Régions & Peuples Solidaires aux côtés des amazighs

Dénoncer la dure répression du pouvoir algérien en Kabylie

La Kabylie est une région d’Algérie, cerclée de montagnes aux paysages magnifiques, qui subit une dure et tragique répression depuis des décennies par le pouvoir algérien. Les Kabyles se revendiquent de langue et de culture amazighs (berbères) et rejettent le régime arabo-islamiste algérien. Les aider à sortir du silence est le premier geste de solidarité.

 

 

Le 14 juin 2001 eut lieu la célèbre marche citoyenne sur Alger où 2 millions de kabyles ont formés une manifestation gigantesque et pacifique, à pied, en voiture, en autobus. Une marée humaine étirée sur des dizaines de kilomètres pour réclamer à travers une plateforme de revendications le respect de leurs droits à parler leur langue, à vivre leur culture, et à pouvoir bénéficier d’un régime démocratique. Hélas, ils furent réprimés dans le sang pour faire avorter la manifestation, et l’on compta plus d’une centaine de morts et des milliers de blessés.

 

Ce 14 juin 2023, R&PS qui soutient depuis sa fondation la cause amazighe, organisait un webinaire pour rappeler le drame kabyle « qui malheureusement ne fait pas la une de l’actualité en France et en Europe, alors que c’est une situation de répression, de privation de liberté, d’atteinte aux droits de l’homme particulièrement grave » a souligné le président de R&PS François Alfonsi, député européen du groupe Verts-ALE.

Belkacem Lounès, secrétaire général du Congrès Mondial Amazigh, expert auprès de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, Meryem Graba, vice-présidente de l’Union des Femmes Kabyles, Athmane Bessalem, avocat militant des droits de l’Homme, Salah Dabouz, avocat ancien président de la Ligue algérienne des Droits de l’Homme, Raveh Issadi, vice-président du Congrès Mondial Amazigh, ont témoigné tour à tour afin « de mettre en lumière les violations des lois et des procédures de justice par la justice même, pas uniquement la police ou l’administration : juges et procureurs mettent en prison et condamnent les gens de manière tout à fait arbitraire » a dit Belkacem Lounès.

 

300 détenus d’opinion, condamnations à mort (plus de 50 à ce jour), tortures physiques ou psychologiques, procès inéquitables et condamnations expéditives, arrestations et détentions arbitraires, enlèvement et séquestration, poursuites contre journalistes, artistes, écrivains, chanteurs empêchés de se produire, cafés littéraires, associations culturelles et organes de presse fermés, conférences interdites : toutes formes d’expression culturelle, intellectuelle ou politique est pourchassée pour lui substituer une culture arabo-islamiste imposée par le régime algérien.

Le Mzab, vallée qui abrite les mozabites au nord d’Alger est aussi durement réprimée. De culture berbère, elle a toujours été autonome. Les mozabites veulent vivre pleinement leur culture et la structuration originale de leur société. Alger mène une politique de colonisation de peuplement et « d’arabisation », pour éteindre cette volonté d’être.

 

Carte de la Kabylie

 

De même, les campagnes anti-kabyle sont régulièrement menées pour dénoncer la Kabylie comme « traitre », « tumeur à extraire du corps de l’Algérie ». Une propagande conduite par ce courant arabo-islamiste qui considère être la seule identité politique d’Algérie. Militants associatifs ou politiques sont les principales cibles et doivent s’engager à ne plus soutenir la Kabylie pour échapper à la répression. Un régime de terreur et d’arbitraire, illustrée par les plus de 50 condamnés à mort dans un même procès qui a instrumentalisé les incendies de 2021 pour mieux diaboliser et réprimer. Le procès en appel devrait se tenir le mois prochain, mais les avocats comme nombre de citoyens résistants sont sous interdiction de sortie du territoire et empêchés de s’exprimer. Des résidents kabyles en France qui animent des associations encourent aussi le risque d’être arrêtés une fois de retour en Algérie.

« Le citoyen ne peut plus être kabyle et ne peut plus se revendiquer en tant que tel » dénonce Raveh Issadi, vice-président du Congrès Mondial Amazigh. Il fait la lecture d’un message du professeur Salem Chaker, universitaire, spécialiste de culture berbère, sur ce climat de « terreur organisée » qui rappelle « les pratiques de la Turquie d’Erdogan », « symptomatiques d’une crise profonde au sein du régime algérien et d’une volonté de liquider toute les oppositions politiques en les criminalisant ». Le contexte historique de la révolution algérienne, son « nationalisme exacerbé » qui tend à « l’unanimisme et au refus de toute diversité » en est la source. Pour le professeur Chaker cette répression durera tant que la société algérienne ne prendra pas conscience de la nécessaire rupture avec ce passé et cet héritage fondés sur l’État-Nation.

 

Que faire ? Déjà interpeller la presse en France sur la date du procès en appel des 54 condamnés à mort. Même chose pour Kamira Nait Sid, présidente du CMA, enlevée dans la rue par des forces de sécurité algérienne et dont le procès en appel se déroulera en juillet prochain. Meryem Graba de l’Union des femmes kabyles appelle à parler des victimes de ces injustices, car « les procès se passent de nuit et sont pliés en quelques minutes sur de faux chefs d’inculpation ».

Il faut « vaincre le silence qu’ils réussissent à établir autour de ces situations de répression, ce webinaire y contribue mais il faut réfléchir ensemble autour peut-être de cette date de juillet » a proposé François Alfonsi. Se mobiliser donc au moment des procès, dénoncer la machination et combattre la « banalisation de faits très graves qui peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité » plaide aussi Salah Dabouz. Pour Belkacem Lounès « il y a un projet d’extermination d’un peuple », de « tout ce qui n’est pas arabe ou musulman ». Partout en Afrique les combats des amazighs sont affaiblis par des décennies de répression : « il reste cependant un écueil, un bloc, qui s’appelle la Kabylie, petit territoire densément peuplé, avec des gens conscients, qui défendent depuis toujours leur identité sociale, culturelle, historique » que le pouvoir algérien veut faire taire.

Aussi, il faut continuer à résister, malgré l’impunité, les manipulations, la propagande, la terreur, en s’appuyant sur la diaspora (un million d’amazigh en France), « en imaginant des solutions de génie ». « Le combat va finir par porter ses fruits » ont conclu les différents intervenants, forts de la confiance d’un peuple qui ne se résigne pas.

Arritti invite ses lecteurs à rester attentifs et solidaires du drame des amazigh. R&PS abordera de nouveau le sujet lors de son Université d’été en août prochain. •

F.G.