Statut de Détenu Particulièrement Signalé

L’hostilité affichée du gouvernement

La nouvelle du dessaisissement du Garde des Sceaux, Maître Dupond-Moretti, sur les «affaires» qu’il a plaidées en tant qu’avocat, alors qu’il était sur le point de rendre une décision concernant notamment Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, a suscité d’abord inquiétude, puis colère en Corse. Le Premier Ministre Jean Castex s’est attribué par décret le pouvoir de décider de la levée ou non du statut dit de Détenu Particulièrement Signalé, une ingérence inédite dans les procédures judiciaires en France!

 

Le chef du gouvernement poursuit la vindicte d’Etat dans cette affaire et réinvente le droit français par l’application de fait d’une peine incompressible aux détenus corses sans que cette peine n’ait été prononcée par un Tribunal! Voilà 21 ans que Alain Ferrandi et Pierre Alessandri sont incarcérés depuis leur interpellation en 1999. Ils sont libérables depuis 2017, du fait de la procédure de mise en liberté conditionnelle. Mais le statut de DPS fait barrage à ce droit.

De même, le statut de DPS bloque tout rapprochement par un artifice, contrairement au droit français qui permet aux condamnés d’être détenus dans une prison proche du lieu de résidence de leur famille. Par ce statut de DPS, l’État condamne donc à une triple peine le détenu et sa famille: sa détention, le refus de son rapprochement et du droit à avoir des visites de sa famille. Le refus de sa mise en liberté conditionnelle au terme de 18 ans de détention dans le cas d’une perpétuité sans peine incompressible.

Une situation contraire à toutes les Conventions internationales des droits de l’Homme.

Le 21 décembre, les présidents du Conseil Exécutif et de l’Assemblée de Corse ont communiqué ensemble sur l’annonce de dessaisissement du Garde des Sceaux par décret du Premier Ministre, dénonçant la «fiction juridique» que représente le maintien du statut de DPS. Ce 22 décembre, les élus étaient réunis en session de l’Assemblée de Corse lorsqu’ils ont appris le refus du Premier Ministre de lever le statut de DPS aux deux hommes, ce qui, de fait, bloque toute perspective également pour Yvan Colonna, détenu depuis 2003, et qui sera libérable à compter de l’an prochain.

La réaction du président de l’Exécutif, Gilles Simeoni a été grave et solennelle dans l’hémicycle. «Je suis bien sûr, comme vous, sous le choc de cette nouvelle», a-t-il dit, rappelant que «la main levée de cette mesure n’était rien d’autre que la demande de l’application du droit».

Dénonçant une argumentation fictive sur la soi-disant dangerosité de ces hommes, le président du Conseil Exécutif qualifie cette décision d’une «logique de vengeance», «d’autant plus grave qu’elle n’a pu être obtenue qu’au prix d’un stratagème juridique, le décret du 18 décembre dernier qui est venu élargir le champ du possible conflit d’intérêt du Garde des Sceaux, à travers un alinéa manifestement rédigé ad’hoc, directement pour l’empêcher de statuer dans cette affaire.»

«La politique pèse et pèse lourdement au détriment du droit» a dit encore le Président de l’Exécutif. «De mémoire d’avocat… on n’a jamais vu un Garde des Sceaux aller à l’encontre d’une double décision se prononçant sur une main levée du statut de DPS» (faisant référence au double avis favorable des commissions, départementale puis nationale).

«Cette juxtaposition du calendrier à tous les épisodes douloureux, difficiles, voire inacceptables que nous avons connus depuis quelques jours, me fait dire que vraiment, vraiment, nous sommes dans une situation qui est extrêmement inquiétante» a-t-il dit encore avec gravité.

Il a cité Valéry Giscard d’Estaing le 10 août 1974, en visite à la prison St Paul à Lyon, «qui a marqué des générations de juristes, d’avocats et de magistrats: «la prison c’est la privation de la liberté d’aller et de venir, et rien d’autre». 46 ans après, nous sommes condamnés nous en Corse à revivre en permanence les mêmes injustices» a encore déploré le président de l’Exécutif. «Dans la France qui est, ou qui se veut, qui se revendique le pays des droits de l’Homme, qui est une grande démocratie… qui réaffirme en permanence son attachement aux principes fondamentaux du droit tel qu’exprimé par la Constitution, par la Convention européenne des droits de l’Homme, il a été assumé en face de nous que cette décision de ne pas rapprocher ces hommes était une décision politique.»

«En tant que citoyen, en tant qu’élu, en tant que responsable, je ne peux pas me résoudre à cette injustice. Et je voudrais terminer en citant François Mauriac qui écrivait «la vengeance déguisée en justice, c’est notre plus affreuse grimace». L’État vient aujourd’hui de nous offrir, à tous les Corses, et aussi à tous les Français, la plus affreuse grimace» a conclu le président. •