Les Ladins, petit peuple des Alpes

Un laboratoire pour les minorités en Europe

I Ladini in Cortina d'Ampezzo
L’intergroupe Langues et Traditions du Parlement européen recevait jeudi 23 novembre Paul Videsott, professeur de linguistique à l’Université de Bözen/Bolzano au SudTirol pour évoquer la situation des Ladins, peuple des montagnes Dolomites, 36.000 ressortissants environ, répartis dans cinq vallées alpines dévalant d’une même montagne, le massif de Sella : Val Badia et Ghardëina au nord, rattachées la province du SudTirol germanique, Fascia au Sud qui est rattachée à la province autonome italanophone de Trento, et Anpezzo et Fodom à l’Est, dont les versants sont situés en Vénétie, dans la province italanophone de Belluno.
En SudTirol et dans la province de Trento, la situation de cette minorité est plutôt bonne car elle bénéficie de politiques adaptées décidées par les autorités autonomes, tandis que dans la province italienne de droit commun de Belluno elle est catastrophique. Une démonstration par l’exemple de l’importance des approches institutionnelles pour apporter aux minorités historiques, aussi petites soient-elles, le droit à un avenir collectif.

 

 

Les Dolomites, classées au patrimoine mondial de l’Unesco, ont une réputation de site exceptionnel. Y vit un peuple montagnard, dont l’habitat est situé entre 1127 et 1645 mètres d’altitude (pour rappel, le village le plus élevé de Corse, Calasima, est à 1100 mètres d’altitude), et caractérisé par sa langue, le Ladin.

Le Ladin, langue directement issue du Latinu vulgaire parlé à la fin de l’empire romain, forge son identité dans l’Histoire, ce peuple d’expression romane ayant été rattaché durant des siècles à l’espace germanophone de l’empire des Habsbourg. Ainsi coupé du reste de ce qui deviendra l’Italie et ses différents dialectes, il évolue de façon originale, et les Ladins n’ont jamais développé le sentiment d’appartenir au monde italien. Deux autres langues lui sont apparentées, qui ont suivi un processus historique similaire, le romanche en Suisse (canton des Grisons) et le Frioul au Nord de la Vénétie, les trois langues étant appelées par les linguistes « langues rhéto-romanes ».

 

Dans le SudTirol, autonome depuis 1946, les deux vallées ladines de ce territoire bénéficient d’une politique linguistique favorable. Celle-ci est axée sur le plurilinguisme ladin-allemand-italien, auquel les programmes ont ajouté après l’an 2000 l’anglais, faisant de la jeunesse ladine de ces vallées la jeunesse la plus polyglotte d’Europe. Autre mesure mise en place dans le cadre de l’autonomie, la répartition de l’accès à la fonction publique selon des quotas linguistiques. Pour accéder à la fonction publique dans les vallées ladines, il faut maîtriser et utiliser couramment le ladin. Et, par ailleurs, chaque groupe linguistique a un accès proportionnel à la fonction publique au niveau provincial.

La province du Trentino, qui forme avec celle du Sud-Tirol une même région administrative appelée Alto-Àdige, applique une politique comparable. Cette région Alto-Àdige est assez formelle puisque la première décision prise par ses élus a été de transférer à ses deux provinces, historiquement et culturellement très différentes, la totalité ou presque de ses compétences. Ce qui n’empêche pas Trentino et Tirol de coopérer assidument, ce qu’ils ont fait en appliquant les mêmes politiques à leurs minorités ladines respectives, séparées par un découpage injuste mis en place durant la période fasciste. Ce même découpage administratif avait alors rattaché les deux autres vallées ladines à la province de Belluno en Vénétie.

 

Les résultats sont là : en deux générations, entre 1971 et 2011, le nombre de locuteurs ladins dans les vallées ladines du SudTirol et du Trentino (Val Badia, Ghardëina et Fascia) est passé de 23.381 à 29.708, soit +27 %. Dans la province italienne de Belluno, ils ont régressé de 10.820 à 7.665, soit -29,2 %. Avec la chute la plus importante dans la commune hyper-touristique de Cortina d’Ampezzo : -30,7 %.

Paul Videsott a terminé sa démonstration en insistant sur le nouveau péril qui menace l’identité ladine : la spéculation immobilière. Les ladins, ne pouvant faire face à la flambée des prix dans l’immobilier, sont obligés de quitter leur territoire où s’installent de plus en plus de résidences secondaires. Là encore, il faudra faire preuve de résilience et d’imagination pour que l’identité ladine résiste efficacement à ce nouveau défi.

Mais la leçon de socio-linguistique du Professeur Videsott est limpide : des institutions et des politiques adaptées peuvent permettre de sauver une langue minoritaire. Yes, we can ! •

François Alfonsi.