Déclaration de José Stromboni à la Conférence méditerranéenne contre la pollution

Il y a 45 ans…

Ci-dessous, « la déclaration de Beyrouth ». Celle-ci a été faite par José Stromboni à la Conférence méditerranéenne contre la pollution (4-6 juin 1973). Faute de place j’y reviendrai de mes commentaires lors d’une prochaine parution et je ferai référence aussi à un autre document paru en 1964, « Le manifeste du CEDiC – pour la défense de l’ethnie Corse », que i chjassi di u cumunu ont publié récemment sur leur blog.

Max Simeoni.

 

La Corse remercie vivement les organisateurs de ce colloque international, et particulièrement le pays qui nous accueille : le Liban.

Nous avons pu apprécier dès notre arrivée les similitudes géographiques, les affinités entre votre beau pays et la Corse.

Nous faisons partie de cet ensemble méditerranéen, berceau de civilisation, dont nous sommes tous profondément imprégnés, malgré les obstacles dressés entre nos peuples par la politique coloniale des grandes puissances industrielles.

Nous nous exprimons dans la langue française (l’une des langues officielles de ce colloque), comme d’autres pays ont dû le faire malgré eux en d’autres circonstances. Mais notre cœur nous aurait portés à le faire en langue corse, car si nous sommes ici aujourd’hui, c’est uniquement en tant que Corses.

 

En effet, la France est à la pointe de la pollution mondiale. N’a-telle pas le triste privilège de se distinguer dans le Pacifique, en ce moment même, par des expériences nucléaires contre lesquelles protestent toutes les nations riveraines. Notre assemblée se devrait de condamner sans ménagement de tels agissements.

Ce qui nous amène aujourd’hui, c’est la sauvegarde du milieu naturel en Méditerranée.

N’oublions pas que l’environnement c’est la nature, l’air, l’eau et les hommes. Cette mer qui est la nôtre, devient de plus en plus le dépotoir des nations industrialisées : les déjections des cités, les déchets industriels, les dégazages des pétroliers, etc.

La société Montedison déverse ses résidus dans le bras de mer qui sépare la Corse de l’Italie. La Montedison, quatrième groupe capitaliste italien, avouant un chiffre d’affaires de 5000 milliards de lires, l’un des grands de la chimie, représente au sein de l’Europe capitaliste un interlocuteur des plus valables Étroitement liée à ses homologues allemands et français par une astucieuse interpénétration de capitaux, la Montedison est une puissance que les gouvernements ne se permettent pas de gourmander ou de rappeler à l’ordre pour une simple histoire de pêcheurs corses, voués à une prochaine disparition.

Les installations de dépuration des déchets sont coûteuses, les boursiers ne supportent pas d’amoindrissement de dividendes, les investissements ne doivent être qu’à haut rendement, alors rien de plus simple que de déverser les « boues rouges » à quelques encablures de la Corse.

Les 6000 tonnes par jour d’un produit reconnus de haute toxicité accompagnées de déversements clandestins pratiqués par d’autres usines italiennes, sont une atteinte à la vie, au seul profit de quelques-uns, au détriment immédiat du peuple corse, demain de toutes les populations de Méditerranée.

Nous ne pouvons que souligner les dérobades du gouvernement français en la personne de M. Poujade, ministre de l’environnement, qui déclarait après douze mois de réflexion, et nous citons : « que les rejets en mer étaient de nature complexe et variée, et que des études assez longues devaient être entreprises ».

Il a fallu d’ailleurs que les violences s’exercent à l’encontre du représentant de l’autorité de tutelle, en l’occurrence le sous-préfet de Bastia, pour que la métropole veuille bien se pencher sur un problème capital pour notre survie.

Pourquoi, nous direz-vous, la Corse se trouve-t-elle dans le peloton de tête de la lutte contre la pollution ? Il faut savoir que notre peuple subit depuis des lustres toutes sortes d’agressions tendant à le faire disparaître, jusqu’à ce jour en vain. C’est la conjonction d’agressions contre les choses et contre les hommes dans leurs viscères, mais aussi dans leur personnalité et leur dignité qui est la raison profonde de cette réaction.

Oui, la Corse ressent intensément le fait colonial, qu’il soit imposé par la France ou l’Italie, ou par la collusion de leurs gouvernements.

Le Conseil municipal de Bastia, dans une délibération du 16 janvier 1973, demandait, et nous citons : «à M. le préfet de la Corse et à M. le ministre de l’intérieur de prendre telle mesure qui laisse espérer que la Corse est entrée, elle aussi, dans la voie de la décolonisation dont on a tellement parlé sans en avoir les effets dans le département insulaire de la Corse ».

Les arrestations de personnalités politiques qui ont suivi, puis la saisie des clichés des journalistes, impensables en France, devaient d’ailleurs illustrer cette conception coloniale des libertés individuelles ; l’affaire des « boues rouges » doit être vue sous son angle véritable, évident lors des manifestations du 17 février, et plus encore lors de la grève générale spontanée et totale du 26, en dépit des consignes des centrales syndicales françaises, préoccupées de climat pré-électoral et déçues d’être tenues en cette affaire pour quantité négligeable par le peuple corse unanime.

Le Conseil général de la Corse, assemblée élue, vient d’ailleurs d’intenter un procès à la Montedison devant la carence des autorités françaises dérogeant ainsi totalement au droit français. La Corse a la conscience de lutter pour la survie des hommes, le bien-être et l’avenir de leurs enfants, mais aussi pour la survie des peuples. Aucun peuple n’est inutile, aucun peuple ne doit être méprisé ou supprimé, chacun apporte quelque chose à l’humanité, à l’écologie.

La lutte de la Corse est une lutte globale contre une forme de société qui court à sa perte irrémédiable.

La Corse est une poubelle parce qu’une colonie. Victime d’un impérialisme sournois dont les agissement de la Montedison sont la manifestation la plus évidente, elle se considère désormais comme en légitime défense.

Rappelons le précédent de la tentative française de déposer des déchets atomiques à l’Argentella, tentative qui fut repoussée par une mobilisation massive de la population.

Rappelons aussi l’utilisation du territoire corse comme lieu de déportation pour tous les indésirables de l’hexagone.

La Corse est une nation vaincue.

De ce fait, elle ne peut, sur le plan international, faire connaître ses doléances, ni employer les moyens d’interventions permis aux nations libres.

Un peuple doit pouvoir disposer de son environnement, comme il doit pouvoir disposer de lui-même.

 

C’est pourquoi la Corse fait les propositions suivantes :

n’ayant pas hélas les moyens d’intervenir auprès des instances internationales, elle demande à cette assemblée d’instaurer un comité méditerranéen permanent de sauvegarde de la Méditerranée.

Ne pouvant compter sur la France, nous demandons aux Nations ici présentes, au nom d’un peuple muselé, de porter ces problèmes devant l’organisation des Nations Unies.

La Corse, pays méditerranéen participant à la défense de la Méditerranée, appelle les pays de la Méditerranée à la défense de la Corse.

 

Beyrouth, 4-6 juin 1973.

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