Ghjiseppu Turchini, presidente di Scola Corsa

« Avec l’école, les courbes d’érosion s’inversent »

Ghjiseppu, il y a moins de deux ans, tu as accepté de prendre le relais de la présidence de l’Associu Scola Corsa pour lancer la filière de l’enseignement associatif immersif en Corse, à l’image de Seaska au Pays Basque ou Diwan en Bretagne. À la rentrée dernière, 25 enfants se sont inscrits pour suivre une scolarité en immersion lors de l’année 21-22 à Bastia et Biguglia. Ils seront près du triple l’an prochain, par le dédoublement des classes de ces deux premiers sites et l’ouverture d’un troisième site à Sàrrula è Carcupinu dans le sud. Scola Corsa connaît un beau lancement !

Il est effectivement très satisfaisant de réaliser qu’en moins de deux ans nous ayons pu relever une telle gageure. Bien des problèmes ont été solutionnés et, qui plus est, nous avons eu l’immense satisfaction de voir nous rejoindre dans notre démarche des dizaines d’acteurs sans lesquels rien n’eût été possible. Je pense à nos salariés qui ont franchi le pas de mettre entre parenthèses une carrière bien engagée dans l’Éducation nationale afin de s’investir dans ce projet pourtant encore hypothétique quand il a démarré. Je pense aussi aux parents qui nous ont confié leurs enfants d’emblée : quelle marque de confiance ! Et quelle preuve d’amour pour notre langue ! J’ai été également frappé par la motivation qui anime les assistantes maternelles qui sont un maillon essentiel de la réussite pédagogique de la filière car elles généralisent l’usage de la langue dans l’expression courante de la vie quotidienne de l’enfant, en dehors du cadre strict de la classe, en récréation, à la cantine, durant les heures de garderie… etc.

Que dire des adhérents de l’association, toujours disponibles pour faire face aux tâches quotidiennes comme aux imprévus, ainsi qu’aux donateurs et aux entreprises mécènes qui nous ont assuré des fonds propres suffisants grâce auxquels nous avons pu nous lancer et boucler ce premier exercice. N’oublions pas la mobilisation des élus des communes de Biguglia et Bastia, et désormais de Sarrula è Carcupinu ; ils ont permis d’enraciner notre projet et ont largement contribué à ce premier succès. Enfin la Collectivité de Corse qui nous a octroyé sa première subvention et ses élus qui ont demandé à l’unanimité la contractualisation de nos classes. Que toutes les personnes citées soient ici chaleureusement remerciées pour la part respective qu’ils ont amenée à notre commun édifice.

 

Quelle est la plus-value de Scola Corsa pour l’acquisition de la langue par l’enfant ?

Un constat s’impose : le corse n’est plus la langue maternelle (étymologiquement : transmise par la mère.) Seuls 8 % des Corses apprennent encore la langue à leurs enfants dans un bilinguisme originel corse-français, et seulement un quart d’entre eux (2 % !) optent pour un monolinguisme corse initial. Par contre, avec l’appui de l’école, tout devient plus facile et les courbes d’érosion s’inversent. Parmi les premiers 25 enfants que nous avons scolarisés l’an dernier, plusieurs ont des parents non-corsophones. Ils suivent sans problème la même progression que les autres. Tous les géniteurs sont enchantés de voir leurs enfants revenir à la maison en s’exprimant spontanément avec eux en langue corse. Les enseignantes sont fières de leurs résultats car les élèves ont tous, au bout d’un an, acquis un niveau d’expression incomparable à celui qu’elles ont constaté lors de précédentes expériences professionnelles. L’immersion est bien le seul espoir d’avenir pour la langue corse. Toutes les expériences menées dans le monde entier nous le démontrent très clairement.

 

Comment se présente la rentrée de septembre 2022 ?

À vrai dire, très bien. Les cohortes de nos deux sites pionniers montent d’un niveau en grande section et nous accueillons de nouveaux effectifs d’enfants du premier âge en petite et moyenne section, 20 à Bastia (total 35 enfants) et 15 à Biguglia (total 25 enfants). À Sarrula è Carcupinu, nous avons eu quelques inquiétudes mais finalement, grâce à l’engagement du maire, de son équipe municipale et de la CAPA, les voilà levées et l’école ouvrira comme prévu dès septembre dans de très bonnes conditions. La douzaine d’élèves attendus portera le total de nos effectifs à plus de 70 enfants.  L’an prochain, il nous faudra commencer à mettre en place la classe de CP, une étape très importante car elle accueillera la toute première génération à faire l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en langue corse. À ce titre, nous avons fondé notre premier organisme de formation professionnelle qui, en collaboration avec l’AFPA, créera un vivier d’enseignants et d’aides maternelles pour les années à venir. À chaque fois il faut soulever des montagnes, parfois on peut se décourager un bref instant, mais, in fine, on y arrive.

 

Il y aura donc aussi de nouveaux enseignants ?

Les recrutements ont été opérés pour la rentée 2022, trois enseignantes et trois assistantes maternelles. Avec de nombreuses candidatures, toutes de qualité, cela a été l’occasion de vérifier l’intérêt que suscite notre démarche.

Ont été retenues une enseignante confirmée qui a formulé une demande de mise en disponibilité de l’EN, une autre débutante qui vient de réussir son concours de professeur des écoles, et parmi les candidates la plupart avaient le niveau nécessaire. Beaucoup intègrent notre formation et deviendront à court terme d’excellentes institutrices ou aides maternelles. Il faut bien comprendre que nous nous apprêtons à passer de deux classes en 2021 à cinq classes en 2022. En 2023, l’arrivée d’une nouvelle cohorte sur chacun des sites générera trois nouveaux besoins d’enseignants, plus d’autres dans de nouveaux sites qui, j’espère, pourront ouvrir partout en Corse. Et ainsi de suite chaque année.

 

À terme, quel est l’objectif souhaité ?

Pour donner un ordre de grandeur, au Pays basque nord, dont la population est équivalente à celle de la Corse (300 000 habitants), Seaska dispose de 270 enseignants qui encadrent 4 500 élèves. Dans l’île, au bout de 15 ans, quand les enfants de la première année de maternelle de la rentrée scolaire 2021 passeront leur bac, l’idéal serait de s’approcher de cette configuration. Au Pays basque nord toujours, le service public et le confessionnel complète le dispositif et un enfant sur trois du primaire est désormais scolarisé dans l’immersif. Un exemple à suivre pour tous !

 

Comment faire face aux besoins financiers de ce dispositif ?

La clef de l’équilibre économique de la filière est la contractualisation progressive de nos classes par l’Éducation nationale. Cette contractualisation est en place partout dans les 5 autres réseaux de la fédération Eskolim et elle assure environ 75 % du budget des structures respectives. La Corse n’en bénéficie pas encore car nous étions dans « l’année 1 » de notre existence et seule une classe déjà en activité peut prétendre recevoir le précieux label. La contractualisation ouvre droit à trois principes fondamentaux : 1/ la prise en charge du salaire de l’enseignant ; 2/ la sécurisation du financement à travers le forfait scolaire versé par les mairies au prorata du nombre d’élèves inscrits ; 3/ la création d’un concours spécifique et d’un institut de formation supérieur financé par l’ISLRF* et l’État et l’ouverture annuelle de postes à ce concours.

 

Scola Corsa peut-elle prétendre à cette contractualisation ?

Nos deux premières classes de Bastia et Biguglia peuvent légitimement bénéficier dès cette année de cette contractualisation. En effet, il existe une dérogation à la période probatoire de 3 ou 5 ans prévue par les textes. De plus, le critère des 300 logements neufs sur les communes concernées par la scolarisation des enfants qui permet une dérogation directe est largement atteint dans le bassin de population du Grand Bastia. La visite pédagogique dépêchée par les services académiques de Haute-Corse en mai dernier a par ailleurs fait l’objet d’un rapport positif. Je le disais en préambule, l’Assemblée de Corse a délibéré à l’unanimité pour soutenir cette demande. Elle n’a pas encore abouti, mais nous avons bon espoir compte tenu des négociations en cours. Des courriers ont été adressés en ce sens aux ministres de l’Intérieur et de l’Éducation nationale.

Partout ailleurs dans le réseau Eskolim, les 25 % de financements restants sont obtenus par des subventions des collectivités, du mécénat, des dons ou le produit de manifestations culturelles.

À cet égard, je tiens à remercier une fois de plus les 320 particuliers, les 35 entreprises et les nombreuses associations qui nous ont apporté leur généreux soutien. Tous nous prouvent que nous pouvons compter sur l’élan sociétal engendré par cette démarche qui est celle de tous.

Après la rentrée, probablement en décembre, nous organiserons de grandes manifestations avec colloques et soirées culturelles et intervention de nos homologues du Continent ou de l’Europe.

 

U to sìntimu generale dopu à sta prim’annata ?

Eccu, ci hè riesciutu à lampà a mossa. Hè stata sguassata una prima sfida ma ci appruntemu oramai à achjassà à Scola Corsa nant’à vie sigure è diviziose. Per quessa ci hà da vulè fede, energia è mezi. L’aiutu chì ci hè statu portu sin’à avà, ci incuragisce è ci puntelleghja in a nostra determinazione. Ci tocca à custruisce una scola aperta, d’integrazione suciale, forte di a so identità è di a so cultura patrimuniale è aperta nant’à orizonti arricchiscenti. Cù l’impegnu di tutti ci emu da ghjunghje. Inseme, spanneremu a nostra lingua ! •