Écosse

Le SNP en état de choc après la démission de Nicola Sturgeon

La Première ministre écossaise Nicola Sturgeon démissionne (archives).
La démission de Nicola Sturgeon, après une décennie passée à la Présidence du parti indépendantiste écossais et à la tête du gouvernement, a été une totale surprise. Elle a été remplacée comme Présidente du SNP par Humza Youzaf le 27 mars dernier. Humza Yousaf, avec l’appui des parlementaires SNP largement majoritaires au sein du Parlement d’Edimbourg, a dans la foulée été élu pour la remplacer au poste de Premier ministre de l’Écosse.

 

 

Cette élection n’a pas été une simple formalité, loin de là. Ils étaient trois candidats en lice, et le vainqueur l’a emporté au second tour avec une majorité courte, 52,1 %, contre 47,9 % à Kate Forbes. Il doit maintenant convaincre de sa capacité à gouverner le pays avec un parti regroupé, capable de surmonter le choc que la démission de Nicola Sturgeon a provoqué.

Nicola Sturgeon était une leader à la popularité considérable. Durant les huit années de sa présidence, le SNP a gagné toutes les élections, lui assurant une majorité absolue à Holyrood le Parlement écossais, avec le soutien de ses alliés verts écossais eux aussi indépendantistes. La liste conduite par Nicola Sturgeon a à chaque fois regroupé plus de 40 % des voix, en 2016 comme en 2021, le parti arrivant second du scrutin se contentant d’un score entre 15 et 20 %. C’est dire la domination exercée par le parti nationaliste écossais sous sa direction.

Ces succès ne se sont pas limités au Parlement d’Écosse. À Westminster, le SNP a envoyé 56 députés sur 59 élus en Ecosse en 2015, au lendemain du referendum perdu en 2014, ce qui avait amené Alex Salmond, alors premier ministre, à démissionner et à laisser la place à sa vice-premier ministre et ministre de la santé Nicola Sturgeon. Le rebond électoral spectaculaire de 2015, qui a permis de maintenir la crédibilité de la revendication indépendantiste de l’Écosse, a été son premier succès.  Cette apogée électorale a été suivie d’un recul en 2017 (36 députés SNP sur 59, soit quand même deux députés sur trois), puis une nette remontée en 2019 (48 députés SNP sur 59). Ces résultats parlent d’eux-mêmes : Nicola Sturgeon, femme intelligente, énergique et populaire, a dominé sans conteste la politique écossaise.

 

Sa stratégie, depuis le Brexit qui a écarté l’Écosse de l’Union européenne contre la volonté du peuple écossais (62 % contre le Brexit), a été de réclamer un nouveau referendum pour que l’Écosse puisse rejoindre l’Europe, tout en menant en Écosse une politique sociale et sociétale d’avant-garde pour continuer à convaincre les Écossais de quitter un Royaume Uni durablement contrôlé par un parti conservateur de plus en plus thatchérien. Durant la crise sanitaire du Covid-19, menée différemment en écosse en raison des compétences dévolues à l’autonomie écossaise, elle a été plébiscitée pour sa gestion de la pandémie, alors qu’à Londres Boris Johnson multipliait les erreurs.

Aussi sa démission a été un choc considérable. Elle a déclaré elle-même se sentir amoindrie par l’usure du pouvoir et les tensions permanentes que cela provoque. Plus précisément, sa décision est intervenue au lendemain de l’adoption, à son initiative, d’une loi sociétale écossaise très avancée pour les droits des personnes transgenres. Cette initiative a provoqué une grande controverse dans les rangs mêmes du SNP, et la loi a été bloquée à Londres qui dispose d’un pouvoir exceptionnel pour cela, mais jamais exercé jusque-là. Surtout, Londres a saisi l’opportunité de profiter des désaccords au sein du SNP. Cette thématique très sensible a été aussi l’occasion d’un déchaînement de haine sur les réseaux sociaux dont elle a été la première cible, et qui commençait à affecter sa popularité. Sans compter les divisions au sein du SNP dont l’élection difficile de son successeur Hamza Yousaf est le signe, son opposante de second tour Kate Forbes, ministre au sein du gouvernement Sturgeon, et catholique affichée, ayant été vent debout contre cette loi.

 

Nicola Sturgeon a été remplacée à la tête du SNP par Humza Yousaf.

 

À ce contexte politique difficile, se sont ajoutés des problèmes internes au SNP liés au rôle de son compagnon, Peter Murrel, véritable « PDG » d’une structure politique qui a compté jusqu’à 130.000 adhérents. Peter Murrell était déjà à ce poste avant qu’il ne rencontre Nicola Sturgeon, et sa nomination n’est entachée d’aucun reproche. Mais la proximité conjugale des deux principales têtes du SNP depuis 2014 a créé mécaniquement une vulnérabilité qui s’est révélée ces derniers mois en parallèle de la crise politique.

Il est notamment reproché à Peter Murrell d’avoir dissimulé la chute du nombre de membres du SNP en continuant d’afficher 130.000 adhérents, alors que, finalement, ils étaient 72.169 autorisés à voter pour désigner le successeur de Nicola Sturgeon. Il faut relativiser : 72.000 militants sur les 5,5 millions d’Ecossais est l’équivalent d’un parti de 4.500 militants en Corse (nous en sommes tous très loin !) ou de 850.000 adhérents en France (tous en rêveraient !). Mais, dans la culture politique anglo-saxonne, une telle dissimulation est très mal acceptée. Il lui est aussi reproché d’avoir puisé dans les fonds de réserve du parti pour compenser la chute du produit des cotisations, notamment un fonds constitué en vue du nouveau referendum d’indépendance réclamé par Edimbourg et bloqué par Londres.

 

En fait la cause politique profonde de la crise actuelle du SNP est l’échec de la stratégie suivie par le tandem Sturgeon/Murrel pour arriver à un nouveau referendum sur l’indépendance. En en soumettant la légalité à la Cour Suprême du Royaume Uni, les dirigeants écossais ont reçu sans surprise une décision négative (le précédent referendum datant de 2014, un nouveau scrutin aussi rapproché a été déclaré non acceptable), ce qui les met dans une impasse politique : comment tenir un referendum dans des formes légales désormais ? L’alternative d’un passage en force par un referendum « à la catalane » est contraire aux traditions anglo-saxonnes, hypothéquée par l’échec catalan, et surtout il se heurte à la réalité des sondages qui continuent de prévoir un score autour de 50 % pour le « yes » comme pour le « no ».

Face à cette difficulté majeure, la crise politique actuelle du SNP s’est déclarée, symbolisée par la double démission de Nicola Sturgeon et de Peter Murrel. Dans une dynamique indépendantiste forte, toutes les difficultés auraient sans doute été surmontées sans crise. Mais, en panne de stratégie, la direction a dû céder aux fortes pressions qu’elle subissait.

Le nouveau dirigeant élu, Hamza Yousaf, était ministre de Nicola Sturgeon et soutenu par la direction sortante du parti. Mais il devra bien sûr tenir compte de sa faible avance pour pouvoir gouverner durablement.

En fait, c’est tout le SNP qui, malgré sa position de force, est à la recherche d’un second souffle. •

François Alfonsi.