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Pour en sortir, d’abord réfléchir

Max Simeoni
Max Simeoni
À travers cette réflexion de Max Simeoni, rédigée au mois de mai 1991, après le rejet par le Conseil constitutionnel de la notion de « peuple corse » dans la loi Joxe, défile toute l’histoire du combat nationaliste contemporain face à la contradictoire permanente de l’État jacobin. Le combat continue, il est fait de pas l’un après l’autre et de l’intelligence d’opter pour des réactions et des moyens de lutte qui nous permettent de les accélérer, pas de les freiner.

 

Pour en sortir, d’abord réfléchir

par Max Simeoni

 

 

Le Conseil d’État en refusant avec l’article 1er tout ce qui représente de près ou de loin un potentiel d’évolution vers l’autonomie, a confirmé l’impasse. Ce refus présente des aspects différents.

L’article 1er et l’ensemble de la loi entérinée telle quelle par ses soins n’aurait pas suffi. Il aurait pu faire croire à une certaine évolution positive, à une approche par étapes successives plus ou moins rapprochées vers la solution. La Corse aurait pu passer de la contestation à la construction de son avenir. Ce coup d’arrêt est une régression perçue comme une provocation ou ce qui n’est guère mieux comme un impossible dialogue avec l’État jacobin.

Le verre est donc à moitié vide, et comment est-il à moitié plein ?

 

L’avancée est réelle : les politiques précèdent toujours les juristes. L’Assemblée a voté l’article 1er et la loi Joxe. Le refus juridictionnel renvoie la solution, mais à combien de temps ? Qui peut dire si ce sera long ou court ? Cela dépendra de nombreux facteurs donc certains comme les dispositions du pouvoir du moment ou les circonstances générales ne sont pas prévisibles et qui peuvent être favorables ou non. Ce qui est notre sujet et notre préoccupation est la prise de conscience et sa fermeté en Corse même car il s’agit bien de l’élément essentiel du levier d’une évolution positive.

Sans être juriste, la modification de la Constitution paraît obligatoire désormais pour sortir de l’impasse après cet arrêt. Elle peut se faire par la réunion des deux assemblées délibérant ensemble, le Sénat conservateur par nature, ou par référendum, ce dernier pourrait être utilisé en temps utile.

La construction européenne va exercer une pression sur l’État jacobin. Elle fera éclater ses contradictions et l’amènera à se transformer.

Notre réflexion est cadrée par un impératif à double détente : quelle est la meilleure stratégie qui permette une prise de conscience tranquille et ferme du plus grand nombre de Corses de l’île ou de l’extérieur et qui entraîne les forces de progrès hexagonales vers la reconnaissance du peuple corse et un statut d’autonomie ?

On peut choisir a contrario la prise de conscience dans l’isolement, en négligeant tout relais « continental ». La crédibilité d’une telle position ne serait-elle pas aléatoire face aux efforts et au prix à payer par cet isolement ? Tel pourrait être le schéma maximaliste de la LLN avec lutte armée et FLNC prépondérant s’engageant dans le cycle répression-violence dont la spirale cesse avec la rupture supposée victorieuse.

 

Ce schéma, il faut le reconnaître, ne peut pas être admis par une majorité de Corses, même si on exclut les intégristes intégrationnistes français, « ceux du droit à la ressemblance », tous ceux qui se sont réjouis bruyamment après l’arrêt du Conseil constitutionnel. Il faut avoir présent en esprit que le peuple « soudé » s’était montré favorable à la notion de Peuple corse.

L’Europe sans frontières si proche, l’ensemble de toutes les luttes même les plus contradictoires de tous les « nationalistes » depuis 30 ans, les gouvernements de gauche depuis 81, les courants progressistes en Corse et sur le Continent, tout y a contribué.

On peut discuter sans fin pour prétendre que tel ou tel facteur a été plus important que tel ou tel autre qui a freiné ou accéléré. On ne peut refaire l’Histoire. Il faut prendre les choses telles qu’elles sont aujourd’hui.

Le projet Joxe voté puis annulé, qu’il soit l’expression d’un machiavélisme comme certains l’ont pensé sous l’emprise du choc de la déception, ou celle d’une contradiction désormais au sein de l’ensemble français entre forces politiques progressistes et juridisme conservateur, ce projet et son rejet mesurent le rapport des forces politiques entre le camp conservateur et le camp progressiste au-delà des partis politiques en Corse comme en France continentale.

Dans l’action projetée il faut tenir donc compte des données insulaires, continentales, et… européennes. L’initiative prise par le Partito Sardo d’Azione à l’Assemblée sarde (la Giunta) et au Parlement de Rome, comme la réaction claniste MRG et autre est significative.

Elle fait davantage que préfigurer le rapport dialectique antagoniste entre l’Europe et la logique des États du passé et celle de l’Europe de l’avenir de ses peuples. Le rapport des forces est dans ce domaine aussi de nature conservateurs contre progressistes.

 

Le peuple corse ne peut plus perdre. La responsabilité politique devient les choix des moyens adéquats de ce qui peut faire avancer plus vite et ceux qui peuvent faire stagner ou retarder.

Je vois pour ma part trois impératifs qui s’emboîtent comme des poupées russes : regrouper les forces nationalistes au mieux, puis les regrouper avec les courants progressistes hexagonaux et européens sous l’œil inquiet des Corses qu’il nous reste à convaincre. Un regroupement démocratique aurait valeur de symbole de force et d’exemple pour la confiance du peuple corse à gagner comme pour celle du peuple corse en lui-même. •