Assassinat d’Yvan Colonna

Coup de tonnerre sur l’enquête

La nouvelle tombée la semaine dernière d’un courrier adressé le 14 février par Franck Elong Abé à la juge d’instruction de Tarascon, a fait l’effet d’un coup de tonnerre sur l’enquête ouverte après l’assassinat d’Yvan Colonna dans la prison d’Arles, réputée la plus sûre de France.
Déjà bien douteuse, la thèse du Parquet vole en éclats. Celle d’un crime djihadiste par un acteur isolé au profil perturbé, se vengeant de prétendus blasphèmes qu’Yvan Colonna aurait prononcés contre le Prophète. Elle était largement remise en cause par la personnalité d’Yvan, comme par les faits et témoignages intervenus en prison. Franchement qui pouvait y croire ? Sans avoir connaissance de ce courrier, Arritti* rappelait dans son numéro du 7 mars toutes les questions restées sans réponse dans cette affaire qui prennent un nouveau relief aujourd’hui.

 

 

Deux ans après l’assassinat, les déclarations faites par le tueur viennent éclairer les troublantes zones d’ombre dénoncées dans son dossier. La thèse d’un meurtre commandé, contre « 100.000 € par année de prison », et pour « moins de 10 années de prison », par des personnes que Franck Elong Abé identifie comme émanant des services intérieurs de la DGSI, ne surprend personne. Dès le 2 mars 2022, jour de l’agression mortelle, la possibilité d’une intervention supérieure était dans toutes les têtes, quoiqu’on pense et quoiqu’on dise de la non fiabilité de Franck Elong Abé. Mais même avec la prudence nécessaire eu égard à son profil instable, on ne peut s’empêcher de se rapporter à l’histoire des rapports Corse-France et des multiples manipulations barbouzardes qui ont marqué ces 60 années. Tout comme les révélations du rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les comportements de l’administration pénitentiaire ont laissé un profond malaise.

 

Nos confrères de la presse rapportent que Franck Elong Abé s’estime trompé par des « manipulateurs » qui l’auraient « utilisé pour supprimer Yvan » et qui l’auraient piégé tel « un abruti » puisqu’il n’a in fine pas été payé et donc a été « berné par de fausses promesses ». Il promet « un grand déballage » à son procès. Cherche-t-il à troubler les messages, réalisant un peu tard toute la gravité de son acte, ou bien dit-il la vérité et se sent-il menacé pour révéler les choses ainsi ? Il parle de « stratèges de la DGSI », d’un « téléphone sécurisé » qui lui aurait été remis et qui aurait disparu de la procédure, et que c’est en l’utilisant qu’il aurait dit à ses interlocuteurs « je vais le tuer » (entendu par une surveillante de la prison). Comment son « instabilité » lui permet-elle d’échaffauder un plan de défense aussi compliquée ? Avec autant de détails collant aux interrogations de la Commission d’enquête parlementaire ?

Le ministère de l’Intérieur de son côté dément, affirmant que « ce ne sont pas des pratiques qui existent » (sic) tout en disant qu’« une procédure judiciaire est actuellement en cours sur ce sujet »…

Maîtres Dominique Paolini et Anna Maria Sollacaro, représentant respectivement le frère et les parents d’Yvan Colonna d’une part, sa sœur d’autre part, ont demandé à ce que la juge d’instruction entende Franck Elong Abé en leur présence afin qu’ils puissent eux-mêmes poser des questions au détenu.

 

Rappelons qu’au cours de l’enquête parlementaire, était apparu l’hypothèse que Franck Elong Abé était un indicateur des services de renseignement. Par la voix de ses avocats, la famille avait demandé la levée du secret défense. « Nous demandons aux juges de saisir la commission du secret de la défense nationale afin que soit levé ce secret. Il y a trop d’anomalies et de mystères dans le parcours de Franck Elong Abé. L’une des explications pourrait être qu’il était une source du renseignement », avait déclaré en mars 2023 Maître Cormier, autre conseil de la famille, « lorsque la commission d’enquête et son président Monsieur Acquaviva interrogent les représentants du renseignement pénitentiaire et leur disent que Franck Elong Abé était une source, ils ne répondent pas “non”, ils répondent “secret défense” »…

Maître Jean François Casalta, représentant la veuve et le second fils d’Yvan, s’interroge à juste titre aussi : « Au vu de sa position “haute sur le spectre de l’islamisme terroriste” et de certains éléments factuels, on pourrait même songer qu’il a pu être au courant d’événements terroristes majeurs avant même qu’ils ne se produisent en France et à l’étranger. Comment penser que les services de renseignement n’aient pas pris contact avec lui pour essayer d’obtenir des informations ? Si oui, quels ont été les contenus de ces échanges, pour quelle contrepartie ? »

Oui, comment ne pas le penser ?

 

Les révélations du rapport d’enquête parlementaire rendaient inévitables l’idée d’un meurtre prémédité. Ces nouvelles révélations de l’auteur des faits qui en font un meurtre commandité, si elles étaient avérées, nous mettraient en présence d’une affaire d’État d’une extrême gravité.

Arritti a interrogé Jean Félix Acquaviva, président de la Commission d’enquête parlementaire. •

Fabiana Giovannini.

 

* Lire :  https://arritti.corsica/pulitica-2/amnistia/saspetta-sempre-ghjustizia-e-verita

 


 

Dichjarazione di Cristina Colonna, surella d’Yvan

« Aujourd’hui une information intervient avec fracas dans le dossier judiciaire hors norme d’Yvan Colonna.

Un courrier de l’auteur de l’agression mortelle d’Yvan Colonna, en date du 21/02/2024, a été adressé à la juge d’instruction et est désormais côté en procédure.

Un courrier dans lequel il dénonce les commanditaires de l’assassinat et détaille le contrat rémunéré pour lequel il s’estime avoir été instrumentalisé.

Ce courrier nous semble émaner d’une personne dorénavant inquiète pour sa sécurité.

La thèse du crime « islamiste » pour cause de blasphème, assénée comme vérité absolue dès le 02/03/2022 par le Parquet national anti-terroriste le jour de l’agression, puis par d’autres intervenants ou observateurs, est donc définitivement invalidée.

Mis en perspective avec les graves révélations obtenues lors de la Commission d’enquête parlementaire, les éléments manquants au dossier pénal, ce document confirme l’existence d’une chaîne de responsabilités que nous nous emploierons à mettre à jour avec détermination.

Il s’agira dorénavant d’identifier les commanditaires et autres complices de cet assassinat politique qui interroge encore plus aujourd’hui tant au niveau de sa conception et de son organisation que dans le profil des personnes éventuellement impliquées.

A tè fratellu. » •