Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna

Neuvième semaine d’audition

Neuvième semaine d’auditions pour la Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna, consacrée au syndicat de la magistrature et aux avocats de la famille d’Yvan Colonna. Des travaux qui essaient de cerner toutes les responsabilités qui ont pu conduire à ce sinistre jour de mars 2022 dans la salle de sport de la prison centrale d’Arles. On retrouve comme à chaque fois les mêmes questions, les mêmes doutes, sans parvenir à trouver des réponses.

 

 

Ce 15 mars, la Commission auditionnait des représentants des syndicats de magistrats : Mme Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, Mme Béatrice Brugère, secrétaire générale d’Unité magistrats, et M. Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats. Dans son exposé liminaire, ce dernier déplore « l’échec pour l’institution pénitentiaire » que représente le drame alors que les « deux profils étaient pourtant dans les radars » de l’administration. Il estime qu’aucune difficulté judiciaire n’a pu intervenir dans les circonstances du drame mais parle de difficultés tout de même « au vu de son délabrement » : effectif insuffisant de magistrats, moyen de communication, souvent en panne, « combien de données communiquées par les SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) en direction des JAP (juges d’application des peines) ont été perdues à cette occasion ? Je n’en sais rien. Combien d’incidents ainsi communiqués aux JAP n’ont pas pu être traités dans l’immédiateté, voire pas traités du tout. Je n’en sais rien » s’interroge le magistrat qui ne veut pas « entrer dans le fond du dossier que je ne connais pas ».

Mme Reuflet parle d’un statut DPS « coercitif » qui pourtant n’empêche pas de suivre des mesures de surveillance rapprochée. Comme M. Friat, elle ne constate pas « de difficultés dans l’organisation judiciaire mise en lumière par les circonstances des faits ».

Mme Brugère parle elle du manque « d’opérabilité » du renseignement pénitentiaire, bien que « enjeu majeur » insuffisamment « partagé », avec un « schéma hiérarchique » qui doit être « clarifié », une « instance décisionnelle » mieux « identifiée » et un cloisonnement qui doit être « nettement repensé ». Elle approuve les recommandations du rapport de l’IPJ (Inspection générale de la justice) sur les réductions de peine, le suivi du parcours carcéral, déplore le cloisonnement entre renseignement pénitentiaire et chefs d’établissements, prône un meilleur travail « en silo » des mondes judiciaire et pénitentiaire. Elle dénonce l’organisation de la prise en charge des détenus terroristes, « la multiplication des dispositifs et des intervenants, parfois concurrentiels », « l’empilement textuel ». Elle rappelle que la Cour européenne condamne le statut de DPS, que son syndicat en dénonce le « caractère politique » et son instrumentalisation. « Il me semble que sur les recours que vous avez fait sur le statut de DPS, il y a beaucoup de choses à dire sur la manière dont celui-ci a été attribué pour M. Colonna » dit encore Mme Brugère. Pour Unité magistrats, l’inscription ou la radiation au répertoire DPS ne devrait dépendre que de la seule autorité judiciaire.

 

Jean Félix Acquiviva résume les constats faits par la commission jusqu’ici, qui conduisent y compris à l’implication de l’appareil judiciaire, notamment concernant les avis « réservé » et « très réservé » donnés par le juge et le parquet de l’anti-terrorisme sur le transfert en Quartier d’évaluation de la radicalisation de Franck Elong Abé alors que sa dangerosité a été signalée en urgence à plusieurs reprises. Il interroge sur de possibles « instructions particulières » qui auraient pu être données par la Chancellerie sur la gestion des statuts de DPS des détenus corses ? M. Friat répond qu’il est une évidence « que le politique a un regard particulièrement acéré sur ce qui se passe s’agissant des DPS terroristes ». « C’est clair que l’impulsion est souvent une impulsion politique » ajoute le magistrat qui cite l’exemple basque et corse. Il évoque les circuits, les relations entre judiciaire et renseignement, les procédures diverses pour faire remonter les informations, les évaluations, etc. Le président l’interrompt : « malheureusement le constat que l’on fait… c’est que tout ce que vous venez de dire a explosé devant les faits. Tout… C’est tellement énorme ce qui s’est passé, je le dis comme ça pour ne pas être trop long, ce qui fait que c’est soit une gestion apocalyptique de l’ensemble du système qui est en cause, soit une main invisible qui a agi. Il ne peut pas y avoir d’autres alternatives » dit le président bousculant le magistrat avec les informations factuelles détenues par la commission. « J’aimerais avoir un échange un peu au fond sur quelque chose qui est avéré, si on remet en cause ce qui est avéré on ne va pas avancer » dit-il encore. M. Friat finit par dire : « est-ce qu’il est normal que le parquet à la française, soit quelque part soumis à l’autorité politique et au poids hiérarchique du garde des Sceaux ? » « Toute la difficulté pour nous lorsqu’on est magistrat c’est évidemment de résister à toutes zones d’influence politique et d’exercer de manière indépendante qu’on soit au Parquet ou au siège » dit Mme Brugère qui appelle à des procédures plus « loyales » et « transparentes ».

Rappelant la décision du tribunal administratif de Toulon, et la « fausse réunion anonyme qui s’est tenue avec des faux documents donnés par l’administration pénitentiaire de l’époque », Jean Félix Acquaviva conclut en disant « il y a aussi un besoin de reconnaissance de ce qui s’est passé ». D’autant qu’on est dans « des petits nombres » : 127 détenus, 15 DPS, seulement 4 terroristes islamistes, « alors que la seule conséquence du statut DPS est la surveillance accrue, comment ça se fait que cela se soit passé ? » interroge-t-il encore.

 

Le 16 mars, ce sont les avocats des détenus nationalistes, Maîtres Sylvain Cormier, Françoise Davideau et Patrice Spinosi, qui étaient auditionnés par la commission. Maître Eric Barbolosi était absent pour raison de santé. Là encore, au coeur des échanges, le statut de DPS et la façon dont a été géré le parcours carcéral d’Yvan Colonna, Pierre Alessandrini, et Alain Ferrandi, notamment le refus de leur rapprochement.

Maître Spinosi rappelle tout l’itinéraire pour tenter de faire « tomber », pour Yvan Colonna, ce statut « dérogatoire » renouvelé tous les ans avec « obligation de révision de la situation ». La décision est prise par le garde des Sceaux et son renouvellement a été « systématiquement attaqué depuis 2012 » par ses avocats. En vain. Y compris devant le Conseil d’État. Même chose pour les refus de transfert. « Il y avait une volonté manifeste de l’administration pénitentiaire de 1/ maintenir le statut DPS et 2/ surtout d’éviter une incarcération en Corse ». Pourtant, les choses ont évolué « postérieurement à l’assassinat » alors que manifestement les raisons avancées en 2021 pour justifier le maintien du statut n’ont pas changé en 2022, fait remarquer maître Spinosi avec beaucoup d’amertume. Mais il fait part aussi des attentes de la famille d’Yvan Colonna. « Selon la nature de vos conclusions, selon l’existence de fautes et de manquements de l’administration à ses propres obligations, la famille n’exclut en aucune façon de déposer plainte, qu’il s’agisse d’une non-assistance à personne en danger ou d’une mise en danger de la vie d’autrui » conclut-il.

Maître Davideau, avocate d’Alain Ferrandi, explique à son tour ses interventions par rapport à la levée du statut DPS, les demandes de transfert ou d’autorisations de sortie pour des raisons familiales, avec un seul résultat : le « néant ».

Elle dénonce « l’arbitraire » de ce statut et des décisions systématiquement prises de refus, les contraintes qu’il entraîne : « réveil toutes les trois heures, cellule devant les miradors, entraves pieds, chevilles, mains, le tout relié par des chaînes, enfin l’image du bagnard… escortes à trois pour subir des soins, tout ça sans aucun réel contrôle » explique-t-elle.

Idem Maître Cormier, avocat d’Yvan Colonna, qui parle avec émotion de l’homme qui est devenu un ami au fil des ans. Il énumère les mesures de surveillance qui visent les détenus DPS, souligne le fait que l’on peut être DPS et détenu en maison d’arrêt ; parle du caractère « ubuesque » des débats contradictoires sur la levée du statut. « Les critères retenus c’étaient en fait les critères liés à la condamnation » et non pas à son comportement en détention, affirme l’avocat. Et ce comportement était tellement correct, qu’on est allé chercher des « incidents disciplinaires »… Il cite le fait de prendre des médicaments sans ordonnance (cachets pour le mal de dos donnés par un autre détenu) en 2021 ; lecteur MP3 acheté en 2020, ce qui est légal, mais avec des cartes, ce qui ne l’est pas, pour écouter de la musique ; montre connecté pour faire son sport, détenue depuis des années, mais subitement transformée en « incident disciplinaire » ; grève de la faim… « Je me suis interrogé, pour l’administration, ne s’agit-il pas d’habiller un petit peu mieux le dossier disciplinaire pour qu’il ait l’air un petit peu plus détenu particulièrement signalé ? » confie l’avocat. À mettre en parallèle bien sûr avec les vrais incidents signalés pour Franck Elong Abé.

Maître Cormier revient sur la possibilité que celui-ci soit une source du renseignement pénitentiaire. Ce qui expliquerait selon lui ce traitement particulier, mais aussi « son mépris souverain des caméras de surveillance ». C’est pourquoi les avocats ont demandé la levée du secret défense. « Nous avons nourri la conviction qu’il y avait une forme de vengeance froide d’État, bureaucratique » dit encore l’avocat. Les avocats devaient prévenir 48h à l’avance leur besoin de rencontrer leur client, « délai indispensable, nécessaire pour organiser le trajet de la cellule au parloir avocat, pour qu’il ne rencontre personne, etc. Si on compare ce délai, ces précautions avec ce qui est la réalité de ce qui s’est passé, on est effaré de ce contraste. Comment peut-on être aussi rigoriste avec les avocats, le prisonnier, et comment peut-on laisser un assassinat se commettre pendant 10 minutes sans qu’absolument rien ne se passe, c’est assez sidérant » conclut l’avocat.

Une question toujours sans réponse. •

F.G.

 

* Lire Arritti de la semaine dernière. Tous nos comptes-rendus également sur notre site (rubrique Prigiuneri).