Parmi les choses qu’il faut savoir au niveau des militants qui mènent un combat de libération nationale, Willy Kuijpers s’est toujours fait l’avocat de toutes nos causes. Il était ainsi un ardent défenseur des langues et cultures minoritaires et il est à l’origine de ce qui donna naissance à la Charte des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe.
Le 30 octobre 1987 en effet, le Parlement européen adoptait à une large majorité la « Résolution Kuijpers » pour les langues et cultures les moins répandues. Alors député européen, il avait œuvré et faisait partie d’un Inter-groupe pour les langues moins répandues regroupant députés venus de divers horizons politiques.
Entre 1984 et 1987, pas moins de douze motions différentes ont été déposées en faveur de ces langues, autant d’étapes importantes qui ont permis l’adoption par le Parlement européen de la Résolution Kujpers. Ce document contient 36 recommandations adressées aux États membres, au Conseil des Ministres et à la Commission des Communautés européennes de l’époque. C’était là l’ossature de ce qui est devenue, plus tard, au terme d’un processus réglementaire fastidieux, la Charte des langues et cultures régionales ou minoritaires, adoptée le 16 mars 1988 à travers la Résolution 192 du Conseil de l’Europe. Un comité d’experts a été alors mis en place pour traduire cette résolution dans une Charte qui naît formellement en 1992 au terme de la signature puis la ratification de plusieurs États. La ratification est nécessaire à l’application de la Charte. Et cette application est contrôlée par un Comité d’experts. De même, le Conseil de l’Europe prône son adoption auprès des États qui ne l’ont pas encore ratifiée. C’est le cas, sans surprise hélas, de la France qui l’a signée le 7 mai 1999 mais qui ne l’a jamais ratifiée empêchant son application effective.
La Charte a apporté un progrès incontestable pour nombre de langues et cultures minorées en Europe, par l’augmentation des budgets consacrés à ces langues, mais aussi et surtout dans certains droits au niveau du soutien à l’enseignement, à la pratique quotidienne, à l’expression culturelle, à la reconnaissance de ces langues. Assurer leur sauvegarde, faciliter leur promotion et leur usage écrit et oral, dans la vie publique ou privée, au niveau culturel, économique, social, politique, de la justice, des médias, ou encore des échanges transfrontaliers, développer leur enseignement de et dans ces langues, interdire toute discrimination, exclusion ou restriction, tous ces objectifs sont déclinés dans différentes mesures et la Charte offre plusieurs niveaux d’application.
Comme toute résolution, elle interpelle toutes les instances européennes qui doivent se saisir de ses recommandations et les transcrire concrètement dans les faits. Nombre d’États membres s’en sont depuis saisis pour légiférer au sein de leurs institutions et apporter une reconnaissance politique à ces langues et cultures menacées.
De même en dehors des institutions européennes, nombre de travaux au sein de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, de la Conférence Permanente des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l’Europe du Conseil de l’Europe, ou encore de conférences internationales sur les droits des peuples, se sont appuyés sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pour agir en faveur de ces langues.
Le travail est encore long, et d’aucuns estiment aujourd’hui certaines préconisations dépassées par les besoins actuels, comme en Corse qui revendique la coofficialité de la langue corse. Pour autant, la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires serait une avancée indéniable en France. •
Fabiana Giovannini.
Défense des langues minorées – Extraits de la Résolution Kuijpers
« Recommande aux États membres de prendre notamment les mesures suivantes en matière d’enseignement :
… donner dans les régions linguistiques concernées, une dimension officielle à l’enseignement des langues régionales et minoritaires et placé sur le même pied que l’enseignement des langues nationales, et ce, du niveau préscolaire à l’université et à l’éducation permanente,
… reconnaître officiellement les cours, classes et écoles créées par les associations habilitées à enseigner en vertu des dispositions nationales en vigueur et utilisant comme langue d’enseignement général une langue régionale ou minoritaire,
… consacrer une attention particulière à la formation d’enseignants dans les langues régionales ou minoritaires et fournir les moyens pédagogiques nécessaires à la mise en œuvre des mesures précitées,
… favoriser l’information sur les possibilités d’enseignement concernant les langues régionales ou minoritaires,
… assurer l’équivalence des diplômes, certificats et autres titres et capacités professionnelles, de manière à faciliter aux groupes régionaux ou minoritaires de tel État membre l’accès au marché du travail de communautés culturelles apparentées de tel autre État membre. »« Recommande aux États membres de prendre notamment les mesures suivantes en matières administratives et judiciaire :
… garantir d’une façon directe, par des dispositions législatives, le droit d’utiliser les langues régionales et minoritaires, en premier lieu au niveau des collectivités locales où l’existence d’une minorité fait partie des réalités,
… réviser les lois et pratiques nationales qui discriminent les langues des minorités, comme demandé dans la résolution sur la montée du fascisme et du racisme en Europe,
… prescrire également l’usage des langues nationales, régionales et minoritaires aux services décentralisés de l’État dans les régions concernées,
… reconnaître officiellement les patronymes et toponymes établis dans les langues régionales ou minoritaires,
… autoriser l’inscription, sur les listes électorales, de noms de lieu et autres indications établis dans les langues régionales ou minoritaires. » •