Le 30 mai, le rapport d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna a été rendu public. Peu à peu, la Corse tente d’assimiler ce qu’il révèle…
Dans ce rapport, il y a l’avant-propos du président Jean Félix Acquaviva, dont Arritti a traité la semaine dernière* qui résume tous les dysfonctionnements, et toutes les fautes qui ont été commises dans cette affaire qui a conduit à un drame épouvantable. Mais on ne commet pas de fautes uniquement par irresponsabilité, manquement, voire bavure. On peut y trouver aussi de l’intention malveillante, des transgressions volontaires, bref une action criminelle et de la haine, de la vengeance, jusqu’à préméditer et conduire sciemment à un tel acte barbare.
Hélas, c’est bien ce doute-là, terrible, qui n’est absolument pas levé, et mêmes plutôt conforté après le travail très sérieux mené par la Commission d’enquête parlementaire.
Il y a aussi l’introduction du rapporteur : « l’histoire d’Yvan Colonna, qui est intrinsèquement liée à celle, tout aussi douloureuse, de Claude Érignac, est aussi celle de vingt-cinq années d’une relation tourmentée, complexe, difficile et parfois cruelle entre la République française et la Corse, et elle est éminemment politique », précise Laurent Marcangeli, qu’on ne peut taxer de nationalisme et donc de parti pris, en rappellant le contexte extrêmement pesant de l’affaire. « C’est pour éclairer cette double responsabilité, administrative et politique, qu’une telle commission d’enquête était nécessaire. Le présent rapport apporte certaines réponses ; pas toutes néanmoins. Pour le reste, il appartiendra à l’autorité judiciaire de confirmer ou d’infirmer certains éléments et, très certainement, d’en apporter de nouveaux. Dans un premier temps et dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, il convenait d’analyser de la façon la plus objective et dépassionnée possible la manière dont les parcours carcéraux d’Yvan Colonna et de Franck Elong Abé ont été gérés et de relever les dysfonctionnements manifestes qui ont pu se produire ».
Ainsi, « le présent rapport formule vingt-neuf propostions afin de tirer tous les enseignements de cette tragédie pour éviter, autant que faire se peut, que de tels événements puissent de nouveau advenir » annonce encore le rapporteur. « À cet égard, il s’est concentré principalement sur trois axes : la réforme impérieuse du statut de DPS, le renforcement de la détection et de la surveillance des détenus radicalisés dangereux, et l’amélioration de la prise en charge de ceux présentant des troubles psychiatriques ».
« Mais l’agression mortelle du 2 mars 2022 est également révélatrice de défaillances plus générales au sein du système carcéral. En s’inscrivant dans la continuité des travaux conduits en la matière, notamment ceux de la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire, présidée par M. Philippe Benassaya et dont la rapporteure était Mme Caroline Abadie, le rapporteur entend également apporter une pierre à l’édifice pour œuvrer à l’amélioration de la situation des prisons ».
Mais, hélas, l’affaire Yvan Colonna nous conduit bien au-delà des seuls dysfonctionnements…
« Au moment de rendre ses conclusions, et en ayant une pensée pour Claude Érignac, pour Yvan Colonna et pour leurs proches, le rapporteur forme le vœu ardent que les constats qu’il dresse et les recommandations qu’il formule apporteront, pour la Corse, pour les Corses, mais également pour la République et pour le pays tout entier, l’éclairage et l’apaisement qu’il s’est efforcé de favoriser et de construire. Pour que la République française et la Corse avancent ensemble, à nouveau » tente d’adoucir le rapporteur.
Mais il ne suffira pas simplement d’apaiser. Il faudra réparer. Il faudra justice et vérité, toute la vérité.
Arritti, comme le peuple corse dans son entier, n’a pas fini de chercher et de réclamer cette justice et cette vérité pour Yvan Colonna, pour sa famille, et pour ce peuple trop martyrisé dans l’histoire à travers les siens.
Yvan a toujours crié son innocence. Il a été condamné à une triple peine, il a été, outre l’injustice de la condamnation, maltraité tout au long de son parcours carcéral, maintenu en prison de manière arbitraire, pour être in fine offert en sacrifice au nom d’une vengeance d’État.
Les responsables devront en répondre devant la justice et devant l’histoire. •
Fabiana Giovannini.
* Da sapenne di più
. Pour accéder au rapport sur le site de l’Assemblée nationale : https://bit.ly/rapportColonna
. Pour accéder aux comptes-rendus d’Arritti des auditions : http://arritti.corsica (rubrique : prigiuneri)
Les 29 recommandations du rapport d’enquête
Recommandation n° 1. Permettre le rapprochement familial des détenus corses en parachevant les travaux de sécurisation du centre pénitentiaire de Borgo et en le dotant, si besoin, d’un quartier maison centrale.
Recommandation n° 2. Définir au niveau législatif le statut de DPS en fixant les critères d’inscription et de maintien à ce répertoire.
Recommandation n° 3. Déterminer clairement les modalités de mise en œuvre de la procédure, au niveau local comme au niveau national.
Recommandation n° 4. Fixer dans la loi le principe selon lequel le statut de DPS n’a pas vocation, a priori, à revêtir un caractère définitif et consacrer explicitement le fait que celui-ci doit faire l’objet d’un réexamen régulier fondé sur des critères objectifs.
Recommandation n° 5. Renforcer l’exigence de motivation des décisions d’inscription et de maintien d’une personne détenue au répertoire des DPS.
Recommandation n° 6. Subordonner les décisions d’inscription et de maintien au répertoire des DPS à une meilleure prise en compte de la dangerosité pénitentiaire réelle de la personne détenue.
Recommandation n° 7. Fixer de manière expresse à un an la durée de validité de la décision d’inscription ou de maintien au répertoire des DPS et imposer le réexamen de la situation avant l’expiration de cette période.
Recommandation n° 8. Introduire dans la loi la possibilité pour les personnes détenues de saisir le juge des référés dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 521-2 du code justice administrative pour contester leur inscription ou leur maintien au répertoire des DPS.
Recommandation n° 9. Clarifier, dans le code pénitentiaire, les modalités d’intervention de l’autorité judiciaire dans la procédure d’orientation en QER en définissant un cadre juridique spécifique et respectueux des prérogatives de chacun des intervenants.
Recommandation n° 10. Rendre obligatoire l’évaluation ou la réévaluation d’un détenu condamné pour terrorisme islamiste (TIS) avant son intégration en détention ordinaire.
Recommandation n° 11. Renommer les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) en quartiers d’évaluation de la radicalisation et de la dangerosité (QERD), et renforcer, en leur sein, l’évaluation du risque de passage à l’acte violent afin de mieux le prévenir.
Recommandation n° 12. Définir des critères objectifs, notamment en ce qui concerne le comportement, pour permettre le classement d’un détenu au travail.
Recommandation n° 13. Prévoir de manière expresse que, dès lors qu’un détenu candidat au classement provoque un incident ou adopte un comportement répréhensible, la possibilité de candidater à un tel classement est suspendue pendant une période donnée, en fonction de la gravité des faits.
Recommandation n° 14. Prévoir la possibilité de déclasser à tout moment un détenu lorsqu’il ne satisfait plus aux critères qui ont fondé son classement au travail, y compris pour des motifs étrangers à l’exercice direct de l’activité réalisée à ce titre.
Recommandation n° 15. Proscrire le classement des détenus présentant un risque de passage à l’acte violent aux missions du service général impliquant une autonomie de déplacement. À défaut, assortir l’autonomie de déplacement de garanties suffisantes en termes de surveillance, y compris a posteriori, par exemple en étudiant la possibilité de doter ces détenus d’une caméra piéton pour l’exercice de leurs tâches.
Recommandation n° 16. Édicter une nouvelle doctrine d’emploi pour la vidéosurveillance dans les prisons et envisager la possibilité de recourir à la surveillance vidéo intelligente pour appuyer les personnels de surveillance dans leurs tâches et mieux lutter contre les violences.
Recommandation n° 17. Clarifier et formaliser l’organisation des échanges entre le délégué local ou le correspondant local au renseignement pénitentiaire et le chef de l’établissement pénitentiaire.
Recommandation n° 18. Faire du renseignement pénitentiaire un réel outil d’anticipation, de détection et de prévention du risque de passage à l’acte violent.
Recommandation n° 19. Prévoir la présence d’un médecin psychiatre de liaison dans les groupes d’évaluation départementaux de la radicalisation violente (GED) afin de permettre une évaluation plus fine de la dangerosité réelle de l’individu dont la situation est examinée.
Recommandation n° 20. Intégrer un représentant de la direction interrégionale des services pénitentiaires dans les GED concernés afin de mieux prendre en compte la gestion de la détention dans l’évaluation de la dangerosité de l’individu, et inversement.
Recommandation n° 21. Instaurer une procédure obligatoire et spéciale de signalement des changements de comportement chez les détenus radicalisés ou dangereux et garantir son traitement de manière rapide et pluridisciplinaire.
Recommandation n° 22. Faire de la préparation de la fin de peine une composante à part entière de la stratégie de lutte contre la radicalisation et définir une doctrine globale reposant sur l’obligation ou, à défaut, la généralisation de l’évaluation de la radicalisation et de la dangerosité avant et éventuellement après la sortie de prison.
Recommandation n° 23. Renommer les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) en quartiers de prise en charge de la radicalisation et de la dangerosité (QPRD), et accroître, en leur sein, la prise en charge des détenus présentant un risque de passage à l’acte violent.
Recommandation n° 24. Faire de l’affectation en QPRD une véritable transition entre l’isolement et la détention ordinaire lorsque cela s’avère opportun dans le parcours carcéral du détenu.
Recommandation n° 25. Veiller à la stricte application de la proposition n° 51 du plan pluriannuel de lutte contre les violences commises en milieu pénitentiaire.
Recommandation n° 26. Élaborer un plan pluriannuel pour la santé mentale des personnes détenues fondé sur un état des lieux précis de la situation.
Recommandation n° 27. Prévoir, dans le cadre de l’élaboration du plan pluriannuel, une actualisation des besoins en matière de prise en charge des troubles psychiatriques et, sur ce fondement, achever le programme de construction des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA).
Recommandation n° 28. Définir les modalités concrètes permettant aux surveillants pénitentiaires de contribuer de manière effective aux propositions de prise en charge adaptée des détenus par son travail de surveillance.
Recommandation n° 29. Augmenter les effectifs des juges de l’application des peines, notamment antiterroristes, afin, entre autres, de renforcer leur présence en détention. •