Arritti poursuit son rappel des événements de la semaine un mois et demi après l’agression qui a coûté la vie à Yvan Colonna. Une lassitude s’installe mais elle cache une colère toujours bien vive.
6 avril. La famille d’Yvan Colonna dépose plainte contre l’État français. Pour le père, la mère, l’épouse, le frère, la sœur et les deux enfants d’Yvan Colonna « l’administration pénitentiaire est juridiquement responsable de son décès », explique leur avocat Maître Spinosi. Ils s’appuient sur « les différents éléments d’enquête rapportés par la presse et les auditions des parlementaires », les « dysfonctionnements administratifs », « les violences commises ». « Un tribunal indépendant et impartial a désormais la charge de juger des liens entre l’inaction de l’État et la mort d’Yvan Colonna ».
D’autant que de nouvelles révélations sur le comportement exécrable d’Elong Abe en prison mettent en cause l’administration pénitentiaire. Violences envers d’autres détenus ou du personnel pénitentiaire, destruction de matériels, menaces, comportements à risque, signalements… l’attitude de complaisance de l’administration envers l’agresseur d’Yvan Colonna est plus que suspecte.
Nouvelle mobilisation à Bastia, nouveaux affrontements. Un manifestant blessé au mollet est hospitalisé.
Le procureur de la République d’Aiacciu signale la découverte lors de la manifestation du 3 avril à Aiacciu, « de deux ogives », « potentiellement des armes létales. Il y aura un travail de police technique pour déterminer le calibre et l’origine éventuelle du tir ». Un cran supplémentaire dans la violence.
7 avril. Un attentat à Canale di Verde détruit une villa. Sur le mur, un tag de revendication : « Yvan 07/04/22 ». Le militant aurait fêté ses 62 ans aujourd’hui.
En ville, se multiplient des tags racistes : « Français = sous race » « IFF » « Français de merde »… mais aussi « Arabi fora » dont on veut croire qu’ils sont à la marge de la pensée de la jeunesse. Désapprobation unanime dans la classe politique et notamment chez les responsables nationalistes. Parmi eux, Jean Guy Talamoni tweete : « A lotta, sì. U razzìsimu, innò ».
L’altermondialiste José Bové vient en Corse dans le cadre de la campagne présidentielle. Il apporte une fois de plus son soutien aux luttes du peuple corse : « L’État français joue pour que ça craque, et après il dit qu’il ne veut plus discuter… Il faut beaucoup de sérénité aux Corses pour résister à la tentation de la violence » dénonce t-il en réaffirmant son soutien à « une autonomie de plein exercice et de plein droit », « cela fait partie de la culture des Verts de lutter contre la logique jacobine de l’État français ».
Le Collectif A Maffia Nò A Vita Iè demande à ce que soit intégrée « la question mafieuse à l’ordre du jour des futures négociations avec Paris ». « La dégradation politique et sociale actuelle constitue une aubaine pour les intérêts individualistes et ces structures occultes dont la puissance malfaisante croît sur le terreau du désordre, à l’instar de toutes les mafias du monde. Si l’on veut redonner de l’espoir à notre jeunesse, encourager sa force créatrice, la lutte contre la porosité qui entache les rapports du politique et de l’économique doit être une priorité ».
Un manifestant de 18 ans est condamné à 18 mois de prison dont 12 avec sursis et une interdiction de manifester durant 3 ans. Il sort néanmoins libre avec bracelet électronique. Il avait été arrêté en possession de cocktails molotovs et autre engin explosif.
« Yvan Colonna n’est pas un héros, il était un assassin » déclare le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, « porter le cercueil, mettre les drapeaux en berne, j’ai trouvé ça insultant pour l’État, pour la France et pour la famille Erignac ». « La porte du gouvernement est toujours ouverte sur cette question de l’autonomie dans la République », mais « pas tant que le calme n’est pas revenu » réitère le ministre. Il n’a rien compris.
8 avril. Entre opportunisme face à la démobilisation générale, et impuissance face au refus du dialogue de l’État, Corsica Lìbera et Core in Fronte appellent chacun de son côté au boycott de l’élection présidentielle. « Cette position gagne en cohérence face au mépris de Paris à l’égard du peuple corse et de la démocratie corse » disent les premiers. « Cet appel est conforme à nos principes et s’appuie sur le rôle et la place de la Corse dans les débats électoraux » disent les autres.
Un attentat à Ghisunaccia vise une villa appartenant à des continentaux. Pas de revendication.
9 avril. La décision du tribunal d’application des peines sur la demande d’aménagement de peine avec régime de semi-liberté de Pierre Alessandri est renvoyée au 12 mai. Ses deux précédentes demandes avaient été acceptées, mais attaquées par le Parquet antiterroriste, puis annulées du fait du statut de DPS. Pierre Alessandri et Alain Ferrandi sont libérables depuis 2017. La demande d’Alain Ferrandi sera examinée le 21 avril.
10 avril. Plusieurs dizaines de personnes, étudiants, universitaires, enseignants, retraités, culturels, etc. publient un « Manifestu », entièrement en langue corse, en forme de double appels : arrêt de la violence et union des élus, partis politiques et autres forces progressistes pour imposer un dialogue à l’État français : « Da troppu viulenza nascerà troppu viulenza. Ci hè digià corsu troppu sangue di i nostri, è sapemu tutti chì u prugressu sarà purtatu da i vivi, è sopratuttu da a nostra ghjuventù. Vulemu lampà una chjama à quella ghjuventù ! A lotta in carrughju, puru essendu leghjìttima, hè oghje duvintata periculosa per voi !… Hè ghjuntu u tempu di parlà, di prupone è di custruisce ! A lotta ùn pò esse sola pulìtica. A lotta ùn pò esse sola quella di u carrughju. Chjamemu u Statu è a so prifettura à fà piantà a viulenza pulizzera accanita è à apre e neguziazioni… Chjamemu à l’unione di tutti i Corsi, tutti par ritrattà inseme l’autunumia di dumane ! Parlendu d’una voce sola ! Quella di u pòpulu ! Dumandemu à e forze pulìtiche unite, elette o nò, di prisentà una pruposta cumuna, chjara è precisa di prugettu d’autunumia frà pocu. À nome di ’ssa brama populare, addunìtevi per assicurà a salute, a vita è u benestà di i nostri zitelli in mossa. U pòpulu corsu deve firmà addunitu ! Divisi ùn seremu nunda ! Tocc’à voi è à noi tutti d’impone una manera glubale di luttà, di modu trasversale, per fà cappià u statu… »
Des « femmes et mères nationalistes » apportent de leurs côtés soutien aux blessés des manifestations, et appellent à « la fin de la violence », et à l’abstention. « On veut que les forces de l’ordre quittent l’île pour pouvoir retrouver la paix ».
Corsica Lìbera installe des banderoles « Statu francese assassinu » et « Fora a Francia » devant le bureau centralisateur de Bastia. « On ne va pas empêcher les gens de voter mais c’est important de marquer le coup » explique un jeune militant.
Trois bungalows sont incendiés à Capu di Fenu. Pas de revendication.
11 avril. Pierre Alessandri et Alain Ferrandi sont transférés à la prison de Borgu. Leur retour avait été annoncé pour mi-avril. Il aura pris quelques jours d’avance…
Le scrutin présidentiel place Marine Le Pen et Emmanuel Macron en tête des suffrages en Corse. Quant à l’autonomie, les candidats qui y sont le plus hostiles cumulent en Corse plus de 60 % des voix… Qual’hè chì ci capisce ?
Selon une annonce de TF1, le gouvernement retient la publication du rapport intermédiaire de l’Inspection général de la justice sur l’assassinat d’Yvan Colonna à la Maison centrale d’Arles. Matignon a en effet demandé un complément d’informations. Gêné par certaines divulgations ? Il faudra attendre le rapport définitif pour en savoir plus. Christine Colonna tweete : « Les conclusions de ce rapport sont-elles déjà, à ce stade, si problématiques qu’on tente de trouver de fausses raisons d’en retarder la parution ? #yvanColonna #scandaludistatu A verità avà ! » •