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Matignon et la bataille de la langue

Max Simeoni
Max Simeoni
De 1999 à 2002, le processus de Matignon se mène difficilement. Débat dans le débat, la question de l’enseignement généralisé de la langue corse… Le 13 avril 2001, Max Simeoni signe un éditorial dans Arritti en forme de réquisitoire contre le jacobinisme. 20 ans plus tard, sa plaidoirie reste d’actualité : la coofficialité doit finir par s’imposer.

 

Matignon et la bataille de la langue

par Max Simeoni

 

L’action se déplace sur le Parlement français, prochaine étape attendue pour savoir si le projet Matignon sera un début de l’évolution des rapports Corse-France ou l’offre d’une bouillie de chat. L’enjeu de la langue corse est pourtant clair.

Le « facultatif » que les jacobins au nom de la liberté et des principes républicains opposent à « l’obligatoire » est en réalité une grave atteinte à la vérité scientifique et aux principes universels.

La science linguistique nous apprend que lorsque deux langues sont utilisées sur un même territoire, la facultative est condamnée à terme. Pour qu’une langue vive sans péricliter, elle doit occuper de ce fait tout le champ de l’activité humaine sur son territoire, et pour cela, de nos jours, elle doit être officielle. Elle doit être parlée et écrite dans tous les actes de la vie sociale, administrative et économique et dans l’enseignement non seulement langue enseignée, mais langue d’enseignement. Le locuteur doit pouvoir assurer toute sa dimension humaine et sa promotion sociale dans cette langue autant que dans l’autre. Bien plus, dans cette coexistence, la langue qui a vocation internationale aura toujours un avantage et il faudra à chaque instant compenser le handicap relatif de la langue purement locale.

La langue catalane, pourtant vigoureuse et usitée par des millions de catalanophones, a ce problème par rapport à la langue espagnole. Les Catalans y veillent. Ainsi les jacobins, quelques-uns par ignorance, la plupart par mauvaise foi et cynisme, font mine d’ignorer ce drame de la diglossie. Sans exagération, ils sont coupables de crime contre l’humanité. En tuant la langue et la culture d’un peuple, ils bafouent les droits individuels des membres de ce peuple et les principes universels. Malgré leurs arguties, ils n’admettent pas ces valeurs universelles et ils veulent aliéner les esprits, les assujettir, les soumettre à la culture des plus forts par une hégémonie totalitaire. Leur stratégie est oblique. Ils cherchent (et réussissent hélas !) à convaincre leurs victimes qu’ils n’y sont pour rien, que c’est inévitable ou que l’enjeu n’en vaut pas la chandelle…

S’ils s’insurgent contre la suprématie de l’anglais, c’est au nom de quoi si ce n’est contre la loi du plus fort et pour conserver leur droit à leur culture, ce qui n’est que simple justice. Pourquoi alors nous appliquent-ils la loi de la force ?

Les arguments avancés mine de rien rendent compte de cette hypocrisie. « N’est-ce pas perdre son temps ?… ne vaut-il pas mieux bien apprendre aux enfants le français et l’anglais ?… ce sera plus utile !… », etc. Ils sont sourds quand les linguistes leur expliquent que les langues c’est d’abord des sons, des phonèmes entendus au berceau, que leur apprentissage est plus aisé dans la toute première enfance, plus difficile après 10 ans, que les enfants bilingues maîtrisent mieux les deux langues que les enfants monolingues la leur. Avant, ils disaient que la connaissance du corse était un handicap pour parler bien le français, le seul d’ailleurs qui assurait en fait la promotion des individus. Nos parents ont cru ces mensonges. Or la gymnastique à deux échelles de référence linguistique augmente plutôt la capacité des enfants aussi dans toutes les autres matières.

Il y a une 3e considération que le jacobin se garde de dire : le coût. Il faut former des maîtres, dégager des postes, des moyens budgétaires. Ils veulent garder cet argent. Soit ! Mais alors qu’ils nous laissent faire notre propre effort, notre devoir de Corse et d’abord qu’ils reconnaissent notre droit universel à notre langue, qu’ils nous laissent entière compétence et nous saurons faire nos choix budgétaires.

Ce qu’on demande aujourd’hui dans le cadre du projet Matignon est bien peu de choses : l’enseignement généralisé du corse sauf pour ceux qui le refusent. Le système jacobin a asphyxié notre langue en décorsisant les mères corsophones un peu plus à chaque génération au point que la langue est absente autour de la plupart des berceaux. Elle n’est plus une langue maternelle. Elle est devenue une langue de plus en plus confidentielle, sans valeur sociale reconnue, affective pour les derniers locuteurs, et facultative dans l’enseignement officiel qui la tolère à son corps défendant.

Pour combler ce hiatus mortel au niveau des berceaux, il nous faut le relais d’un enseignement généralisé et efficace capable de fabriquer à nouveau génération après génération des parents naturellement corsophones. Elle doit redevenir une langue maternelle pour arriver à être de nouveau la langue nationale du peuple corse.

Certains diront que malgré tout, elle ne peut plus être sauvée. C’est une chose qu’elle meurt d’une mort naturelle, c’est tout autre chose que de l’achever en l’étouffant dans son lit de souffrances avec un coussin sur la tête.

Exagérons-nous nos demandes pour Matignon ? Face à cette terrible réalité, elles sont minimales, insuffisantes. Il faudra bien d’autres mesures pour lui donner un statut de langue « territoriale » corse. Les jacobins ne veulent pas nous donner des droits issus de la loi. Ils préfèrent traiter nos demandes par l’administratif seulement ce qui permet de manipuler en faisant semblant de répondre à la poussée quand elle est trop forte et de créer en même temps les conditions du sabotage sournois en jouant sur les budgets, les postes, les horaires dissuasifs pour étouffer lentement la poussée. Ils épuisent nos défenses dans des combats vains.

C’est un droit universel à part entière, il ne doit avoir aucune restriction, les entraves doivent sauter, les moyens doivent suivre, la coofficialité finir par être la règle. Tout le reste n’est que duplicité et hypocrisie. •