Loi Molac pour les langues régionales

Une victoire collective

Dix jours après l’adoption de sa Loi en faveur des langues régionales, le 8 avril dernier, le député breton Paul Molac qui lui a donné son nom comme le veut la tradition répond aux questions d’Arritti. L’occasion de revenir sur ce parcours et sur les perspectives que nous ouvre ce moment « historique ». C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République en effet qu’une loi en faveur des langues régionales est adoptée. Proche de l’Union Démocratique Bretonne, Paul Molac est député de la 4ème circonscription du Morbihan. Il préside la commission Langues et Cultures régionales au Palais Bourbon. Il fait partie, avec les trois députés nationalistes corses, de la Fédération Régions & Peuples Solidaires et, avec l’eurodéputé François Alfonsi, il a pris l’initiative de rassembler il y a près de trois ans l’ensemble des associations de défense des langues régionales. Cette démarche a donné naissance au Collectif Pour que Vivent Nos Langues qui a développé un lobbying dynamique auprès des députés de l’ensemble des groupes de chaque région. L’adoption de cette loi à une large majorité (247 pour, 76 contre) est une belle victoire collective. Interview.

 

Votre sentiment après cette victoire « historique » ?

Sur le principe c’est bien une victoire des territoires sur la technocratie d’État. Une victoire de la démocratie, de la démocratie territoriale également. Car si la démocratie est une évidence pour certains députés, l’égalité territoriale ils ne s’en préoccupent pas. Cette fois-ci les députés des régions étaient là en masse pour voter pour la loi. En fait on se rend compte que les « minoritaires » sont majoritaires ! Ils sont majoritaires par rapport à une haute administration d’État qui a sa vision de ce que doit être la France.

 

Au-delà du vote, il y a eu le débat, avec des prises de positions surprenantes de la part de députés qui ont donné l’impression de se « libérer »… c’est le signe d’un intérêt plus assumé en faveur des langues et des identités jusqu’ici bafouées ?

C’est un mouvement qui est lié à tout ce que l’on voit par ailleurs. On remet le local en exergue. C’est vrai au niveau de la production agricole par exemple, avec les circuits courts. Le local retrouve ses lettres de noblesse. Ce que je crois aussi c’est que la différenciation ne fait plus peur. Pendant deux siècles à peu près, la norme c’était celle décidée par l’État et par les hauts fonctionnaires parisiens. Et on voit bien qu’un groupe comme la France Insoumise par exemple est tout à fait dans ce cadre-là, préférant la langue de l’État à la langue du peuple. C’est très révélateur. Et à mon avis c’est quelque chose dont les Français ne veulent plus.
Pour une fois, ce que l’on nous a vendu comme national et qui devait s’imposer, ne s’est pas imposé. Quelque part, c’est le peuple et les députés qui ont fait la loi, et qui ont fait l’État. Alors que si l’on prend quelqu’un comme Blanquer il va nous dire que c’est l’État qui fait le citoyen. Je crois qu’il y a là un véritable changement.

 

Vous avez réussi le tour de force de mettre en minorité plusieurs fois le gouvernement au long de la procédure, notamment le 8 avril…

Complètement. Le gouvernement a été mis en minorité au Sénat et à l’Assemblée. Il est resté sur une argumentation qui vise à faire peur et à faire croire que les langues régionales sont une menace, alors que les gens ne voient pas comment ces langues qui ont bien du mal à survivre pourraient être une menace.
Il y a eu une montée en puissance de la part des associations qui sont allés voir leurs députés, qui leur ont expliqué ce que c’était que l’immersion linguistique par exemple, et pourquoi elles avaient besoin du forfait scolaire. Je me suis aperçu que, autant l’immersion pouvait faire peur à des députés qui n’y connaissent rien. Autant ce qui sont dans les régions, tout simplement ont parfois des enfants ou des petits-enfants qui sont passés par ce type d’écoles. Donc l’immersion ça ne leur fait pas peur. Et leurs enfants parlent français aussi bien voire mieux que les autres.

 

C’est une belle victoire collective, avec notamment l’implication du couple parfois difficile à réunir « élus et associations » ?

Le fait qu’il y ait un collectif au niveau national « Pour que vivent nos langues » a beaucoup compté. Au départ, quand les associations ont vu que ça passait à l’Assemblée Nationale avec cinq articles sans rien pour l’enseignement du fait des rejets du gouvernement, elles ont été déçues. Mais quand elles ont vu que les sénateurs ont voté pour, en rajoutant quatre article sur l’enseignement, elles se sont dit là ça peut marcher. Du coup, elles sont allées voir leurs députés pour leur expliquer qu’il fallait appuyer. Moi, j’ai toujours cru qu’il y avait une majorité à l’Assemblée Nationale à partir du moment où les députés des territoires se mobilisaient, qu’ils soient occitans, catalans, corses, basques, bretons, alsaciens, flamands. Et c’est ce qui s’est passé.

 

En fait le parlement a vraiment joué son rôle ?

Complètement ! Y compris la majorité qui n’a pas hésité à voter contre les mots d’ordre  du gouvernement.
Il faut dire que Blanquer est très fermé et très isolé. Et pas que dans ce domaine-là. Il a beaucoup agacé jusqu’ici les enseignants, une partie des parents. Et là, il a montré que c’était un haut fonctionnaire très rigide. Je ne suis pas sûr qu’il ait compris quelle était l’attente sociétale. Parce que quelque part ce vote est une reconnaissance de ceux qui jusqu’à maintenant était considéré comme des inférieurs parce que parlant une autre langue que la langue nationale. On ne comprend plus ce mépris de l’administration envers les langues régionales. Par exemple, l’affaire de Fañch avec un tildé, je suis à peu près persuadé qu’il y a 20 ou 30 ans on aurait dit aux parents, après tout qu’il y ait un tildé ou pas, c’est pareil, vous prononcez comme vous voulez, on ne va pas faire un procès pour ça. Aujourd’hui, la réaction de la population c’est l’administration n’a pas autre chose à faire que de nous embêter avec ça ! On ne comprend plus ce militantisme de l’administration et de la justice contre nos langues.

 

Une sorte d’intégrisme jacobin ?

C’est ça ! L’enjeu c’est d’affirmer une norme et de dire qu’on a raison parce qu’on a raison. Or l’acte d’autorité ça ne suffit plus, il faut qu’il soit expliqué et compris. Ces hauts fonctionnaires ont identifié les langues régionales comme une menace pour la langue française alors qu’elles ne l’ont jamais été. Ce sont des républicains ethniques. Pour eux, être un républicain avec des droits politiques et les exercer, ça ne suffit pas. Il faut aussi être de culture et de langue françaises. Moi j’appelle ça des républicanistes. Parce que les Corses qui étaient dans les tranchées en 1914, ils parlaient quoi ? Ils parlaient corse ! Et ça ne les a pas empêchés de se faire tuer pour la République ! Donc ils étaient bien citoyens. Ce n’est pas la langue qui fait le citoyen, c’est le droit politique. Et là en l’occurrence, c’était le prix du sang. Mais ceux-là nous ramènent toujours à la langue française. Nous ne sommes pas à l’origine de langue ou de culture française, nous n’en sommes pas moins citoyens. Pour Blanquer, on ne peut pas être citoyens français seulement avec les droits politiques. C’est une ethnicisation de la notion de République.

 

Est-ce que ça n’est pas une conception très parisienne, ultra-centraliste, de ce qu’est la République ?

La Haute-administration est quand même formée dans ce modèle-là, où c’est l’État qui fait le citoyen et où l’État depuis 1539 et l’Édit de Villers-Cotterêts veut imposer une langue unique. Alors qu’on sait que c’est totalement faux. Avec Villers-Cotterêts François 1er voulait simplement que le latin ne soit plus la langue de la procédure. Parce que, quand on pose une question et qu’on torture quelqu’un pour lui faire avouer quelque chose, c’est quand même mieux qu’il comprenne la langue qu’on lui parle ! Et ça ne pouvait pas être le français standard puisqu’il n’existait pas. D’ailleurs, l’Académie française sera créée un siècle plus tard, en 1635 ! Dans l’Édit de Villers-Cotterêts, il y a plusieurs articles, et il est bien dit qu’il faut que les gens comprennent la question qu’on leur pose. C’est ainsi qu’au parlement de Bordeaux et de Toulouse, toute la langue de la procédure sera en occitan.

 

Vous êtes député de la Fédération Régions & Peuples Solidaires, peut-on dire que R&PS influe au sein du groupe Libertés & Territoires et celui-ci au sein de l’Assemblée ?

Oui, parce que nous sommes reconnus pour être des gens avec qui on peut discuter. On n’est pas forcément d’accord, mais on reconnaît notre capacité à discuter et à présenter les choses. J’ai même vu des députés s’exclamer mais les députés corses ne sont pas indépendantistes ?! Parce qu’à l’Assemblée en fait, régionalistes, autonomistes et indépendantistes, c’est la même chose, ils ne savent pas faire la différence. Et aujourd’hui ils voient bien que ce que l’on propose c’est une autre organisation de l’État en France. Ils se disent qu’on n’a pas tort sur toute la ligne, et s’aperçoivent qu’une partie de nos ennuis viennent justement de cette centralisation totalement excessive en France.

 

Le groupe n’est-il pas un miroir qui leur rappelle aussi qu’ils viennent de territoires ?

Oui et c’est vrai pour tous les partis. À l’intérieur de chaque parti, il y a des gens qui se sentent de leur territoire. Les Alsaciens, les Bretons, certains Occitans aussi, ça n’est pas tout le monde, mais ça existe et on a vu que pour les langues cette convergence s’est faite.

 

Concrètement, quelles portes la Loi Molac nous ouvre-t-elle ?

1/ Pouvoir faire de l’immersion en Corse par exemple dans l’enseignement public, ce qui a priori était défendu avant. Ce n’est plus une expérimentation, c’est officiel !
2/ Que la langue régionale soit enseignée au primaire, mais aussi au secondaire et au lycée. Si la collectivité le demande, dans le cadre des conventions, c’est désormais organisé. En fait je me suis appuyé sur l’expérience corse, en la généralisant aux collèges et aux lycées.
Ensuite pour l’enseignement immersif associatif, le but c’est d’avoir un mouvement prospectif de façon à pouvoir former des enseignants, ouvrir des écoles, et proposer la langue régionale à tout le monde.
On a mis surtout dans l’article 1 que les Collectivités locales et l’État participaient à la sauvegarde et à la promotion des langues régionales. Ce qui peut vouloir dire beaucoup de choses, ça dépendra du juge.

 

Justement quelle peut-être la prochaine étape pour une meilleure reconnaissance de nos régions et de nos identités ?

Il y a moyen au niveau juridique de s’emparer de cette loi pour faire avancer les choses sur le terrain. On a vraiment changé de paradigme. Autrefois concernant les langues régionales, tout ce qui n’était pas autorisé était défendu. Aujourd’hui c’est vous devez faire, vous devez protéger. J’étais obligé de m’inscrire dans le droit français qui ne reconnaît aucune minorité. Ça n’était pas la peine d’aller là-dessus, on aurait été recalé tout de suite par le Conseil constitutionnel. Donc l’idée était de se mettre dans le Code du Patrimoine puisqu’en plus l’article 75-1 de la Constitution dit que les langues régionales font partie du patrimoine. Et ça donne des obligations à la puissance publique dans toutes ses dimensions, aussi bien nationale, que régionale ou locale. Alors, il y aura du boulot, il faudra que les associations s’en emparent, les choses ne seront pas forcément un long fleuve tranquille, mais il y a de quoi faire ! •