À l’heure où les associations de défense de l’environnement sont ciblées par tous ceux que les règles d’urbanisme dérangent… rappelons cet éditorial de Max Simeoni, écrit en 2012. Car enfin, c’est quand même bien le Padduc, qui après moults débats et délibérations a façonné notre projet collectif ! Le remettre en cause après tous les obstacles qu’il a pu franchir, et ce sans jamais l’avoir jamais vraiment appliqué, n’est-ce pas le vrai problème aujourd’hui ?
Une grande victoire, le Padduc ?
par Max Simeoni
Les élus natios, après le vote le 26 juillet par l’Assemblée de Corse, ont parlé d’une « grande victoire ». Ils ont fait des efforts méritoires. Mais je dirais qu’ils ont gagné un engagement de patrouille avancée dans une guerre qui ne fait que commencer.
La loi du 22 janvier 2002 a donné mission à l’Assemblée de Corse d’élaborer ce projet de Padduc. Le président Hollande a dit que lui et les autorités publiques seraient « attentifs » à ses propositions. Il a fallu 26 mois à la CTC pour sortir ce premier document. Je veux souligner le mérite de l’actuel Exécutif, et notamment celui de Maria Guidicelli qui s’est révélée être un vrai personnage politique par sa capacité d’écoute, sa diplomatie, sa volonté de trouver un consensus politique, en communiquant avec maîtrise tout en restant sincère et respectueuse. On pourrait lui donner la médaille d’or de l’anti-blocage. Je me surprends moi-même dans cet exercice laudatif ayant par nature la tendance à souligner ce qui cloche. Dès lors, me voilà dans l’espoir inquiet d’avoir à ne pas être déçu.
Cela dit, le projet est voté. Il est mis en couveuse de la CTC pour encore un an. Le président Giacobbi va être « reçu » à Paris pour en parler. Il aura des conseils et des encouragements mais quant aux risques, l’assurance sera limitée. Ce Padduc dans l’exposé des motifs et des positions envisagées heurte un républicanisme génétiquement incompatible. Et quelles que soient les évolutions psychopolitiques, il n’y a pas de place pour le miracle. Si 23 amendements des natios sont acceptés, le but à atteindre est si élevé historiquement que toutes les avancées d’un demi-siècle (régionalisme, autonomisme, riacquistu, statuts Defferre, Joxe et processus Matignon…) font figure d’une marche d’approche qui n’a pas encore atteint le pied de l’Himalaya.
Oui, un succès utile mais encore un an à la CTC, pour parachever son travail. À la suite, l’examen « attentif » de l’Élysée, la discussion en commissions et en séance plénière par les députés et les sénateurs, des amendements, l’avis du Conseil d’État, avant le vote des deux chambres du Parlement et un recours toujours possible au Conseil constitutionnel pour tout ou simplement partie cruciale, comme le refus de peuple corse, de résident, contre la spéculation, la coofficialité, etc., au nom de l’égalité républicaine comme de bien entendu.
Et en ce cas, le pouvoir du moment dans 3, 4, ou 5 ans devra revoir la copie à la baisse. Ce risque ne peut s’éviter que si l’Élysée présente aux deux chambres un projet (le Padduc) et des réformes de la Constitution formant un seul paquet indissociable.
Est-ce possible en droit français ? Sacré challenge, surtout qu’on sera en pré-campagne électorale ou à la veille. Une grosse couleuvre à faire avaler à tous les Républicains intégristes dans tous les bords et dans l’administration centralisée.
Un Padduc acceptable sans les moyens de l’autonomie est un marché de dupes. Or d’après le président Chaubon, la commission « Institutions » sera prête à la fin de l’année. « L’autonomie ne fait plus peur » dit-il. Les divers thèmes, identité, langue, patrimoine, sont dans l’île admis du moins ils n’ont pas d’adversaires ouvertement déclarés, y compris le vocable « peuple corse ». Mais chacun le voit sous un angle différent selon les inconvénients ou les opportunités personnels. Le voyage de la réforme des institutions sera aussi long et plus aléatoire que celui du Padduc. Des réponses genre article 26 qui n’a jamais servi, ou « d’expérimentations législatives encadrées par le parlement » tout aussi stériles peuvent se renouveler.
La bataille décisive à gagner est celle de l’autonomie et de ses moyens. Sinon, le Padduc est rendu impossible. Tout se tient. Comment par exemple mener une politique énergique et de longue haleine qu’impose la sauvegarde de la langue sans coofficialité ? Se contenter alors d’un artefact légalisé « d’officialité » dont la mise en œuvre serait du ressort des instances aux pouvoirs de gestion limités, qui ne pourraient pas empêcher le déclin. Un pouvoir constitutionnel fort est nécessaire pour mener l’action durant une décennie avant d’inverser la tendance. Il doit intervenir dans tous les domaines concernés par cette langue : société, administration, enseignement, etc.
Un gentil bilinguisme sans égalité des deux langues a la vertu d’un soporifique. Déjà quelques syndicalistes, journalistes, particuliers, certains de bonne foi d’autres par idéologie ou arrière-pensée, récusent « l’obligation » et ne peuvent supporter que le « facultatif » par principe certes, ou par crainte d’handicap de carrières. Or il est évident que « l’obligation » ne peut se faire que par étape sur bon nombre d’années. Qu’en sera-t-il à l’échelle de l’hexagone ?
Même tabac pour un débat sur « la place de la Corse dans la Constitution », place inconfortable ou instable ? De même pour ce qui est d’endiguer la « spéculation foncière et immobilière », les lois n’existent qu’a minima comme dans les lois Littoral ou Montagne !
Et ainsi de suite pour l’environnement, la pollution (fuel et autres), les énergies nouvelles qui enflamment les discours mais guère les chaudières.
Quant aux transports et l’enveloppe de continuité territoriale, elle sent le rance pour ne pas dire plus. Une compagnie régionale maritime est à l’étude ? Supposons qu’elle soit reconnue faisable, la mise en place sera hors de possibilité avec les moyens actuels ou à peine « améliorés ». Un réseau ferroviaire ambitieux serait utile à tous les points de vue (social, fret, pollution, encombrements routiers…), la CTC ne peut pas avec les moyens de simple gestion le promouvoir.
Finalement tout dépend des moyens de l’autonomie. On veut remplacer une économie de rente par une économie productive. Le service public garantit par l’État ? Il se résume à l’espoir d’une rente pour l’emploi assuré. Espoir battu en brèche par les non-titularisés, les emplois à durée déterminée et repli sur les « places » des collectivités de la CTC, des deux conseils généraux pour 300.000 habitants et sur tout pouvoir administratif capable de recruter.
Le clientélisme électoral devient une nécessité pour l’électeur et pour l’élu. Farandole de jongleries de cercles vicieux !
Dans cette course d’obstacles juridiques et institutionnels, et sans compter les aléas imprévisibles de toute nature, les natios ont-ils compris, les « modérés » en particulier, avec une même vision politique et trois organisations différentes ? Le chemin est encore long et rude, ils ont besoin d’être davantage soutenus et bien compris par leur peuple. Peuvent-ils crier victoire et ne pas craindre l’ampleur de l’épreuve qui les attend des années durant ? •