Le 9 novembre 2020, l’Arménie et l’Azerbaïdjan signaient sous l’égide de la Russie un accord de cessez-le-feu mettant fin à quarante-quatre jours de guerre au Nagorno-Karabakh, région peuplée historiquement d’Arméniens. Déclenchée par l’Azerbaïdjan qui a développé avec le concours de la Turquie une puissance militaire très supérieure à ce que pouvait opposer la République d’Artzakh, cette guerre a tourné à l’avantage des agresseurs qui ont occupé de nombreux territoires, et qui continuent de meurtrir une population arménienne très menacée dans sa survie. L’accord de cessez-le-feu, a prévu que les deux parties devaient libérer leurs prisonniers de guerre respectifs. Or, six mois après l’arrêt des hostilités, le régime de Bakou refuse toujours d’appliquer cette clause basique du droit humanitaire : la libération des prisonniers de guerre.
Ce mardi 11 mai, une web-conférence a eu lieu à l’initiative du groupe d’amitié avec le peuple arménien d’Artsakh. Elle était animée par François Alfonsi, et elle a permis de faire entendre depuis Stepanakert (la capitale) les témoignages de la Vice-Ministre des Affaires étrangères de la République d’Artsakh, Arminé Aleksanyan, et du défenseur des droits de l’Homme, Gegham Stepanyan, Huit députés, de différents groupes (Verts-ALE, Socialistes, PPE, La Gauche), ont participé à cet échange. Ils se sont engagés à les soutenir au Parlement Européen.
Quelle est la situation concrète des prisonniers de guerre arméniens en Azerbaïdjan ?
Arminé Aleksanyan : Les deux parties du conflit, Arménie et Azerbaïdjan, devaient libérer leurs prisonniers de guerre, mais le président azéri, Ilham Aliyev, refuse encore à ce jour de se plier à ses obligations internationales en détenant près de soixante arméniens – si l’on s’en tient aux chiffres officiels – qu’il considère comme « terroristes ».
Selon l’estimation des russes, garants de la paix sur le territoire, il y aurait environ deux mille prisonniers de guerre. Il est bien difficile d’obtenir des chiffres fiables, les disparitions étant habituelles, et les organisations internationales ne pouvant pas se rendre sur place, ce qui va à l’encontre de la Convention de Genève.
Par ailleurs, les lois du droit international sur le traitement des prisonniers de guerre sont bafouées. Un rapport fait état du traitement des captifs arméniens par les azéris : des vidéos d’exécutions sommaires, de tortures infligées à des soldats aussi bien qu’à des civils arméniens, laissant présager le pire dans un pays qui se positionne à la 168e place sur 180 dans le classement relatif à la liberté de presse. Amnesty International a interrogé les anciens captifs qui, de manière unanime, décrivent les passages à tabac et mécanismes de tortures répétés.
Gegham Stepanyan : Par exemple deux civils, un père et son fils, dont le père a été rapatrié sur le territoire d’Erevan en décembre 2020, mais son fils n’est jamais rentré. Ce n’est que son corps, marqué par la torture, qui a pu être rapatrié en Arménie quelques mois plus tard.
Le « military trophy park » a été ouvert à Bakou par le Président azéri Aliyev, qui met en scène des soldats et prisonniers Arméniens comme des trophées de guerre. C’est effroyable.
Le constat est sans appel : le mécanisme légal du droit international a échoué à protéger les civils et prisonniers Arméniens. Pourtant, le droit humanitaire exige que les belligérants d’un conflit armé traitent les prisonniers de guerre avec humanité en toutes circonstances. La troisième Convention de Genève protège les prisonniers de guerre notamment contre les actes de violence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique. L’Azerbaïdjan est également lié par l’interdiction absolue de la torture et des autres traitements dégradants ou inhumains, telle qu’énoncée dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), auxquels il est partie prenante. Aliyev ignore et méprise tous ces engagements.
Arminé Aleksanyan : Le silence de la communauté internationale est assourdissant. Des lettres ont été envoyées aux autorités et organisations pertinentes pour demander le retour des prisonniers arméniens. Pour autant, le sujet semble avoir du mal à se faire entendre. Il faut que la communauté internationale fasse pression sur l’Azerbaïdjan pour l’exhorter à remplir ses obligations internationales et rapatrier les captifs arméniens aujourd’hui en réel danger de mort.
Quelle est la vie quotidienne au Nagorno-Karabakh ?
Arminé Aleksanyan : La vie a changé dans la République d’Artsakh où le climat est toujours plus délétère. Intimidations, coupures de courant, coupures d’eau, coupures d’internet… Pour faire fuir les arméniens, les azerbaidjanais s’emploient à la propagation de la terreur, pour renforcer un sentiment d’insécurité déjà bien ancré sur ce territoire transcaucasien. À Choucha, ville occupée par l’armée azérie, qui n’est plus accessible que par drone, Bakou détruit l’héritage arménien pour tenter d’en faire une ville culturelle d’Azerbaïdjan. La cathédrale arménienne Ghazanchetsots, connue sous le nom d’Église bleue, a été bombardée. L’Unesco et l’ONU se doivent de réagir, avant que Bakou ne réussisse à gommer complètement la culture arménienne.
Gegham Stepanyan : Pour l’heure, les exactions commises par Bakou brisent tout espoir d’un retour à la vie normale pour ce qu’il reste du peuple arménien sur ses terres ancestrales, un peu plus de cent ans après le génocide de 1915. Le besoin d’un garant international pour coordonner le projet de paix est désormais urgent.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes devra également être réaffirmé, afin que le territoire du Haut-Karabakh soit préservé de toute annexion par la force en Azerbaïdjan, et pour que le peuple arménien puisse construire son avenir librement dans sa patrie historique. •