Internaziunale

L’Arménie n’a jamais eu autant besoin de solidarité

La guerre du Nagorno-Karabakh, perdue en novembre 2020 par la petite Arménie (moins de 3 millions d’habitants) face à l’Azerbaïdjan (plus de 10 millions d’habitants), a provoqué un élan de solidarité mondiale qui a été entendu jusque sur les bancs de l’Assemblée de Corse. Au Parlement européen, je co-préside avec la socialiste Sylvie Guillaume et le PPE (droite) Peter Von Dalen le groupe d’amitié créé alors que la guerre faisait rage. Le cessez-le-feu est intervenu, mais la menace continue, plus forte que jamais.

 

 

La menace pèse sur le Nagorno-Karabakh, territoire de culture arménienne enclavé dans les frontières azerbaïdjanaises, qui est sous une menace directe d’épuration ethnique s’il était abandonné par la communauté internationale. Le blocus en cours depuis deux mois du seul corridor (corridor de Latchine) qui le relie à l’Arménie, comme l’était Berlin avec le reste de l’Allemagne du temps du rideau de fer, vise à l’étrangler économiquement et à fragiliser sa population afin de s’en emparer plus facilement. D’autre part, les agressions azéries contre la frontière internationalement reconnues de l’Arménie visent à l’amputer d’une partie de sa souveraineté au profit de l’Azerbaïdjan dont une partie de la population vit dans le Nakhitchevan, territoire autonome séparé du reste de l’Azerbaïdjan par le sud de l’Arménie.

Pour la diaspora arménienne, la mobilisation est totale pour soutenir le pays, et c’est à son initiative que la mission que j’ai effectuée avec Sylvie Guillaume a été organisée.

 

Une situation difficile.

L’Arménie est un quadrilatère étroit enserré entre quatre frontières. Du Nord au Sud, à l’est avec l’Azerbaïdjan, et à l’ouest avec la Turquie, ses deux plus longues frontières sont fermées.  Au Nord (Géorgie) et au sud (Iran) les frontières laissent passer une certaine activité économique malgré le relief montagneux très accentué de ce pays du « Petit Caucase ».

Avec la Turquie, la fermeture de la frontière date du génocide qui en 1915 a éliminé physiquement des millions d’arméniens vivant dans l’ancien empire ottoman. L’actuelle Arménie, alors sous protectorat du tsar de Russie, a échappé aux pogroms, et est devenue ensuite, après la Révolution d’Octobre 1917, une des Républiques Soviétiques. À ce titre, elle abrite une base russe historique, tandis que la Turquie abrite de son côté son équivalent américain depuis les débuts de la guerre froide.

Cette longue période historique a pris fin en 1991, quand s’est effondrée l’Union soviétique. L’Arménie est alors devenu indépendante et a progressivement construit sa démocratie qui est désormais reconnue comme telle par les instances internationales.

Ce qui n’est pas le cas de l’Azerbaïdjan voisin, également ancienne République soviétique, unanimement reconnu comme une dictature absolue, dirigée par Aliev père puis Aliev fils, qui bénéficient des importantes ressources pétrolières et gazières de la mer Caspienne autour de Bakou.

Le Nagorno-Karabagh, nom officiel inventé par l’Union Soviétique, en réalité appelé Artzakh par la population arménienne qui y vit, a proclamé son indépendance en 1991 dans la foulée de la disparition de l’Union soviétique. Mais l’Azerbaïdjan la refuse catégoriquement. Une première guerre en 1991 a tourné à leur avantage et leur a permis de tenir un referendum d’autodétermination. En 2020, grâce à son alliance avec la Turquie, Bakou a relancé la guerre et il l’a cette fois gagnée en 44 jours. Depuis, malgré l’accord de cessez-le-feu placé sous supervision de l’armée russe, la situation devient chaque jour plus critique pour les 120.000 arméniens qui y vivent.

 

Indispensable solidarité internationale.

Si le Nagorno-Karabakh et l’Arménie sortent des projecteurs de l’actualité mondiale, ils seront aussitôt menacés de nouvelles agressions. Or le calendrier international, entièrement focalisé sur la guerre en Ukraine depuis un an, contribue à renforcer les prétentions du dictateur de Bakou qui profite notamment du contexte de l’approvisionnement en gaz de l’Europe depuis ses gisements de la mer Caspienne. Il fait même d’une pierre deux coups : le premier côté Europe à qui il vend son gaz, et le second côté russe en recyclant en contrebande de l’embargo décidé par les alliés de l’Ukraine du gaz venu de Russie.

Pendant ce temps, la pression militaire augmente dangereusement contre l’Arménie. C’est dans ce contexte que nous avons mené une visite officielle à l’invitation d’une importante organisation de la diaspora arménienne en lien avec les autorités locales.

Notre voyage a consisté d’une part à rencontrer de nombreux officiels, du gouvernement et de son opposition, les autorités religieuses de l’église arménienne, la plus ancienne de toute la chrétienté, et des représentants de l’Etat. D’un autre côté, nous avons été sur le terrain des tensions actuelles, vers la ville de Goris qui est la porte d’entrée côté arménien du corridor de Latchine toujours bloqué par des activistes manipulés par le régime de Bakou. L’Arménie est un pays tout en longueur, plateau fertile et peuplé au nord où se trouve la capitale Erevan, zone montagneuse bien moins peuplée dans le sud où l’on passe de vallée en vallée en franchissant des cols de haute altitude fortement enneigés. Le périple pour se rendre à Goris est donc long avant d’arriver dans cette ville de 30.000 habitants connue pour son habitat troglodyte qui date de l’Antiquité. La ville est dans une cuvette environnée de nombreuses montagnes enneigées. Les plus proches sont désormais prises par l’armée azérie qui menace à tout instant de bombarder la ville.

C’est dans cette insécurité structurelle que vivent ses habitants. Nous visitons un village alentour où des bombardements ont été effectués en septembre dernier. La population résiste courageusement, mais elle sait que le rapport de forces est inégal. L’armée russe, au nom des accords d’entraide passés depuis toujours avec l’Arménie, ont positionné leurs 500 soldats dans une caserne voisine à Goris, mais pas un seul mouvement n’a été opéré quand l’armée azérie a lancé sa dernière attaque. Et, de l’autre côté de la montagne, au Nagorno-Karabakh victime d’un blocus illégal, les « casques bleus » russes restent là aussi inertes, se contentant de soulager très partiellement les privations que ce blocus provoque.

En fait cet attentisme répond à un glissement des alliances sur fond de guerre en Ukraine qui rapproche la Russie de Bakou et Ankara dont la neutralité de façade est capitale pour Moscou. Mais pour autant impossible d’envisager des casques bleus de substitution à ceux fournis par l’armée russe vu les antagonismes nés en Ukraine.

 

L’Union Européenne doit s’impliquer pour donner un nouvel espoir.

Dans ce contexte la mise en place d’une mission d’observation par l’Union européenne, pour modeste qu’elle soit, est une initiative qui leur donne un véritable ballon d’oxygène. Le ministre de la Défense nous l’explique : chaque agression azérie est précédée par une campagne de « fake news » qui font état d’une « provocation arménienne » pour la justifier. Pour lui le risque d’agression est divisé par deux dès l’instant qu’une instance indépendante pourra démentir ces discours de propagande. Avec Sylvie Guillaume, nous avons rendu visite aux tous premiers « observateurs de l’Europe », un portugais et une polonaise, dans les locaux où ils sont en train d’emménager. Leur présence est le résultat direct des résolutions successives votées à notre insistance au Parlement européen.

Les politiques arméniens se félicitent de cet engagement de long terme de l’UE (deux ans) qui est la première fois qu’une puissance autre que la Russie s’engage sur le terrain. En fait que ce soient les maires de Goris et Verishen exposés en première ligne sur le front, les soutiens du gouvernement actuel ou leur opposition, tous sont unanimes : plus l’Union européenne s’impliquera, plus l’espoir se renforcera en Arménie. Pour tous, l’arrivée officielle de l’Union européenne sur le théâtre du conflit est la première bonne nouvelle depuis très longtemps.

La conférence de presse que nous avons donnée au moment du départ a confirmé l’intérêt porté par l’opinion arménienne qui voit dans l’Europe une perspective crédible pour la Paix et la sécurité. La guerre en Ukraine a ouvert un chapitre pour l’élargissement de l’Europe à l’Est, de l’Ukraine à la Moldavie, et jusqu’à la Géorgie pays limitrophe au nord de l’Arménie. Cette démocratie, si européenne dans ses fondements culturels et politiques, ne doit surtout pas être oubliée. Tous regardent vers l’Europe. Il faut les soutenir. •

François Alfonsi.