Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna

Nouvelles révélations sur Franck Elong Abé

La Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna se réunira le 24 janvier prochain pour de nouvelles auditions. La semaine dernière, ce sont des auditions à « huis clos » de la direction (actuelle et précédente) du renseignement pénitentiaire, qui ont troublé, avec de nouvelles révélations sur Franck Elong Abé qui interrogent : celui-ci était-il un indicateur ?

 

« Franck Elong Abé était-il potentiellement un indicateur des services de renseignements ? » La question est posée par Jean Félix Acquaviva ce 18 janvier lors d’une audition à huis clos des membres des services de renseignement de l’administration pénitentiaire. Le doute est permis, au vu des faits et des auditions du 12 janvier dernier1.

 

La « communauté » du renseignement en question

Rappelons combien la clémence durant le parcours de Franck Elong Abé dans les prisons françaises interroge (lire p5)… Rappelons que Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire, a expliqué lors de son audition le 12 janvier 2023, que son administration dispose d’un service de renseignement qui appartient à « la communauté nationale du renseignement », comprenant notamment la DGSI (sécurité intérieure), la DGSE (sécurité extérieure), le renseignement militaire (DRM), la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DRSD), la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), le service de Traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin)… mais aussi d’autres services d’autres organismes, comme le renseignement de la préfecture de police, le renseignement de la gendarmerie nationale, le renseignement territorial, le renseignement pénitentiaire, etc., et donc que ce service spécifique à l’administration pénitentiaire « entretient des relations avec l’ensemble des services du renseignement » a précisé M. Ridel le 12 janvier.

À savoir aussi qu’il existe un Conseil national du renseignement et un Coordonnateur national du renseignement pour une meilleure « efficacité collective de services de renseignements » et « une coordination au sommet de l’État », qui a conduit aussi à la création en 2017 d’une Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (sources : académie du renseignement).

Les services du renseignement pénitentiaire ont donc été auditionnés les 17 et 18 janvier. Et à la question de savoir si Franck Elong Abé était un indicateur de ces services, il a été répondu « secret défense ! ». Et ce, « de manière assez hâtive » s’étonne Jean Félix Acquaviva.

Troublant. Lorsque de hauts responsables du renseignement pénitentiaire évoque spontanément le « secret défense » à une telle question, au lieu de dire sereinement « non »… n’est-ce pas que cela peut signifier « oui » ? Et si c’est effectivement oui, cela « expliquerait beaucoup de choses » a dit le député de la Corse, Jean Félix Acquaviva. « Chacun en tirera les conclusions qu’il a envie d’en tirer, mais il y a quand même beaucoup d’éléments qui intriguent » a commenté également son collègue député de la France Insumise, Ugo Bernalicis.

Le rapporteur de la commission, Laurent Marcangeli, lui, modère de son côté, estimant que « le profil psychologique très particulier de Franck Elong Abé, son parcours carcéral en règle générale et son parcours de vie sont peu compatibles avec le statut d’indicateurs ». Il est vrai qu’on ne parle pas ici de James Bond 007 ! Le député de la première circonscription de Corse du Sud n’ignore pas cependant qu’il y a toutes sortes de profil au sein du renseignement français… La Corse est bien placée pour le savoir. Les barbouzeries n’ont pas manqué dans notre histoire, au plus haut niveau des institutions comme au plus bas niveau de la société…

Demande de levée du « secret défense »

« À la suite des auditions de l’actuelle et de l’ancienne cheffes du service national du renseignement pénitentiaire de cette semaine, Laurent Marcangeli et moi-même, demandons officiellement la déclassification du rapport administratif de la Direction générale de la sécurité intérieure DGSI relatif à Franck Elong Abé. Il est essentiel que la commission d’enquête parlementaire puisse avoir à sa disposition tous les éléments du parcours passé de l’assassin d’Yvan Colonna notamment en Afghanistan » a informé Jean Félix Acquaviva. Une procédure qui passe par un accord du ministère de l’Intérieur et de la Première Ministre. Comment expliquer en effet que malgré son statut DPS, son parcours violent en prison, son profil psychologique, l’aggravation de sa radicalisation dans les semaines qui ont précédé l’agression, L’assassin d’Yvan Colonna a pu bénéficier d’un statut d’auxiliaire lui permettant de se déplacer tranquillement en prison, d’approcher les autres détenus, et notamment Yvan Colonna, lui-même classé DPS ? Pire, comment a-t-on pu le laisser durant de très longues minutes, presque un quart d’heure, auprès de lui, sans surveillance aucune ? Et sans justification valable non plus, puisque lors de l’audition de l’actuel directeur de la centrale d’Arles, Marc Ollier, et contrairement à ce qui avait été dit durant sa première audition le 30 mars 2022 devant la commission des Lois de l’assemblée, il n’y avait aucun autre événement pouvant expliquer l’absence de surveillance suffisante dans l’aile où s’est déroulée l’agression. Pour quelles raisons Elong Abé a-t-il obtenu toutes ces bonnes grâces ? Contre quel service en retour ?

 

Des pressions d’Elong Abé sur d’autres détenus

Du contenu de l’audition à huis-clos des services du renseignement pénitentiaire, nous n’avons hélas que les déclarations du président de la commission, mais elles résument le trouble ressenti. « Nous continuons à creuser les contradictions. Elles se font jour malgré tout de manière très forte » a commenté auprès de notre confrère France 3 Via Stella, Jean Félix Acquaviva. « Premièrement le délégué local du renseignement pénitentiaire a confirmé qu’il avait bien donné un avis personnel pour classer à chaque CPU2 Dangerosité Elong Abé en Quartier d’évaluation de la radicalisation avant sa sortie. Je rappelle que ce sont des commissions qui n’ont pas été suivies par la direction de l’administration pénitentiaire et par la directrice d’Arles alors que lui-même confirme qu’il avait donné cet avis. Deuxième élément, il fait part à une question d’un signalement qu’il a faite, justement de pression exercée par Franck Elong Abé pour obtenir le poste d’auxiliaire sport. Pressions vis-à-vis d’autres détenus qui voulaient ce poste. Or ce signalement, qui est enregistré, ne nous a pas été édicté par la cheffe d’établissement de l’époque lorsqu’elle a été auditionnée, ni par la direction de l’administration pénitentiaire. Et le troisième élément, à la question que j’ai posée de savoir si Elong Abé pouvait être potentiellement une source d’informations, un indicateur, pour les services de renseignement ? On nous a répondu le “secret défense” de manière assez hâtive. Ce qui laisse planer un doute important sur le fait qu’il peut être une source de renseignements et ce qui expliquerait beaucoup de choses dans la cascade des éléments qui ont décidé d’un régime favorable le concernant. C’était un moment fort de la commission. »

Franck Elong Abé n’était décidément pas un détenu modèle et plus on avance dans les auditions, plus des questions se posent… Lever le « secret défense » sur tout son parcours est indispensable. •

F.G.

 

  1. Lire ARRITTI n°2778 « Les auditions ont commencé… déconcertantes » 
  2. Commission pluridisciplinaire urgence.

 


 

Parcours carcéral de Franck Elong Abé

1986. Naissance au Cameroun où il est élevé par ses grands-parents. À 13 ans, il est suivi pour des troubles psychiatriques. À 15 ans, il rejoint ses parents en France. À 18 ans, il obtient la nationalité française. À partir de 20 ans, il est condamné plusieurs fois pour vol.

2008. Il part au Canada où il se convertit à l’Islam sous le nom de « Zacharia ».

2009. Il est expulsé du Canada pour avoir agressé des fidèles à qui il reproche d’être « de mauvais musulmans ».

2010. Après quelques mois en France, il rejoint l’Afghanistan où il aurait pris part à des combats après avoir suivi des entraînements au Pakistan.

2011. Il est arrêté par l’armée américaine au sein d’un groupe islamiste armé taliban. Il nie faire partie d’Al Qaïda. Il est détenu durant 2 ans à la prison de Bagram à Kaboul, appelée « le Guantanamo de l’Orient ».

2012. Il est remis à la DGSI au mois de mai et est placé en détention.

2015. Il tente de s’évader avec prise d’otage d’une interne à l’hôpital-prison de Séclin. Il est condamné à 30 mois de prison. En novembre, il est classé DPS.

2016. Il est condamné à 9 ans d’emprisonnement pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme ».

De 2012 à 2019, il passe par différentes prisons : Vendin-le-Veil, Condé-sur-Sarthe, Nantes, Arles. Il y commet une trentaine de faits de violence : destructions de matériel, incendies de cellule, agressions de détenus ou de gardiens, menaces…

2019. Il est transféré à la prison centrale d’Arles où il est de nouveau placé en isolement. L’administration y juge son comportement « très satisfaisant ».

2020. Il sort de l’isolement et fréquente les autres détenus, dont Yvan Colonna. Il obtient un travail d’auxiliaire de sport (obtenu, on l’a appris il y a peu, en exerçant des pressions sur d’autres détenus candidats).

Plusieurs signalements sont néanmoins faits : il se laisse pousser la barbe, dort à même le sol, observe une pratique « assidue et rigoriste » de l’islam, tient des propos radicaux lors de conversations téléphoniques, refuse de parler aux surveillantes, dit vouloir « mourir en héros » et être « grand par l’Islam », a un comportement « hautain et dédaigneux ».

En 2020, il est exclu d’une formation espaces verts après avoir donné un coup de tête à un détenu. En 2021, il commet des dégradations, refuse tout suivi psychologique, agresse un gardien, en menace d’autres, etc. En janvier 2022, il frappe un détenu.

De 2019 à 2022, une dizaine de Commissions pluridisciplinaires urgence Dangerosité préconise son passage en Quartier d’évaluation de la radicalisation. La direction de la prison décide de ne pas suivre ces demandes et de lui conserver le travail d’auxiliaire.

Exemple de recommandations des surveillants en 2021 : « constamment dans la provocation, impulsif et violent », « n’en fait qu’à sa tête », « fourbe », « à surveiller, trop sage »… Un rapport signale aussi qu’il « attendait souvent le même horaire de promenade ou de pratique sportive que Colonna »… •