L’affaire des jeunes corses matraqués au Palais Lantivy nous rappelle notre histoire. Celle des incessantes provocations d’État, de la résistance, de la répression.
Du fond de la prison de Fresnes, en septembre 1975, Edmond Simeoni adressait une longue lettre aux Corses, rappelant comment il avait vécu les événements d’Aleria. Au-delà de son analyse des faits et de leur contexte, des souffrances endurées, des questions posées, des revendications formulées, il y esquisse les voies du dialogue et de sortie de crise. C’était il y a 46 ans.
«Le Peuple Corse connaît parfaitement les raisons de fond qui ont motivé ma décision de monter seul l’opération d’Aleria : colonisation de l’île, aliénation culturelle, refus systématique du dialogue, promesses jamais tenues, décorsisation organisée, vie publique corrompue et dominée par la fraude, pseudoréforme de Liber Bou, etc. Mes dix années de vie militante ont nourri leurs racines dans la situation injuste faite au Peuple Corse à la défense duquel j’ai consacré ma vie, à l’exclusion de toute ambition personnelle. J’ai connu deux fois les rigueurs de la prison et cette fois-ci pour des faits d’une gravité extrême. Le moyen simple de faire la lumière sur le drame d’Aleria serait de constituer une Commission d’enquête travaillant en toute indépendance à l’abri des pressions, recueillant des témoignages, et portant les résultats de ses travaux à la connaissance du Peuple Corse et de l’opinion française.
(…) Je n’ai effectué ici aucun plaidoyer pour moi-même. Je me suis constitué prisonnier alors qu’il m’était loisible de m’en aller avec mes camarades. Je suis déféré devant la Cour de Sûreté de l’Etat, juridiction d’exception, et la notification des articles du Code pénal (…) me fait encourir deux fois la peine de mort, deux fois la réclusion criminelle à perpétuité et d’autres peines à temps. J’ai donc le droit de parler et de poser des questions.
Je suis prêt, pour ma part, de façon écrite et dans les limites de la latitude que m’accordera M. le Juge d’Instruction près la Cour de Sûreté de l’État à collaborer aux travaux de la Commission d’enquête.
– Le Peuple Corse ne doit pas quémander des mesures d’apaisement et d’élargissement des détenus.
– Le Peuple Corse doit exiger impérativement sa survie, sa reconnaissance et donc sa protection par la Loi, le droit de diriger ses propres affaires au sein de la République Française.
– Il doit rejeter formellement les solutions de type économique (type mission Bou) qui nient son identité et creusent donc sa tombe.
– Il doit exiger la création immédiate et massive d’emplois pour les jeunes Corses.
– Notre Peuple doit avoir accès à sa culture, à son Histoire et exiger le bilinguisme avec tous les moyens afférents (radio, TV, manuels scolaires, etc.), le Français devant rester, à mon sens, la langue officielle et le véhicule commercial en particulier.
– Notre Peuple doit récupérer les terres gelées par les trusts du tourisme (sur la base d’une indemnisation au prix d’achat déclaré).
– Il doit récupérer de la même façon les terres des gros colons, les vignes en particulier.
– Il doit se consacrer à la réalisation d’une « Charte de Retour des Exilés » dans les limites des contraintes de l’économie et de nos possibilités (avec les mesures administratives et financières ingérentes à ce Retour).
– Le Peuple Corse doit pourvoir à la formation des hommes et maîtriser le développement économique dans tous les secteurs.
– Il doit sur le plan politique faire son autocritique car il a été et reste trop souvent encore le pilier d’un clanisme qui nous déshonore, dévalorise le suffrage universel et est le complice objectif du colonialisme.
Le Peuple Corse, au sein de la République Française – ce qui exclut formellement le séparatisme – ne peut avoir de prétention stupide à une hégémonie quelconque. Proscrivant le racisme déshonorant et le chauvinisme étriqué, il doit choisir une voie intermédiaire, seule raisonnable entre un collectivisme autoritaire privatif de liberté et un laxisme libéral, générateur des pires injustices sociales, basé sur la loi du profit à tout prix.
Si l’initiative et la propriété privée doivent être respectées, les formes communautaires de développement, dans tous les secteurs, doivent rétablir puis conforter une solidarité séculaire, historique. Elles doivent permettre l’accession à la responsabilité, à la dignité des travailleurs.
Je n’ai pas voulu esquisser un programme politique mais livrer quelques réflexions personnelles à l’œuvre collective de rénovation du Peuple Corse à qui appartiendront démocratiquement les choix auxquels je me soumettrai bien sûr. » •