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Tout se tient, mais si des Corses…

Max Simeoni
Max Simeoni
Cet éditorial de notre fondateur Max Simeoni, rédigé en janvier 2017, semble l’avoir été cette semaine… Par ses enseignements, il est encore là parmi nous. Tâchons de l’entendre.

 

Tout se tient, mais si des Corses…

par Max Simeoni

 

Il y a 60 ans on parlait corse à la maison, dans la rue, dans la vie publique, à la récréation… Les enseignants cherchaient à imposer le français et faire oublier la langue corse, aidés par les parents persuadés que l’usage du « patois » nuisait à la maîtrise du français, la « vraie » langue capable d’apporter la connaissance, l’instruction, et d’assurer une promotion sociale. Sans aucun droit, fustigée, elle était vouée à devenir obsolète, ce qu’elle est devenue en deux ou trois générations.

 

Pendant un siècle après Ponte Novu, les Corses ignoraient le français. Ils n’en avaient guère besoin pour continuer de vivre chez eux dans leur économie agropastorale et artisanale. Pour leur échange avec l’administration, il y avait toujours un « lettré » dans la famille ou chez les amis pour les aider. Avec l’école primaire obligatoire, en français bien sûr, avec les guerres de 70, l’expansion coloniale, les carrières militaires ou dans la fonction publique, ont été un débouché « facile » pour les fils de familles nombreuses de la Corse rurale. Le repli sur les villages et le retour aux productions à l’ancienne a été une nécessité de survie pendant la guerre de 40. Les anciens initiaient les plus jeunes en langue corse.

Après la victoire des alliés, avec la « reconstruction » et le plan Marshall, la désertification a été massive. La Castagniccia s’est vidée en 25 ans. Et en 1960-62 il n’y avait plus que 160.000 habitants « bilingues »…

L’essor du tourisme d’après-guerre a amorcé le début du flux des migrants qui est allé en s’amplifiant et tout dernièrement celui important des émigrés d’Afrique du Nord (travailleurs agricoles de la Somivac et puis regroupement familial). En 50 ans, la population est montée à plus de 300.000 habitants, le chiffre qu’elle avait il y a un peu plus de 100 ans.

 

La prise de conscience des natios et des culturels, leurs protestations, l’évolution de l’Europe, les institutions européennes (Charte des langues minoritaires du Conseil de l’Europe, vote de résolutions (Kuypers) et tout dernièrement celle de François Alfonsi du Parlement européen), ont contraint l’État jacobin à faire la promesse d’un bilinguisme à sa guise tout en refusant un droit légal, la coofficialité, pour la langue corse, au prétexte qu’elle est anticonstitutionnelle. Or précisément, l’article 2 de la Constitution qui dit que la langue française est la langue de la République n’a été inscrite qu’après l’officialisation de la Charte des langues minoritaires du Conseil de l’Europe pour stopper en amont toute demande éventuelle de reconnaissance de droit aux langues régionales de l’hexagone. Il faut donc réformer la Constitution pour donner des droits à la langue corse. Le dilemme linguistique, selon le rapport des experts de l’Unesco de 2002-2003 est simple. Sans coofficialité, la langue va disparaître. La réforme ne viendra pas du pouvoir central. On est donc dans un rapport de force politique pour le faire céder. Seulement une majorité de Corses conscients des processus en cours et donc des enjeux peut l’y contraindre. Puis pour réinstaller la langue sur le territoire du peuple corse, il faudra une politique déterminée sur deux ou trois générations, le but étant qu’elle redevienne une langue maternelle. Mais il faudra ménager une période de transition pour ne pas léser les carrières en cours et permettre aux arrivants de s’adapter sans dol et en toute connaissance de cause.

Tout se tient. Il faut remplacer le statut actuel des jacobins par celui d’une autonomie ne laissant au pouvoir central que l’armée, la monnaie, les affaires étrangères. Sous cet angle aussi, une période de transition pour la mise en place du pouvoir régional autonome sera nécessaire. Un plan de sortie de la dépendance économique grâce à un plan de développement « durable » autocentré, le temps de développer les atouts naturels de l’île, d’avoir un tissu économique capable de produire et d’équilibrer les échanges avec l’extérieur. Sur le principe du rattrapage historique, de la réparation, Paris devra accompagner une sortie progressive, en sifflet.

Tout se tient. Sans une production, sans un développement économique, la langue même avec une coofficialité, a plus forte raison un bilinguisme, n’a pas d’utilité et est donc condamnée. Sans développement économique « durable » sur son territoire, il ne peut y avoir ni langue, ni enracinement d’un peuple.

Bref, sans la reconnaissance du peuple corse et de ses droits, sans moyens légaux pour maîtriser au mieux son avenir et pour l’empêcher de sombrer, sans réelle autonomie, son sort est à terme scellé, l’Ephad avant la pierre tombale.

Tout se tient. C’est la cordée qui permet l’ascension ou la chute dans l’abîme. Avoir les commandes, une volonté politique pour un chantier difficile sans baguette magique ou mélopée incantatoire.

 

Une première phase de 50 ans a rendu les natios incontournables. Elle a été longue, incertaine, semée d’embûches. La deuxième phase, celle de la libération, sera sûrement difficile, le dos au mur. Elle sera moins longue et gagnée si les Corses… •