Rapport François Alfonsi sur la Méditerranée

« L’implication de l’Union européenne en Méditerranée est une nécessité »

Retour sur le rapport d’initiative présenté par François Alfonsi et adopté à une large majorité (564 pour, 14 contre, 47 abstentions) par le Parlement européen le 9 mai dernier. Qu’est-ce qu’une stratégie macro-régionale ? Pourquoi en Méditerranée ? Avec quelles mesures ? François Alfonsi répond aux questions d’Arritti.

 

 

Rapporteur au Parlement européen pour une stratégie macro-régionale de l’Europe en faveur de la Méditerranée, pourquoi une telle initiative ?

L’idée de ce rapport c’est d’abord que la Méditerranée est un espace européen où l’implication de l’Union européenne est une nécessité parce que c’est un espace qui est en régression, notamment régression environnementale, avec des problèmes de rejets de déchets plastiques, de rejets d’hydocarbures en mer par la très importante circulation maritime qui s’y déroule, et par la pression anthropique, que ce soit des habitants permanents qui sont nombreux, mais aussi de la pression touristique qui est très forte puisque la Méditerranée est le premier site mondial en terme de tourisme. Tout cela provoque une dégradation des milieux et il n’y a pas face à cette crise environnementale, une réponse pertinente, coordonnée, car ce n’est pas une région seule, comme la Corse par exemple, qui peut apporter des solutions. La solution doit être trouvée au niveau européen.

 

C’est le but de ce rapport ?

La solution passe par la coopération de tous les acteurs, les États membres, les régions, pour arriver à limiter les pollutions, améliorer la biodiversité et les écosystèmes, et faire en sorte surtout de préparer la Méditerranée aux grands défis qui s’annoncent, puisque de toute l’Europe, c’est l’espace qui connaît l’impact le plus important du réchauffement climatique. En Méditerranée, les impacts sont 20 % plus élevés. La température de l’eau augmente, ça provoque des tempêtes, les incendies vont être de plus en plus dangereux et dévastateurs, la raréfaction de la ressource en eau inquiète, c’est un problème qui se pose à toutes ses populations de façon de plus en plus cruciale. Seule une réponse politique de l’Europe peut permettre de trouver des solutions. Le but de ce rapport c’est d’enclencher le processus décisionnel qui conduira à une mise en place d’une stratégie macro-régionale de l’Union européenne en Méditerranée.

 

Qu’est-ce que, justement, une stratégie macro-régionale ?

C’est un espace transnational rassemblant plusieurs pays ou régions d’Europe, membres ou non de l’Union européenne, réunis autour de défis partagés. Une telle stratégie vise à encourager des initiatives et des projets pour contribuer au développement harmonieux du territoire concerné. Elle apporte une réponse collective, solidaire et efficace aux problèmes qui sont posés. La Commission européenne est chargée de coordonner structurellement la coopération entre les différentes autorités politiques qui administrent cet espace. Une telle stratégie a déjà été mise en œuvre en mer Baltique qui connaissait de très hauts niveaux de pollution, notamment aux nitrates et au phosphore. En moins de 10 ans, des résultats très importants pour réduire ces pollutions ont été enregistrés.

 

L’UE a la responsabilité majeure de coordonner une riposte face aux menaces ?

La Méditerranée est une mer européenne pour la moitié de son étendue, l’Europe ne peut rester plus longtemps passive face à toutes les agressions qu’elle subit. Elle dispose de nombreux atouts qui lui confèrent une responsabilité éminente dans la gestion de cet espace. Elle a la compétence technique, appuyée sur de multiples acteurs, elle a la compétence administrative pour piloter une coopération déjà préfigurée par différents programmes, elle a l’expérience acquise des stratégies macro-régionales déjà développées par ailleurs. Et elle a en sus de sa capacité technique et administrative, une capacité financière incomparablement plus forte que celle des autres pays limitrophes, à l’Est comme au Sud. Si l’Union s’engage, au nom de sa responsabilité sur la partie septentrionale du bassin méditerranéen, elle sera force d’entraînement pour tous les pays du bassin. Si elle reste plus longtemps passive, la situation continuera de se dégrader et elle portera la responsabilité de ne pas avoir mis en œuvre sa capacité à agir. Tel est le message envoyé par le Parlement européen avec le vote de ce rapport d’initiative.

 

Quelles pourraient être les priorités d’une telle stratégie ?

Mettre en place une stratégie macro-régionale regroupant trois stratégies distinctes mais coordonnées avec les autorités locales et régionales compétentes, pour la Méditerranée occidentale, les mers Adriatique et Ionienne et la Méditerranée orientale.

Nous défendons au moins trois grandes priorités pour l’environnement : la mise en place d’une zone ECA (Emission Control Area) pour réduire les émissions d’azote et de soufre ; l’interdiction des giga navires de croisière ; la mise en œuvre de la législation pour lutter contre la surpêche, et la mise en place d’une lutte contre la pêche illégale, pour soutenir la petite pêche artisanale et pour renforcer les aires marines protégées.

La question du réchauffement climatique, ses conséquences et les solutions à mettre en œuvre, notamment au niveau énergétique, sont abordées. De même que la question du traitement des déchets, de la lutte contre les incendies, des flux migratoires… une telle coopération en générale permettrait d’être plus efficaces face à tous les problèmes posés au niveau économique, commercial, social, environnemental, sociétal, géopolitique…

 

Qu’est-ce qu’une zone ECA ?

En décembre 2022, l’Organisation Maritime Internationale a entériné la création d’une zone de contrôle des émissions d’oxydes de soufre sur l’ensemble de la Méditerranée ou « zone SECA ». Mais ce standard est inférieur aux standards en application en mer du Nord et en Baltique qui bénéficient des zones ECA. Il ne couvre pas les émissions d’azote qui ont pourtant de forts impacts sur l’environnement et la santé car elles génèrent des particules fines. Il nous faut aller plus loin. Une zone ECA permettrait d’éviter plus de 1730 morts prématurées par an dans le bassin méditerranéen.

 

Vous vous attaquez aussi à l’industrie de croisière ?

Le giga navire de croisière la « Merveille des mers » qui souhaitait accoster à Marseille, illustre bien l’absurdité du tourisme démesuré : 362 mètres de long, 15 piscines, un simulateur de surf, une patinoire, des robots à cocktail… et derrière cette image « idyllique » pour certains, se cache une autre réalité : un tel navire en escale émet autant de particules fines et d’oxyde d’azote qu’un million de voitures.

 

Le rapport insiste sur la biodiversité marine en danger…

Le nombre de mammifères marins en Méditerranée a diminué de 41 % au cours des 50 dernières années et environ 80 % des stocks de poissons sont victimes de la surpêche. C’est la région qui possède la plus forte proportion d’habitats marins menacés en Europe. Pour lutter contre la surpêche, il faut déjà mettre en œuvre la législation existante, notamment en appliquant la totalité des 30 % de réduction de l’effort de pêche d’ici 2025. De même il faut lutter contre la pêche illégale et il faut renforcer le réseau des aires marines protégées (AMP) en Méditerranée, avec de vrais plans de gestion et de hauts niveaux de protection. Trop d’AMP ne sont en réalité protégées que sur le papier. Les zones de reconstruction des stocks de poissons (FRA) figurent parmi les outils à privilégier. L’avenir de la pêche en dépend : si le poisson se raréfie, elle finira par disparaître. En parallèle, il est essentiel de soutenir la petite pêche artisanale en Méditerranée (quotas, sécurité sociale, fonds européens…) et les méthodes de pêche à faible impact. La protection de la biodiversité marine ne se fera pas sans les pêcheurs.

Pour toutes ces raisons, le vote de ce rapport est très important. La balle est dans le camp désormais de la Commission qui doit y apporter une réponse. Compte tenu de la très large majorité du parlement qui s’est exprimé en sa faveur, je suis confiant pour la suite. •


La Méditerranée en quelques chiffres

110 millions d’européens vivent dans le bassin méditerranéen.

730 tonnes de déchets plastiques y sont déversées, chaque jour.

La Méditerranée est la mer la plus surpêchée du monde.

20 % du commerce mondial transite par la Méditerranée alors qu’elle ne représente que 1 % de l’océan mondial. C’est dire la densité du trafic qu’elle subit.

100.000 à 200.000 tonnes d’hydrocarbures y sont déversés chaque année.

31 % du tourisme mondial se déroule en Méditerranée qui ne représente que 6 % de la superficie mondiale. •