Parlement

Le retour des langues régionales grâce au Sénat

Avoir un groupe à l’Assemblée Nationale, c’est fait depuis 2018 avec le groupe Libertés et Territoires créé à l’initiative particulièrement de Jean Félix Acquaviva alors totalement impliqué dans cette démarche pour atteindre le seuil requis de quinze députés. Avoir un groupe au Sénat a été rendu possible par les résultats du scrutin de septembre dernier; l’élection de quelques sénateurs écologistes suite à leurs succès remportés aux municipales, et à celle d’un sénateur nationaliste en Corse, Paulu Santu Parigi, qui a rejoint leur groupe de douze sénateurs alors que dix était le minimum nécessaire. La cause des langues régionales a bénéficié de ces avancées politiques au sein du Parlement, Assemblée Nationale et Sénat, le 10 décembre dernier.

 

À l’origine du retour en force de cette question des langues régionales généralement marginalisée sur la scène politique française, il y a le député breton Paul Molac apparenté UDB, qui a été un des tout premiers à rejoindre le groupe Libertés et Territoires à l’Assemblée Nationale.
Quel est l’intérêt de faire partie d’un groupe plutôt que de siéger parmi les non-inscrits? Le premier et principal d’entre eux est de disposer d’une «niche parlementaire» durant laquelle le groupe peut défendre une «proposition de loi», alors que l’initiative parlementaire est le reste du temps un pouvoir exclusif du gouvernement, seul habilité à déposer des «projets de loi».

 

En fin d’année 2019, le Collectif «Pour Que Vivent Nos Langues», créé dans les locaux parisiens du Parlement Européen, avait déjà capitalisé une mobilisation remarquée en rassemblant mille personnes devant les portes du Ministère de l’Éducation Nationale, en protestation contre la réforme Blanquer «linguicide» pour les langues régionales.
Le député Paul Molac, militant reconnu de la langue bretonne, est avec moi au cœur de cette mobilisation. Aussi il obtient de son groupe «Liberté et Territoires» de consacrer une partie de sa niche parlementaire de février 2020 au dépôt d’une proposition de loi sur la question des langues régionales.

Cette proposition de loi comprend trois volets, et douze articles. Le premier volet porte sur l’aspect patrimonial, et l’implication des régions concernées, en lien avec l’article 75-1 de la Constitution qui énonce que les «langues régionales sont le patrimoine de la République». Un article porte sur une question qui a fait l’actualité en Bretagne autour de l’enregistrement de bébés prénommés Fañch, écrit avec son tildé sur le «ñ», signe diacritique qui ne figure pas dans les caractères officiels attachés au français, et qui, puisque «la langue de la République est le français» selon l’article 2 de la Constitution, n’est pas admis par l’administration. Les neuf autres articles portent sur les langues régionales et leur place dans l’Éducation.

 

Le 13 février, Paul Molac défend sa proposition de loi dans l’Hémicycle du Palais Bourbon contre Jean Michel Blanquer venu en personne en combattre le contenu. Si les trois premiers articles, les deux sur le patrimoine, et celui sur le tildé, passent malgré des oppositions en commission, le Ministre se dresse pour faire barrage à tous les articles concernant les langues régionales dans l’Éducation, en obtenant du groupe de la majorité présidentielle leur rejet systématique.

Il en profite même, preuve de son obsession méthodique à les combattre, pour faire passer un dispositif technique mettant à mal les écoles associatives immersives. Celles-ci, en Bretagne (Diwan), en Alsace (ABCM), en Catalogne (Bressola), en Occitanie (Calandreta) et au Pays Basque (Seaska), se développent en parallèle des écoles de l’Éducation Nationale, et doivent intégrer le repas des enfants à midi. Ce dernier est à la charge des communes d’origine des enfants dans le primaire, pour qui elle est une dépense obligatoire y compris quand l’école est sur une autre commune, ce qui est le cas de façon générale pour les écoles immersives, moins nombreuses, surtout au départ. Blanquer fait en sorte que la dépense soit désormais facultative, mettant ainsi en péril l’équilibre économique des écoles associatives bretonnes, basques, occitanes, catalanes et alsaciennes.

 

Mais une proposition de loi n’a pas fini sa vie après sa première lecture à l’Assemblée Nationale. Elle peut la poursuivre au Sénat selon la procédure de la «navette parlementaire», par un examen des sénateurs, avant son vote en seconde lecture par l’Assemblée Nationale.

Pour qu’une proposition de loi d’un des groupes de l’Assemblée Nationale soit débattue au Sénat, il faut qu’un groupe de sénateurs le demande. Comme en octobre 2020 a été créé le groupe «Écologiste – Solidarité et Territoires» dans lequel siège Paulu Santu Parigi, la proposition de loi Paul Molac a pu être débattue au Sénat le 10 décembre 2020, à nouveau en présence du Ministre de l’Éducation Nationale Jean Michel Blanquer.
La rapporteur, l’écologiste Monique de Marco, élue en Gironde, a repris à son compte avec brio les propositions énoncées sur l’enseignement des langues régionales, et détricoté les dispositions du Ministre sur le financement des écoles primaires par le forfait scolaire redevenu obligatoire.
À chaque amendement, dont celui présenté par Paulu Santu Parigi en faveur de l’enseignement par immersion, Jean Michel Blanquer a demandé un vote négatif, ce qui lui a été refusé à chaque fois par une large majorité de sénateurs, le groupe Écologiste Solidarité et Territoires ayant réussi à obtenir le soutien de cinq autres groupes du Sénat. Le Ministre Blanquer est reparti totalement défait du Sénat.

Résultat: pour les quelques articles qui avaient été votés à l’Assemblée Nationale, leur vote au Sénat les rend définitifs. L’État Civil ne pourra plus refuser d’enregistrer un petit Fañch!
Pour les articles sur la place des langues dans l’Éducation, la question est renvoyée pour un vote final en seconde lecture à l’Assemblée Nationale pour un nouveau débat qui aura le dernier mot. Cependant, après le vote ultra-majoritaire des sénateurs, et à deux mois des élections régionales, la partie ne sera sans doute pas aussi facile pour Jean Michel Blanquer!

Rendez-vous en avril 2021! •

François Alfonsi.