La session de l’Assemblée de Corse du 8 mars était destinée à faire « remonter » une position corse sur la révision constitutionnelle lancée par le chef de l’Etat. Pour élargir cette position au-delà des élus nationalistes, il a été difficile de trouver le « point de compromis », même si, in fine, le groupe « andà per dumane » de Jean Charles Orsucci et Pierre Ghionga ont voté pour la même démarche que celle portée par l’Exécutif. La tractation finale commence avec l’Etat.
Le débat entre article 74 –la préférence des nationalistes car à même d’ouvrir plus rapidement la porte à une autonomie- et article 72 – le cadre que l’Etat privilégie car il maintient la Corse dans un droit commun plus ou moins différencié- a duré des heures. L’accord s’est fait sur la demande d’un article nouveau de la Constitution, sans autre précision pour les élus nationalistes largement majoritaires, par la création d’un article 72-5 pour le groupe Orsucci.
Viendra ensuite la réponse d’Emmanuel Macron qui fera sa proposition de réforme constitutionnelle, sur laquelle, notamment, les trois députés nationalistes corses vont devoir voter, d’abord à l’Assemblée Nationale, puis lors du Congrès de Versailles. Voilà pour l’aspect juridique proprement dit.
Pour l’aspect politique, il faut inscrire cette session dans une perspective plus large, avec le recul nécessaire, et en ayant aussi à l’esprit les évolutions qui seront nécessaires à l’avenir.
La demande d’inscription de la Corse dans la Constitution est issue des travaux de la Commission Chaubon sous la mandature de Paul Giacobbi. Une large majorité, dont les nationalistes, l’avaient votée, et elle avait la forme d’un article 72-5. François Hollande n’avait jamais repris cette proposition à son compte. Tout juste s’est-il expliqué, au moment de son discours d’adieu devant l’Assemblée de Corse, quelques semaines avant le changement de Président de la République, en avançant qu’il n’avait pu mener aucune réforme constitutionnelle faute de majorité qualifiée.
Emmanuel Macron entend réformer la Constitution durant son mandat, dès l’année 2018. Jusqu’au 10 décembre 2017, et les 56,5% des voix obtenus par la liste Pè a Corsica, l’inscription de la Corse dans la Constitution ne figurait pas dans ses projets. Mais le succès nationaliste aux élections a été tel que ne pas accéder à cette demande de la Corse ne pouvait plus dès lors être considéré comme une option démocratique. La puissance du résultat électoral corse a ainsi forcé la porte de la réforme constitutionnelle.
L’annonce de ce revirement a été entourée de moult précautions pour rassurer la France jacobine, de Jean Pierre Chevènement à Gérard Larcher, le Président du Sénat qui exprime les contre-positions de la droite à Paris. Compte tenu de ce faisceau de contraintes, il est clair que l’inscription d’un article 72-5 sera la seule issue probable, et non garantie car les forces contraires ne font que commencer leur campagne.
On va donc au-devant d’un dilemme que l’on connaît bien. Fallait-il accepter le statut particulier de François Mitterrand, ou dénoncer « a tràppula » d’un faux-semblant ? Fallait-il se réjouir du statut Joxe 1992, du processus Jospin de 2002 ? Fallait-il voter « oui » au referendum Sarkozy de 2003 ?
Faudra-t-il que nos députés votent en faveur de la Réforme constitutionnelle sur la base d’un simple article 72-5, ou bien devront-ils dénoncer par leur vote une réforme insuffisante ?
La Corse n’est pas seule à connaître de tels débats. On observe des dilemmes bien plus spectaculaires dans la situation catalane, dont la lecture de l’interview d’Oriol Junqueras dans la presse, largement reproduite ici, donne toute la mesure. Comme il l’exprime : il faut éviter la stratégie du « c’est mieux quand c’est pire ». Pas de réforme constitutionnelle ce serait « pire » qu’une réforme, même limitée et frustrante.
Car la perspective qui doit s’ouvrir est celle du peuple corse et de ses droits. L’existence du Peuple Corse a été affirmée pour la première fois par l’Assemblée de Corse en 1988. Elle vient d’être réaffirmée en 2018.
La Constitution avait alors bloqué le vote de l’Assemblée Nationale et du Sénat qui l’avaient validé dans le projet de statut de 1991. « Une censure juridique dont il convient de rappeler qu’elle ne remet pas en cause la reconnaissance politique exprimée alors », souligne le rapport du Conseil Exécutif soumis jeudi dernier à l’Assemblée de Corse. La réforme constitutionnelle actuelle, si elle est finalement confirmée, ne sera qu’une étape vers cette réforme politique fondamentale pour l’avenir du peuple corse, celle qui l’inscrira enfin comme composante autonome de l’Europe en construction.
François Alfonsi.