitation, et la durée brévissime de cette campagne législative ne permet guère le débat démocratique. Dans ces conditions, maintenir ses positions serait déjà une belle victoire !

 

Le seul mouvement qui sort renforcé de cet épisode est sans conteste le Rassemblement national. Le temps court imposé lui fait espérer que sa dynamique lors de la toute récente élection européenne lui permettra de continuer sa progression dans l’opinion française, jusqu’à lui ouvrir les portes du gouvernement ; et en Corse, même quand ses candidats sont sans aucune expérience ni notoriété, ils pèseront plus lourd qu’en 2022.

Entre 2019 et 2024, la progression du RN en France a été de 8 %, et en Corse de 12 %. Cette performance ne sera pas rééditée dans deux semaines, mais il en restera forcément quelque chose au fond des urnes législatives. En 2022, les candidats corses du FN avaient déjà atteint ou dépassé les 12 % dans les quatre circonscriptions. Ils vont probablement progresser encore, même s’ils ne retrouveront pas le score de 40 % réalisé dimanche dernier.

 

Sur la première circonscription de Corse du Sud, Romain Colonna avait recueilli 17,5 % des voix au premier tour en 2022, l’emportant au premier tour sur le candidat soutenu par le PNC et Corsica Lìbera. Il lui faudra rééditer et même améliorer ce score, malgré les candidatures nationalistes concurrentes du PNC et de Core in Fronte, pour être sûr de rester hors de portée de la vague Bardella/Le Pen et atteindre le second tour. Ensuite, l’élection sera encore plus ouverte qu’il y a deux ans.

Dans l’autre circonscription de Corse du Sud, le candidat RN François Filoni, le plus connu du lot, réussira-t-il à surperformer ? Valérie Bozzi, deuxième de Paul André Colombani en 2022 avec 27,6 %, n’est peut-être pas hors de portée. Mais le second tour devrait être favorable à Paul André Colombani, qu’il soit opposé à Valérie Bozzi ou à François Filoni.

Dans les deux autres circonscriptions, l’objectif est de réélire les députés sortants nationalistes, Michel Castellani et Jean Félix Acquaviva. En 2022, cela avait été une formalité pour Michel Castellani. Il ne semble pas très menacé à nouveau en 2024 et il part comme grand favori. L’émergence du courant identitaire xénophobe Mossa Palatina et de son candidat Nicolas Battini qui se présente à Bastia est une inconnue du scrutin. Son parti de rattachement parisien, Reconquête ! de Marion Maréchal et Éric Zemmour, n’a pas connu le même succès que le Rassemblement national. Et passer de l’ivresse des réseaux sociaux aux réalités du terrain électoral est une autre paire de manches !

Jean Félix Acquaviva avait été sérieusement accroché en 2022 par le candidat Les Républicains François-Xavier Ciccoli. L’écart avait été infime au second tour.

 

Mais le contexte de 2024 est différent. Candidat également, Lionel Mortini avait fait une grosse campagne et rassemblé plus de 18 % de voix nationalistes au premier tour. Leur report a ensuite en grande partie manqué au candidat de Femu a Corsica. Cette fois, Lionel Mortini ne sera pas présent.

Quant à François-Xavier Ciccoli, comme tous les LR de France, il est prévu qu’il puisse faire alliance avec le RN une fois élu, ce qui change considérablement la perception de sa trajectoire politique. Sa campagne localiste de 2022 lui avait assuré un certain succès. En 2024, l’ombre du RN est une hypothèque lourde, et, surtout, son opposition, et celle de ses amis à Paris, au processus d’autonomie de la Corse va l’obliger à affronter le débat politique de fond sur l’île.

Ce sera donc une tout autre élection et Jean Félix Acquaviva a de très sérieuses chances de l’emporter une nouvelle fois. Les jeux se feront au premier tour, et les votes progressistes devront se concentrer sur sa candidature. Toute déperdition serait néfaste.

 

Cette échéance électorale inattendue rebat les cartes au niveau national. Emmanuel Macron a pris le risque délibéré de mettre en difficulté ses propres députés, et d’offrir un tremplin au parti de Mme Le Pen qui aura très probablement plus de 89 députés dans la prochaine Assemblée. Les Républicains, eux aussi hostiles au processus de Beauvau, vont très certainement faire les frais de la progression de l’extrême-droite, ce qui atténuera l’effet négatif de la progression RN sur le processus devant mener à l’autonomie de la Corse.

La gauche a réagi à la dissolution en concluant une alliance express au prix de grincements sévères dans ses rangs. Mais sa dynamique semble bien partie pour améliorer son score. Et pour la Corse, le rapprochement des composantes jusqu’ici rivales peut créer les conditions d’une meilleure adhésion au projet d’autonomie pour la Corse.

Dans deux semaines, chacun fera ses comptes. On saura alors si le processus de Beauvau pourra être mis en œuvre avec succès.

La Corse, elle, doit en préalable confirmer sa volonté pour une réforme constitutionnelle. Le meilleur moyen d’y parvenir serait d’avoir quatre parlementaires nationalistes à Paris ! •