La 28e Université d’été de la fédération Régions & Peuples Solidaires et son 29e congrès se sont tenus du 24 au 27 août 2023 à Cotlliure. R&PS, présidée par François Alfonsi, regroupe les peuples et nations au sein de la République française revendiquant la reconnaissance de leurs droits en Alsace, Bretagne, Catalogne, Corse, Pays Basque, Occitanie, Savoie. Elle est également ouverte aux berbères de France regroupés au sein du Congrès Mondial Amazigh et qui souffrent d’une dure répression dans tous les États africains où ils vivent*. Cette année donc, c’est sur la côte catalane qu’ont été accueillis les congressistes avec un programme tourné vers la préparation des prochaines élections européennes (juin 2024), scrutin phare de la fédération et du parti européen ALE (Alliance Libre Européenne), grand partenaire de R&PS. Sa présidente, Lorena Lopez de Lacalle était d’ailleurs présente à Cotlliure. Justice et Droits de l’Homme : les États jouent-ils contre l’Europe et les territoires ? Un thème qui regroupe bien des préoccupations de nos régions. Evènement dans l’évènement, Gilles Simeoni, président de la Collectivité de Corse, était présent pour délivrer un message fort à tous ces combats pour leur reconnaissance institutionnelle.
Pleine réussite pour ces journées accueillies par les partis Oui au Pays Catalan et Unitat Catalana, soutenus dans cette organisation par le directeur de R&PS, Pèire Costa. Plus de 150 inscrits à chaque session, intervenants de grande qualité, échanges fournis, et équipe organisationnelle emmenée de main de maître par Jordi Vera de Oui au Pays Catalan, qui a fait fort pour répondre aux besoins d’un tel accueil. Le maire sans étiquette, Guy Llobet, ouvrait les débats par un salut chaleureux aux différentes délégations.
« R&PS est une organisation qui a beaucoup progressé et a démontré sa capacité à structurer un message commun à ceux qui dans leur région portent le message d’avenir de leur peuple. Il nous importe de continuer cet important travail politique ensemble » a invité le président, François Alfonsi.
La question catalane était bien sûr au cœur des débats la première journée, avec la présence de Toni Comin, ancien ministre du gouvernement catalan, eurodéputé Junts pel sì avec Carles Puigdemont, également annoncé mais retenu par la situation en Espagne (lire en p7). La Catalogne Nord vit profondément son identité catalane, drapeau et toponymie partout, on sent les militants très impliqués. Ils soutiennent la Generalitat au Sud et souffrent du dédain parisien qui ne leur permet même pas de disposer d’une région propre, englobés qu’ils sont dans le département des Pyrénées Orientales. Cette politique de discriminations et d’étouffement identitaire va jusqu’à l’absurde, puisque depuis maintenant trois ans, sous de fallacieux prétextes sécuritaires (Covid, puis terrorisme islamiste), les cols qui relient la Catalogne du Nord au Sud, sont fermés par les autorités, bafouant les accords de Schengen. La population qui en subit les plus fortes conséquences, au niveau économique, agricole, et des échanges culturels et familiaux, est celle du col de Banyuls : Pierre Becque, avocat, ancien maire de Banyuls, président du Collectif Albères sans frontières, et Alfons Quera, directeur de la Casa de la Generalitat à Perpignan ont médusé l’assistance en contant toutes les actions – hélas vaines jusqu’ici – menées pour faire rouvrir le col**.
La situation est encore plus grave. Des milliers de militants catalans sont poursuivis suite à l’organisation du référendum sur l’indépendance du 1er octobre 2017. Des centaines d’élus et fonctionnaires sont emprisonnés. Répression, mandats d’arrêts, violations des droits démocratiques des citoyens, espionnage, Nicolas Marty, professeur d’histoire contemporaine de l’université de Perpignan et Aurora Madaula, députée et membre du Bureau du Parlement catalan animaient le second débat sur cette dure répression.
Toni Comin, eurodéputé, vice-président du Conseil pour la République, clôturait ensuite sur les suites juridiques du conflit avec l’Espagne. « La situation politique évolue » a commenté François Alfonsi, « chaque procès que vous avez gagné en Allemagne, au Danemark etc, a été un événement qui a montré que la Catalogne était un vrai problème politique européen ». « Sans nous, il ne peut pas y avoir de président en Espagne » a répondu Toni Comin. Confrontée à la force du nationalisme catalan, Madrid est contrainte de concéder de nouvelles avancées. Désormais, les députés au Congrès espagnol pourront parler catalan, basque ou galicien, a annoncé la toute nouvelle présidente, Francina Armengol, à l’ouverture du Congrès. C’est un premier pas qui ouvre aussi la reconnaissance officielle au sein des instances européennes. Et qui montre du doigt un peu plus la France où les communes qui (comme en Corse) modifient leur règlement intérieur en faveur de l’usage du catalan (c’est le cas de Elne, Tarerach, Amélie-les-Bains, Port-Vendres…) se trouvent assignées par le préfet des Pyrénées Orientales devant le tribunal administratif de Montpellier ! « La confrontation est nécessaire, ça veut dire les mobilisations sociales, ça veut dire la rue, ça veut dire la confrontation institutionnelle… Mais nous voulons aussi utiliser si le contexte nous le permet, la négociation… Négociation et confrontation sont nécessaires pour être efficaces » a enseigné Toni Comin.
Message à retenir.
La journée du 25 août était consacrée aux droits humains et droits des peuples, sous l’angle de la guerre en Ukraine, mais aussi d’autres conflits en Europe pour lesquels R&PS et l’ALE – qui présidait ce débat – sont fortement solidaires.
Un an et demi après le début de la guerre en Ukraine, Liza Dimitrieva, membre de l’Union des Ukrainiens de France, a parlé de la situation dans son pays dans un silence pesant. Très émue, elle avait du mal à contenir ses larmes. La cruauté de la guerre, les horreurs subies par son peuple, la destruction de villes entières, la menace nucléaire, elle décrit le quotidien de la résistance ukrainienne portée par un patriotisme à toute épreuve. 34 crimes de guerre ont été répertoriés par l’ONU : « L’homicide intentionnel en allant jusqu’aux exécutions de masse… la torture, y compris des cas de torture d’enfants et leur exécution devant les yeux de leurs parents… toutes ces atrocités morbides ont été filmés et documentés » raconte Liza Dimitrieva. Le viol, l’utilisation de boucliers humains, le vol d’enfants pour être adoptés en Russie. Ce crime de guerre s’est traduit par un premier mandat d’arrêt contre Poutine. Des milliers d’enfants ont ainsi été arrachés à leurs familles. Les attaques contre les convois humanitaires, les bombardements de villes et villages, l’exécution de combattants désarmés, la destruction de biens publics pour priver d’eau, d’électricité, de soins les populations (plus de 1500 hôpitaux détruits)… Ce ne sont que quelques-uns de ces crimes commis par la Russie témoigne encore Liza Dimitrieva qui lance un appel au soutien sur les plans militaire, politique, financier.
Pour Fernand de Varennes, rapporteur spécial de l’ONU sur la question des minorités, « la communauté internationale a failli misérablement », en Ukraine mais aussi pour nombre de peuples martyrs. « Le rôle des Nations Unies s’est d’assurer la paix et la stabilité internationales… or nous avons des conflits un peu partout dans le monde. Pensez au Soudan, à la Syrie, au Yémen, au Skri Lanka, au Cameroun, à l’Ukraine, au Naghorno Karabakh… il faut vraiment travailler plus, que cela soit une priorité… Si l’on ne prévient pas les conflits, nous aurons des crises humanitaires, des atrocités, des exécutions massives. » Conflits qui causent « le plus grand nombre de personnes déplacées de toute l’histoire de la race humaine », a dit encore Fernand de Varennes.
Le débat suivant s’est déroulé en plusieurs temps avec les témoignages de Heghine Evinyan, Directrice exécutive de la Fédération euro-arménienne pour la Justice et la Démocratie, pour le peuple arménien menacé d’épuration ethnique dans le conflit du Haut-Karabakh ; Raphaël Fisera, conseiller sur la question des droits de l’Homme au groupe Verts-ALE, pour comprendre les enjeux et les profondes injustices dont le peuple sahraoui est victime, chassé de ses terres par le Maroc, et confiné en plein désert ; Fayik Yazigay, délégué auprès de l’Union européenne du HDP (Halklarin Demokratik Partisi / Parti Démocratique des Peuples), et Claire Gago-Chidaine, animatrice du Friendship kurde au Parlement européen sur le combat des Kurdes pour un Moyen Orient des droits de l’Homme et de la démocratie. Enfin, la question amazighe où les peuples sont maltraités en Afrique du Nord avec Belkacem Lounès, secrétaire général du Congrès Mondial Amazigh et expert auprès de l’ONU sur les droits des peuples autochtones.
Arritti aura l’occasion de revenir sur ces débats.
On retiendra du congrès, le 26 août, l’hommage émouvant rendu à Philippe Duluc, membre du Conseil fédéral de R&PS et responsable de EHBai. Militant infatigable de la cause basque et de tous les peuples. R&PS a associé à cet hommage Marie-Antoinette Alirol, épouse de notre ancien président, l’occitan Gustave Alirol, ardent défenseur de toutes nos luttes.
Le débat fort du congrès peaufinait la stratégie et le calendrier pour les élections européennes 2024. R&PS entend y porter ses revendications avec détermination. La Fédération négociera de façon privilégiée avec ces partenaires naturels, les Verts bien sûr, au nom de valeurs communes et d’un parcours de plus de 30 ans maintenant, mais aussi les membres du groupe LIOT à l’Assemblée nationale désormais unis par un contrat commun. Il est encore tôt pour cerner les stratégies de chacun, une chose est sûre : R&PS sera présente dans cette élection.
Le congrès a également adopté une proposition du Bureau fédéral d’instaurer officiellement la parité en son sein. Si au Conseil fédéral siègent les différents partis membres invités à respecter cette parité, désormais chaque parti pourra candidater au bureau par un binôme obligatoirement paritaire et qui pourra se composer de militant(e)s issu(e)s de partis différents pour garantir une meilleure diversité régionale.
Enfin, le congrès a validé la candidature d’EHBai pour l’organisation de la prochaine Université d’été et du congrès 2024, en Iparralde.
Le débat sur les réformes institutionnelle et constitutionnelle clôturait l’Université d’été en présence de Gilles Simeoni, président de la Collectivité de Corse. Une conférence animée par Lydie Massard, militante de l’Union Démocratique Bretonne, co-porte-parole de R&PS, qui présidait auparavant deux débats, sur les langues régionales bannies de l’administration, avec le cas du catalan présenté par Marie Costa, maire énergique d’Amélie-les-Bains et les perspectives ouvertes deux ans après la loi Molac avec Jean-Félix Acquaviva, député de la Corse, et Thomas Dossus, sénateur EELV du Rhône. Véronique Bertile, maître de conférence en droit public à l’université de Bordeaux, complétait la tribune apportant son éclairage de juriste. Comment créer une majorité au Parlement en faveur des territoires ? Gilles Simeoni a appelé à renforcer nos solidarités à travers le cas corse. « L’État ne met pas sa puissance et son administration au service de ce processus… On n’est pas dans une logique de dialogue politique visant à la recherche partagée d’une solution, tel que nous avons pu le connaître par exemple en 1982 avec le premier statut particulier, l’élection de François Mitterrand, ou en 1989 avec le processus et le statut Joxe, ou même en 1998 avec le processus dit de Matignon conduit pas Lionel Jospin » qui prévoyait déjà « que la Corse se voit transférer un pouvoir législatif » a rappelé le président de la Collectivité de Corse.
Quatre jours de débats intenses que vous pouvez retrouver in extenso sur la page Facebook de R&PS. •
F.G.
* Algérie, Maroc, Tunisie, Lybie, Mali…
** lire ici notre article sur le cols de Banyuls