Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna

Centrale d’Arles : le piège

Alors qu’en Corse on s’apprêtait à commémorer le triste anniversaire de l’agression mortelle contre Yvan Colonna* par des recueillements dans les églises, le 28 février, les membres de la Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat, se sont rendus à la centrale d’Arles. Moment intense de la visite des lieux où s’est produit l’agression, échanges troublants aussi avec les personnels de la prison qui confirment les constats faits par la commission tout au long de ses auditions : Yvan Colonna est tombé dans un véritable piège.

 

Vingt-huit février, visite de la centrale d’Arles par neuf membres de la Commission d’enquête parlementaire. L’exiguïté de la salle de sport confirme l’anormalité d’y avoir laissé pénétrer l’auxiliaire de nettoyage alors qu’un détenu y faisait du sport. Les ouvertures qui permettent de la ventiler et la musique qui parvient aux membres de la commission depuis la salle d’à côté, confirment les propos de quatre détenus qui se trouvaient dans des salles d’activité voisines au moment des faits, et ont déclaré avoir entendu des cris… Appels que le gardien qui est tenu de rester dans le couloir aurait pu entendre s’il ne s’était pas éclipsé… Où donc était-il ? Pourquoi est-il parti, d’autant qu’Yvan Colonna était sur le point de terminer son sport et que le nettoyage de la salle aurait pu attendre quelques instants, d’après les auditions des anciens députés de la majorité présidentielle Bruno Questel et François Pupponi*.

Visite aussi du système de vidéo-surveillance, non surveillé et de toutes façons inopérant au moment de l’agression, du fait d’un mauvais « paramétrage », de même que du manque de formation du personnel chargé du visionnage… À quoi servent les caméras dans les prisons, sérieusement ?

Témoignage ensuite des personnels ayant côtoyé les deux détenus. Ils infirment la thèse du blasphème, du fait du comportement « respectueux des autres détenus et des surveillants » d’Yvan Colonna. Certains ne cachent pas leur émotion… Tous chargent la gestion de leur direction de l’époque, Mme Puglierini, dont l’audition le 11 janvier a choqué les membres de la commission*. Incompétence ? Non plausible eu égard son parcours professionnel impeccable. Erreur de jugement ? Qui peut croire en la bévue ? Alors, qu’est-ce qui a conduit Mme Puglierini à être aussi clémente et imprudente dans le traitement du cas Elong Abé ? Les enquêtes nous le révéleront-elles ? Les multiples incidents, voire agressions dont le djihadiste s’est rendu coupable, traduisent un comportement « plus dangereux que fou, dissimulateur » témoignent les surveillants, tant par son profil, par sa condamnation, que par ses provocations quotidiennes… Un homme « capable de manipulation, très réfléchi, structuré, qui parlait peu. Tout cela est très important pour comprendre, in fine, la trajectoire, le comportement et les actes » a commenté le président Jean Félix Acquaviva. L’ensemble de ces éléments, les multiples signalements faits par les surveillants tout aurait dû conduire cet homme à ne jamais rencontrer Yvan Colonna. Surtout pas ce jour-là, seul, dans cette salle, à l’abri de tous les regards, les mains totalement libres… C’est incompréhensible… et cela amène à l’interrogation première : mais pourquoi donc a-t-il bénéficié d’un traitement de faveur ? Était-il protégé ? Par qui ? Pour quelle raison ?

« Il était important d’amener les membres sur les lieux pour voir la salle, les distances, se demander s’il est possible que des individus disent n’avoir rien entendu, évaluer comment pouvait fonctionner la surveillance vidéo et apprécier globalement le fonctionnement de la centrale » a déclaré Jean Félix Acquaviva. De l’avis des personnels tous ont dit « qu’ils ne croyaient pas du tout Yvan Colonna en capacité d’être irrespectueux vis-à-vis d’une religion. Ils ont parlé comme un seul homme de ce point de vue-là, et c’est donc important de le constater puisque c’est quand même la thèse centrale sur laquelle se fonde le parquet national antiterroriste ».

Dans ce cas, quel serait le mobile ?

La visite de la prison s’est conclue par une réunion à huis clos avec les membres de la commission chargé des Détenus particulièrement signalés. Pour l’heure nous n’avons pas de retour de ce qui s’y est dit.

 

1er mars, le fichier Genesis confirme à son tour l’anormalité du traitement réservé à Elong Abé. Genesis, textuellement Gestion nationale des personnes écroués pour le suivi individualisé et la sécurité est créé en 2009, en remplacement de l’ancienne Gide (Gestion informatisée des détenus en établissement). Un fichier destiné à suivre toutes les informations relatives à un détenu : exécution de la peine, décisions qui sont prises le concernant, gestion de la détention, réinsertion, suivi judiciaire, prise en charge sanitaire et administrative, remarques des personnels, etc.

Or, concernant Franck Elong Abé, la commission d’enquête s’est aperçue avec stupeur que, si toutes les informations concernant le djihadiste sont bien recensées sur le fichier depuis sa détention en France en 2014 jusqu’à janvier 2022, aucune ne figure depuis le 29 janvier, soit un mois avant l’agression mortelle contre Yvan Colonna. Fait étrange… d’autant que les personnels ont déclaré avoir fait remonter « des tas d’informations ». Ce qui fait dire au président de la commission, « que c’est à l’échelon supérieur que les choses n’étaient pas intégrées, et qu’ils n’avaient pas de retour sur ce qui était fait de ces informations ». « Il reste la dernière hypothèse » a poursuivi Jean Félix Acquaviva : « un effacement des données. La question c’est pour quelles raisons ? »

La commission devra tenter de le tirer au clair… mais avouons que tout ça, ça fait beaucoup…

 

2 mars, un an. Le triste anniversaire de l’agression a vu de multiples recueillements dans les églises de Corse confirmant l’émotion toujours intacte de la population et son attente de ghustizia è verità. Le parti Femu a Corsica a également diffusé une vidéo** en hommage au patriote lâchement assassiné et à son combat pour faire reconnaître son innocence qu’il a toujours clamée.

 

3 mars, la famille d’Yvan demande la levée du secret défense. Franck Elong Abé était-il un indicateur des services de renseignements pénitentiaires ? Renseignements en relation permanente avec tous les autres services de renseignements français, DGSI et DGSE compris, ainsi qu’Arritti l’a déjà relaté*. Après les magistrats en charge de l’enquête pénale, après la commission d’enquête parlementaire, la famille d’Yvan Colonna a donc à son tour demandé la déclassification de documents concernant la gestion du parcours carcéral d’Yvan Colonna et de son assassin. « Nous voulons savoir si Franck Elong Abé pouvait être une source du renseignement pénitentiaire » a déclaré l’un des avocats de la famille, Maître Sylvain Cormier. « Il y a trop d’anomalies et de mystères dans le parcours de Franck Elong Abé (…) Il multiplie les incidents à Arles, et il est promu auxiliaire avec la possibilité de se promener dans tout l’établissement. Cette promotion était intervenue un mois après un incident grave » commente encore l’avocat qui parle aussi de la fiche Genesis du détenu. « J’ai une suspicion très élevée. Je pense que Franck Elong Abé pouvait être une source du renseignement et à ce titre bénéficier de mesures de faveur ».  La question est, encore une fois, pourquoi ? Et jusqu’où devait le conduire ces surprenantes faveurs ?… D’autant que si l’on excepte la question du blasphème, il n’y a aucune raison pour Elong Abé d’agresser avec une telle sauvagerie, c’est-à-dire avec la volonté ferme de tuer, volonté qui semblerait avoir été préméditée lorsqu’il pénètre dans la fameuse salle de sport et se jette sans hésiter à pieds joints sur le dos d’Yvan Colonna pour accomplir sa besogne… Avec tous les éléments qui s’accumulent depuis l’agression et notamment depuis le début des auditions le 11 janvier, comment ne pas émettre l’hypothèse que toute la Corse a en tête d’une agression commanditée ? •

F.G.

* Relire nos comptes-rendus d’auditions sur notre site : arritti.corsica (rubrique Prigiuneri).

** https://fb.watch/j6ZNKnJRzn/