Peio Jorajuria, directeur de Seaska réseau immersif en langue basque

“On ne lâchera rien”

En marge du rendez-vous à Strasbourg des associations d’enseignement immersif en langue régionale, nous avons rencontré Peio Jorajuria, directeur du réseau Seaska des ikastolas, les écoles immersives en langue basque. Nos amis basques viennent au prix d’un combat acharné d’arracher le droit de présenter des épreuves en langue basque au brevet des collèges. Une petite victoire qui ne fait que renforcer leur détermination car le chemin de la reconnaissance est encore long. Interview.

 

Vous venez de remporter une belle victoire avec la possibilité de présenter les épreuves du brevet en langue basque, expliquez-nous…

Ces dernières années, on a énormément reculé sur la question des examens en langue basque. Avant les réformes du collège et du lycée, nos élèves pouvaient passer en langue basque toutes les épreuves du brevet du collège et deux épreuves du baccalauréat. Les réformes successives ont effacé ces dérogations et nous nous sommes retrouvés avec une épreuve de science au brevet des collèges où nos élèves avaient interdiction de révision en langue basque et sur le baccalauréat on est descendu à zéro épreuve autorisée. Un mépris absolu et une absence de reconnaissance de nos langues et du travail en immersion que l’on fait au quotidien. Tous nos élèves apprennent entièrement en langue basque toutes les matières, c’est reconnu par l’Éducation nationale, mais avec ce message implicite que s’ils continuent comme ça ils seront sanctionnés le jour des examens, puisque les examens seront en français !

 

Pour protester, les jeunes n’ont pas hésité à rédiger en langue basque malgré l’interdiction…

Ça a été une campagne qui a duré 4 ans avec beaucoup de force. Petit à petit, tous les acteurs sont rentrés en désobéissance par rapport à cette injustice. Les élèves d’abord, qui ont décidé de continuer à rédiger l’épreuve des sciences en langue basque, en sachant que ce ne serait pas corrigé et qu’ils auraient des notes catastrophiques ; des 1, des 2, des 3 sur 40, alors qu’ils avaient très bien travaillé toute l’année et qu’au premier examen, par cette discrimination, ils n’avaient pas la note qu’ils méritaient. En 4 ans, on a compté à peu près un millier d’élèves de 14 ans qui ont fait ce choix de la désobéissance.

 

Malgré cela, ils ont souvent réussi leur examen, preuve que l’enseignement immersif forme bien ?

Tout à fait. Pour le brevet des collèges, on a un taux de réussite très important. Le fait d’apprendre en langue basque n’est pas du tout pénalisant quelle que soit la matière. Et les élèves ont des résultats suffisants sur toutes les autres matières pour pouvoir se permettre de rentrer en désobéissance sur l’une d’elle. Mais au-delà des élèves, c’est aussi le corps enseignant qui est rentré en désobéissance en refusant de corriger les copies en langue française tant que les copies en langue basque n’étaient pas corrigées. Ils ont eu des sanctions financières, des blâmes. Les parents aussi ont organisé des manifestations, des chaînes humaines, des occupations. L’année dernière une occupation de 4 jours de l’Inspection académique a fait beaucoup de bruit, la police nous a expulsé à coups de gaz lacrymogène. Mais on a continué à se mobiliser. Il y a eu des soutiens de tous le corps politique. Tous les députés et sénateurs du Pays Basque sont montés à Paris pour expliquer que cette revendication était une ligne rouge, qu’on ne pouvait pas continuer à interdire l’usage de la langue basque dans les examens. La Communauté d’agglomération nous a également soutenu en organisant dans ses locaux une correction alternative, où tous les élèves qui ont rédigé en langue basque, ont été notés. Et le président de la communauté d’agglomération a remis un diplôme à chaque élève selon la note qu’il méritait. C’est une symbolique très forte.

 

Maintenant, il faut sécuriser pour le brevet et continuer à se battre pour le bac ?

On a obtenu la semaine dernière la bonne nouvelle par un courrier envoyé à l’Office public que tous nos élèves pourront rédiger l’épreuve de science en langue basque. Mais on a aucune protection. Il faut faire corriger l’arrêté concernant le brevet des collèges qui spécifie quelles sont les matières qui peuvent être passées en langue régionale. Pour l’instant cet arrêté est totalement obsolète, il ne parle que de l’épreuve d’histoire-géographie alors que nous passons également les mathématiques et l’épreuve des sciences. Il faut aussi élargir cette dérogation à tout le monde. On ne se bat pas uniquement pour nos élèves même s’ils sont évidemment pour nous prioritaires. On se bat pour une véritable politique linguistique. Et celle-ci ne peut se bâtir sur des dérogations. Il faut que les élèves du public et du privé catholique en bénéficient. De même, il faut que les élèves qui apprennent en breton, en occitan, en corse, en catalan, en alsacien, puissent avoir les mêmes droits que ceux que l’on a obtenu au Pays Basque. Et il faut qu’on se batte pour le baccalauréat. Jusqu’à présent nous avions deux épreuves en langue basque. On est descendu à zéro. C’est vraiment inadmissible. On ne lâchera rien.

 

Vous envisagez de nouvelles mobilisations ?

Ce n’est pas parce que le ministre a cédé sur le brevet, qu’on va le laisser tranquille. Le 22 avril, il y aura une très grosse manifestation sur la question des examens. Elle est prioritaire parce que le recul que l’on a vécu est symbolique des injustices que subissent nos élèves, mais on va l’élargir à toute la question de la politique linguistique en langue basque. Actuellement il y a des moyens financiers qui n’ont quasiment pas évolué depuis une quinzaine d’années. Les associations portent tout l’effort, pour l’enseignement aux adultes, pour les loisirs, c’est le militantisme qui tient la dynamique et non pas les pouvoirs publics. Donc on va demander un pas en avant, des budgets, des lois, des dérogations, en fait, la mise en place d’une véritable politique linguistique nécessaire à la survie de notre langue. •

 


 

Seaska a franchi la barre des 4000 élèves il y a deux ans et continue de progresser. Le réseau ouvre un cinquième collège à la prochaine rentrée. Il compte 1200 élèves au collège, 450 lycéens en filière générale ou professionnelle, et la barre des 500 élèves qui sera atteint sous peu, donc la nécessité d’ouvrir un second lycée. En parallèle, l’enseignement public et l’enseignement catholique continuent également à se développer avec des ouvertures de sections en immersion. Pour faire progresser la langue basque, l’immersion est un combat sur tous les réseaux d’enseignement, public, catholique et Seaska. Plus de 40% des enfants de maternelle font le choix de l’immersion en langue basque. C’est dire la demande ! Seaska forme depuis longtemps ses propres enseignants. Un énorme travail qui témoigne aussi de la force du réseau. •