Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna

La préfectorale en question

Le 14 avril, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a interpellé le président de la Commission d’enquête parlementaire Jean Félix Acquaviva, qui avait rapporté des échanges entre préfets au sujet de l’assassinat d’Yvan Colonna. C’était le 8 mars dernier, lors de l’audition de l’ancien Premier ministre Jean Castex qui niait la possibilité d’une vengeance d’État. Agacé, le député de Haute-Corse avait alors révélé des informations en sa possession. Rappel des faits.

 

 

Affirmant s’être prononcé en son âme et conscience, « certainement pas pour des raisons politiques » et « au vu des avis rendus », notamment du Parquet antiterroriste, et parce que la période de sûreté « n’était que très récemment échue », le ministre avait affirmé : « Je le dis très clairement devant cette commission et dans le cadre des prérogatives qui étaient les miennes, il n’y a jamais eu en aucun cas de recherche de vengeance d’État. C’est l’application des textes ».

 

Michel Castellani avait alors fait remarquer que « une période de sûreté échue depuis peu, est une période de sûreté échue »… et d’interroger le ministre : « est-ce que vous avez conscience que vous n’avez pas appliqué les textes, puisque l’application des textes vous donnaient l’autorisation, la permission, le droit de lever le statut de DPS ? »

Passablement irrité, Jean Castex avait répondu : « Les faits qui sont survenus en mars 2022 à la prison d’Arles sont absolument regrettables et condamnables… ils étaient totalement imprévisibles et dire qu’ils découlent de ma décision de refuser la levée du statut DPS de M. Colonna, je suis désolé de vous dire que je le conteste absolument formellement ».

Même Laurent Marcangeli lui avait demandé de certifier qu’il n’y avait pas eu « d’intervention politique, administrative de ce que certains peuvent parfois qualifier d’État profond en vue de permettre la survenance de cet évènement dramatique ».

Et Jean Castex alors de répéter : « Je n’en ai eu ni de près ni de loin, jamais, vous m’entendez bien, connaissance et si tel avait été le cas… c’eût été un grave abaissement de l’État… je le réaffirme ici en ma qualité d’ancien chef du gouvernement de la République ».

 

Jean Félix Acquaviva avait alors rappelé sur un ton solennel le respect dû à la famille Erignac, bien sûr, mais aussi la vérité et la dignité due à Yvan Colonna et à sa famille. « L’État ne peut pas dire, ni sous votre gouvernement, ni sous les gouvernements précédents, qu’il n’y avait pas de demande de rapprochement familial fondée, qu’il n’y avait pas de demande d’aménagement fondée » avait dit le député, ajoutant sur le refus de levée de statut DPS : « On ne le faisait pas parce qu’il y avait la promesse de ne pas le faire. Parce qu’il y avait une promesse – c’est moi qui parle – en raison du traumatisme de l’assassinat du préfet Erignac. En raison de l’extrême haine ». Et le président d’ajouter : « Le lendemain de la venue de Gérald Darmanin en Corse, lorsqu’il y a eu les drames. Nous avons été en possession de messages entre préfets en exercice. Vous entendez ce que je vous dis ? Entre préfets en exercice qui disent qu’il fallait décorer Elong Abé, qui disent qu’il a fait ce qu’ils auraient dû faire depuis bien longtemps… Alors de me dire… qu’il n’y a jamais eu de haine contre ces membres-là, qu’il n’y avait pas de haine qui allait au-delà du droit, alors que dans les propos oraux pouvait nicher l’arbitraire, pour qu’ils ne soient jamais rapprochés, et encore moins libérés même s’ils avaient de bons dossiers d’aménagement de peines. Confer les appels systématiques du Ministère public et du Parquet national antiterroriste… Cette haine a existé. Elle a existé. Et dire ça, c’est rendre la dignité à la famille d’Yvan Colonna ».

« Pas plus que le complot, la haine n’a jamais guidé en cette matière comme en d’autres… les décisions que j’ai eu la responsabilité de prendre » avait répondu penaud le ministre.

 

Et voilà qu’un mois plus tard, à la veille de la reprise des discussions entre la Corse et Paris, le ministre de l’Intérieur, revient sur ces échanges…. Pourquoi maintenant ?

Dans un courrier, il interpelle le président de la Commission en ces termes : « Vous avez dit être “en possession de messages entre préfets en exercice, qui disent qu’il fallait décorer Elong Abé (…) qu’il a fait ce qu’ils auraient dû faire depuis longtemps”. Ces propos, qui ont été rendus publics, constituent une accusation particulièrement grave, je considère qu’il est indispensable de savoir ce qu’il en est réellement. J’imagine que vous ne les avez prononcés qu’en ayant en main les preuves correspondantes : en qualité de ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer, il me reviendrait alors d’en tirer toutes les conséquences. Dans ces conditions, je vous demande vivement que vous me transmettiez les éléments de toute nature ».

Une Commission d’enquête parlementaire travaille dans des conditions particulières, elle ne doit subir aucune entrave ou pression politique. Le 27 avril devant l’Assemblée de Corse, Jean Félix Acquaviva a fait part de sa sérénité : « la commission d’enquête parlementaire était le lieu pour dire ce que j’ai dit le 8 mars dernier. J’ai évoqué ces éléments en tant que preuve supplémentaire, parce qu’il y en a d’autres, en faisant valoir qu’il y avait un esprit qui empêchait le rapprochement des membres du commando dit Erignac. Une logique de vengeance qui était dans la tête de certains préfets, de fonctionnaires ou de politiques de manière historique dans ce dossier. Moi je confirme ces échanges, je suis serein sur l’évolution de la situation quant à ces éléments… Ils sortiront lorsque le pouvoir du parlement fera le bilan et le diagnostic des travaux de la commission d’enquête parlementaire ». À suivre donc. •

F.G.