François Alfonsi

Une période cruciale s’ouvre pour nos langues

Vous avez dit : nous sommes dans une « période cruciale » pour les langues régionales ?

Les langues régionales vivent avec une épée de Damoclès constitutionnelle qui s’est manifestée avec la censure de la loi Molac. Or un projet de modification de la Constitution a été annoncé récemment par Emmanuel Macron, engagement qui a été annoncé dans le cadre de la négociation entre la Corse et l’État français sur le cadre statutaire de l’île. La négociation se déroule avec deux ou trois thèmes principaux dont la langue corse est un élément essentiel de la discussion. Et même si la Corse obtient un titre à part dans la Constitution – qui est la revendication du président du Conseil exécutif, créer un titre pour la Corse comme il en existe un pour la Nouvelle Calédonie – on ne règle pas le problème de la langue corse. La langue kanake par exemple est soumise au même régime de rouleau compresseur de la langue unique de la République qui est le français. Il va donc falloir trouver dans la réforme constitutionnelle envisagée un point de passage pour modifier la situation en général de nos langues. Ça ne pourra pas être quelque chose qui ne s’applique qu’à la langue corse.

 

Quelle serait la piste à suivre ?

L’article 2 de la Constitution « le français est la langue de la République » va être compliqué à modifier sans créer une révolution dans l’ensemble français. La piste que l’on peut suivre c’est de renforcer l’article 75-1. La jurisprudence qui consiste à dire que, au nom de l’article 2 rien n’est possible en Corse pour la langue corse, est une jurisprudence paranoïaque en vérité. La dernière décision du Tribunal administratif de Bastia qui a annulé les délibérations de l’Assemblée de Corse parce qu’elles résultaient de débats durant lesquels certains orateurs se sont exprimés en langue corse, c’est ça le motif, c’est une jurisprudence injustifiable qui crée une révolution, en Corse bien sûr, mais bien au-delà de l’île. Comment est-ce possible qu’il soit illégal de parler corse en Corse ? Parce que c’est ça le fond du problème.

C’est une situation de totalitarisme, si le corse n’a pas de place en Corse c’est qu’il doit disparaître.

 

Comment casser cette jurisprudence ?

La proposition sur laquelle on réfléchit consiste à compléter l’article 75-1 qui dit que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Ce complément pourrait être que leur transmission est favorisée par l’enseignement, notamment immersif et leur usage est possible sur tous les territoires concernés. Si vous mettez ça dans la Constitution, vous n’annulez pas l’article 2 mais vous en cassez la jurisprudence actuelle pour les langues régionales. Elle ne pourra plus être appliquée qu’aux langues étrangères, ce qui était d’ailleurs l’intention du législateur quand il a rédigé cet article 2.

 

Politiquement, cette attaque contre la langue corse est quelque chose d’incompréhensible particulièrement dans le contexte…

Ce qui est intéressant c’est que cette décision a provoqué une réprobation générale jusqu’à une réaction du rapporteur général de l’ONU, M. De Varennes qui doit venir en Corse la semaine prochaine, pour confirmer sa position en tant que rapporteur spécial de l’Organisation des Nations Unies. On trouve des soutiens internationaux. On ne pouvait pas mieux démontrer le besoin d’une véritable réforme constitutionnelle.

 

Le processus corse ira-t-il à son terme ?

Une réforme de la Constitution c’est très compliqué. Cela suppose que le président de la République la déclenche, que l’Assemblée nationale et le Sénat en approuvent le contenu dans les mêmes termes, et qu’un congrès se réunisse en rassemblant 3/5es des voix. Il est donc important de suivre ce chemin. Il va durer deux ans, il est compliqué, cahoteux, mais il y a un espoir d’arriver à quelque chose pour les langues régionales. •