La politique peut provoquer des ruptures qui jalonnent les grandes dates de l’Histoire. Les révolutions du 18ème siècle, aux Etats-Unis comme en France, et même en Corse, ont établi la démocratie par le vote des peuples. Les années 1950 ont mis fin aux entreprises coloniales des grandes puissances européennes, sur le continent africain, au Moyen Orient comme aux Indes. En 1989, la chute du mur de Berlin entraîna l’effondrement définitif du système communiste totalitaire. 2019 sera-t-il le début de la fin pour le système productiviste qui épuise la planète ?
A en croire les scientifiques il est peut-être déjà trop tard. Le réchauffement climatique est en train de s’opérer sous nos yeux et il est plus rapide et plus impactant que ce que les prévisions que le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat, le GIEC, avaient annoncées en 1990, date de leur premier rapport. Le cinquième rapport publié en 2014 n’a fait que confirmer, en s’appuyant sur de nouvelles expertises, le scénario haut de l’impact du réchauffement climatique. Le sixième rapport est prévu pour 2022, et les travaux en cours ne font que renforcer le besoin d’alerter sur l’urgence d’un changement de cap radical pour éviter que le pire des scénarios ne devienne réalité à la fin de ce siècle.
Le GIEC a permis d’enclencher, à chacun de ses rapports, des évolutions politiques majeures. Le premier rapport, publié en 1990, a été à l’origine du sommet de la Terre de Rio de Janeiro, qui a fait connaître au monde entier l’existence même du phénomène. Le second rapport, publié en 1995, a servi de base au protocole de Kyoto, premier document international contraignant inaugurant la lutte contre le réchauffement climatique à l’échelle mondiale. Puis les rapports se sont succédé jusqu’au cinquième publié en 2014, un an avant le sommet qui adopta l’Accord de Paris sur le Climat signé et ratifié en un temps record. Mais ses objectifs ont été rapidement jugés insuffisants (limitation à + 3°C du réchauffement de la planète), et ses mécanismes de contrôle bien trop faibles pour s’assurer que les Etats signataires honorent effectivement leurs engagements.
L’élection de Donald Trump a alors fait craindre que le combat pour le climat ne soit définitivement compromis, les Etats Unis se retirant de l’accord de Paris, rejoignant le Canada voisin qui avait pris la décision de développer l’exploitation des sables bitumineux pour produire du pétrole, décision désastreuse en termes d’émission de gaz à effet de serre puisqu’il faut brûler un baril de pétrole pour en produire deux à mettre sur le marché.
Le discours climato-sceptique a alors eu le vent en poupe, et les scientifiques peinaient chaque jour davantage à se faire entendre. L’élection de Jair Bolsonaro au Brésil a renforcé les difficultés des défenseurs du climat, tandis que les logiques économiques de la mondialisation en cours tirent mécaniquement tous les scénarios vers les hypothèses les plus inquiétantes.
Puis vint Greta Thunberg.
En quelques mois la jeune collégienne suédoise est devenu l’égérie d’une vague de contestation mondiale qui met les plus réticents des chefs d’Etat en situation difficile. Imaginer qu’elle occupe la tribune de l’ONU et que Donald Trump, celui-là même qui a retiré en catimini tout financement des USA au GIEC, s’est senti obligé de venir essuyer une salve de reproches reproduits dans les medias du monde entier est tout simplement incroyable.
« Comment osez-vous ? » leur a-t-elle lancé, et ils restent sans voix, bredouillant leurs engagements pour ceux qui les ont signés mais qui les respectent si peu, ravalant leurs tweets pour ceux qui méprisent le GIEC, le scientifiques, et tout les auteurs des alertes climatiques qui remettent en cause leurs dogmes productivistes.
Le scénario est presque incroyable, mais il se déroule sous nos yeux : la colère exprimée à la face du monde par une enfant qui s’indigne de l’avenir qu’on lui prépare par l’inaction et le déni fait se lever des masses impressionnantes de manifestants sur les cinq continents. Une vague monte venue du monde entier. Les scientifiques du GIEC retrouvent grâce à elle une force nouvelle. Une chose est désormais certaine : aucun dirigeant ne pourra plus continuer à les ignorer sans en payer le prix fort. Ce qui pourrait bien changer la donne. Enfin ! Et en espérant qu’il n’est pas trop tard.
François Alfonsi.