Du 24 au 26 mars, l’Institut supérieur des langues de la République française (ISLRF) fêtait à Strasbourg ses 25 ans d’existence et tenait ses 9es rencontres de l’immersion. Une délégation de Scola Corsa était présente, ainsi que le député européen François Alfonsi qui soutient l’ensemble de ces réseaux associatifs immersifs et a contribué à sa mise en place en Corse. Débats, ateliers et animations au menu, ces rencontres sont bénéfiques et témoignent de la vitalité de nos langues.
Créé il y a 25 ans sous l’appellation provocatrice de l’Institut supérieur des langues de la République française, l’ISLRF regroupe toutes les langues régionales niées dans leur droit et dans leur existence, qui ont fondé pour leur survie plusieurs réseaux d’enseignement immersif dans ces langues, respectivement ABCM Zweisprachigkeit pour l’alsacien, Diwan pour le breton, Bressola pour le catalan, Calendreta pour l’occitan, Seaska pour le basque et, dernier né, le réseau associatif en langue corse, Scola Corsa. Tous sont regroupés au sein de la Fédération Eskolim pour travailler à progresser ensemble, et adhèrent à l’ISLRF qui assure la mission vitale de la formation des enseignants de ces réseaux.
Scola Corsa, chaleureusement applaudie, était représentée à Strasbourg par son président, Ghjiseppu Turchini, sa directrice Anna Catalina Santucci et deux membres du conseil d’administration Jeanne Julien et Jean Pierre Luciani. « L’SLRF est le témoignage vivant, en acte, de l’esprit d’ouverture des réseaux d’enseignement immersif » dit son président Jean Louis Blenet, également vice-président des Calendretas en Occitanie, « il s’agit par notre action de défendre nos langues car le cadre institutionnel et administratif français leur est tout à fait hostile ». Mais « l’immersion est un combat car sa situation est encore tout à fait précaire. Songeons que si nos langues sont inscrites dans la Constitution, elles sont interdites d’usage dans tous les domaines administratifs et juridiques et que, de surcroît, leur orthographe est elle-même anticonstitutionnelle ! »
« Je dois dire toute l’admiration que nous avons pour le travail que l’ISLRF effectue depuis tant d’années » a salué l’eurodéputé François Alfonsi qui a insisté sur la période cruciale qui s’ouvre pour ces langues (lire l’interview par ailleurs).
Ces différents réseaux d’enseignement immersif sont sous contrat avec l’Éducation nationale, respectant les programmes d’enseignement, et présentant leurs élèves aux examens du baccalauréat où, d’ailleurs, leurs lycées comptent parmi les meilleurs résultats de France (lire par ailleurs).
Centre de formation, de recherche et de ressources sur l’immersion linguistique, commun à tous les réseaux d’enseignement immersif, l’ISLRF organise ses formations de manière décentralisées, confiées à des établissements dédiés pour chaque langue*. « En coordonnant les formations initiales des maîtres et en stimulant la recherche appliquée autour des apprentissages en immersion, notre institut rassemble des expériences et accumule du savoir sur ce domaine précis. Il contribue à faire émerger de la recherche et du développement autour des connaissances, des moyens humains et des outils de nature à concourir au succès de l’immersion linguistique précoce et prolongée utilisée comme vecteur principal d’apprentissage dans les établissements scolaires adhérents » expliquent les responsables de l’institut. « L’ISLRF attache une importance particulière aux voies pédagogiques qui permettent aux élèves de passer du bilinguisme précoce vers un plurilinguisme efficace à l’adolescence puis à l’âge adulte. Notre travail a également pour objectif de promouvoir les langues régionales ».
Ainsi l’immersion permet de former à des échelles plus grandes de véritables locuteurs dans les langues régionales, ce qui n’est pas fait dans le cadre de l’Éducation nationale. La force du réseau immersif c’est aussi de former ses maîtres à une pédagogie avec pour objectif pour l’enfant non seulement de maîtriser sa langue et bien sûr toutes les matières d’un enseignement classique, mais surtout de s’exprimer quotidiennement dans cette langue régionale, avec ses maîtres, avec ses camarades, avec ses parents et son entourage une fois rentré à la maison. Et c’est bien cet usage naturel et quotidien qui sauvera nos langues. Pouvoir parler, c’est la base.
« Dans notre République il y a des choses gracieuses » a conclu ironiquement dans son introduction Jean-Louis Blenet, comme pour souligner le ridicule de la situation qui opprime les langues régionales en France : « notre Conseil constitutionnel a statué en 2021 (dans le cadre du débat sur la loi Molac) que nos systèmes immersifs devaient être interdits et je rappelle la formulation dans ses attendus : “attendu que ces réseaux ne se bornent pas à enseigner les langues mais les emploient”… c’est bien de démarrer des journées pédagogiques à partir de ce point de départ qui est l’ensemble du programme pédagogique de la France pour les langues : on les enseigne, jamais pour les parler ! Ce qui est tout à fait extraordinaire. La France se borne dans ce domaine-là à donner un savoir de médecin légiste, tu sais tout de la vie du défunt, mais nous, on est vivant et on veut savoir comment vivre ! L’état de la pédagogie pour les langues en France, c’est on enseigne, surtout pas pour parler ! À partir de là, on peut largement faire mieux, so che farem ! »
Et c’est bien ce que font ces réseaux immersifs depuis toutes ces années. L’ensemble Eskolim compte 14.474 élèves, 187 établissements, 167 écoles, 16 collèges et 4 lycées. L’ISLRF a formé des centaines de maîtres depuis sa création et fait progresser remarquablement le combat pour les langues régionales au niveau quantitatif et qualitatif. Une dynamique contagieuse y compris dans le domaine public car cette poussée associative engage l’Éducation nationale à ouvrir des sites bilingues publics. Mais le chemin d’une totale reconnaissance est encore long. Allora, longa vita à l’insignamentu immersivu è forza à tutti i so retali ! •
Fabiana Giovannini
* USBELDUNG pour l’Alsace, CFP-Catalan pour Bressola, APRENE pour Calendreta, KELENN pour Diwan, CFP-Seaska pour les Basques et il existe des conventions avec l’AFPA et ISPE de Corse pour Scola Corsa.