Ghjustizia è verità

Yvan, un annu

Digià un annu chì Yvan Colonna hà scontru u so assassinu… E nostre pensate vanu à a so famiglia, e nostre brame sò per chjamà senza sfiatà ghjustizia è verità. Cù sti qualchi ramentu, Arritti si volta cù umilità nant’à i principali fatti di st’annata pisante di dolu, di còllera è d’amarezza. Riposi in pace o Yvan.

 

 

Deux mars 2022. Yvan Colonna comme à l’accoutumée fait des exercices dans la salle de musculation de la centrale d’Arles. 20 ans à crier son innocence des faits qui lui sont reprochés, il a gardé le moral par le sport, la lecture, la réflexion sur l’avenir de la Corse, l’amour pour ses fils et les siens. Il est malheureusement seul ce 2 mars dans cette salle. Il aurait dû normalement quitter Arles pour passer devant la Commission nationale d’évaluation pour sa demande d’aménagement de peine, mais, devant la CNE, il faut reconnaître les faits pour lesquels un détenu est condamné. Or, Yvan est innocent. Se présenter devant cette commission ne servira à rien puisque sa demande de rapprochement, il en est persuadé, comme les précédentes, ne sera pas entendue…

 

10h13. Franck Elong Abé entre dans la salle comme auxiliaire rémunéré affecté au nettoyage de la salle. Le gardien lui a ouvert la porte puis s’en est allé. Où ? On ne le sait pas. Suffisamment loin en tous les cas. Il ne doit pourtant pas faire le nettoyage lorsque la salle est occupée, d’autant qu’Yvan doit terminer moins d’un quart d’heure plus tard ses exercices… Le gardien aurait dû le faire patienter. Il a dérogé à la règle…

Dès que la porte se referme Elong Abé saute à pieds joints de tout son poids sur le dos d’Yvan Colonna qui est à terre, puis lui écrase la trachée. Roué de coups sans pouvoir se défendre, étouffé avec une serviette puis un sac en plastique, il lutte pour sa survie… l’agression dure 9 longues minutes… elle est tranquille : l’homme (l’enquête parlementaire le révèlera) n’est pas inquiet d’être filmé par les caméras. Il sait qu’elles ne vont pas l’interrompre, car elles ne sont sous la surveillance d’aucun gardien…

Son méfait accompli, Elong Abé sort de la salle et dit au gardien qu’il croise qu’Yvan a eu un malaise, puis regagne sa cellule. L’alerte est donnée, mais se passent encore 3 à 4 minutes avant que des soins ne soient prodigués. Yvan est en arrêt cardiaque et respiratoire.

 

10h27. Massages cardiaques, défibrillateur, injection d’adrénaline parviennent à faire repartir le cœur. 10h35 les pompiers arrivent. Yvan est transporté dans le coma au centre hospitalier d’Arles, puis à l’hôpital de la Timone à Marseille.

11h06, Elong Abé est placé en quartier disciplinaire, puis mis en garde à vue.

L’émotion est grande en Corse. Des rassemblements spontanés, des veillées se font devant les églises ou les préfectures. Après les premiers moments de stupeur, l’indignation et la colère s’expriment par la voie de la jeunesse. Elle réagit à l’injustice que toute la Corse ressent. La facilité avec laquelle on a laissé agir l’agresseur malgré son profil djihadiste, révolte.  Le président de l’Exécutif dénonce ces circonstances troublantes et réclame une enquête parlementaire en sus de l’enquête judiciaire et de l’inspection générale pénitentiaire. Partis nationalistes et élus ont du mal à contenir collégiens et lycéens. Une première réunion à Corti les rassemblent avec l’ensemble des nationalistes pendant que l’État envoie un renfort de 150 CRS dans l’île. Le STC Marins parvient à détourner un navire qui devait les ravitailler en matériel. Aucun signe d’apaisement de la part du gouvernement, aucune réaction officielle, aucun contact du gouvernement avec le président de l’Exécutif…

 

6 mars. Une première grande manifestation « Statu francese assassinu » rassemble 12 à 15.000 personnes à Corti. Les échauffourées éclatent violentes et font une trentaine de blessés, 25 parmi les jeunes, 4 parmi les forces de l’ordre qui font usage de LBD à tirs tendus, prohibés par la justice européenne.

Accompagnant l’agonie d’Yvan dans l’espoir de son réveil, les rassemblements se poursuivent et la tension ne cesse de monter.

Franck Elong Abé est mis en examen pour tentative d’assassinat « à caractère terroriste ».

 

8 mars. L’État lève le statut de DPS d’Yvan Colonna, officiellement pour lui permettre de rester à l’hôpital mais c’est vu comme une provocation : si cette levée qui était de droit, avait été faite en son temps, il n’en serait pas là… Moins de deux semaines avant l’agression, la levée de ce statut pour Pierre Alessandri et Alain Ferrandi était encore rejetée…

Nouvelle réunion nationaliste à Corti le 9 mars en présence de centaines de personnes, une coordination se constitue et élargit les mots d’ordre : 1. Ghjustizia è verità 2. Libertà pè i patriotti 3. Ricunniscenza di u pòpulu corsu. Lycées et collèges sont bloqués, grèves et rassemblements se poursuivent. Le palais de justice d’Aiacciu est incendié. Plusieurs médias parlent de « situation insurrectionnelle ». La famille d’Yvan Colonna appelle au calme.

 

11 mars. L’État lève le statut de DPS de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Gérald Darmanin twitte être désigné pour ouvrir un dialogue avec les élus « sur l’avenir de la Corse »

L’évêque fait sonner les cloches de toutes les églises de Corse pour appeler « à la paix, à l’unité et à la réconciliation ».

 

13 mars. Une nouvelle manifestation rassemble 10 à 12.000 personnes sous la pluie à Bastia, toujours sous le mot d’ordre « Statu francese assassinu » auquel s’ajoute « Ghjustizia è verità ». Le centre-ville est le théâtre d’affrontements violents. Ce qui surprend c’est l’appui de la population aux jeunes prêts à en découdre. La foule reste sur place et encourage les jeunes qui ont retenu les leçons des violences policières à coup de flasballs et de grenades de désencerclement : cette fois, ils sont munis de masques, lunettes et coktails molotov. La Corse n’avait pas connu de telles violences de rues depuis les événements d’Aleria. Le bilan est lourd : 102 blessés, dont 77 parmi les forces de l’ordre selon le procureur de la République.

 

14 mars. C’est officiel, Gérald Darmanin est le nouveau « Monsieur Corse ». Les députés nationalistes à l’Assemblée nationale et leurs collègues députés fustigent cinq années de rendez-vous manqués avec la Corse. Les soutiens arrivent de toute l’Europe.

 

16 et 17 mars. Visite marathon du ministre de l’Intérieur pendant qu’Emmanuel Macron déclare « l’autonomie n’est pas un tabou ». Gilles Simeoni obtient un engagement cosigné du ministre sur l’autonomie, le rapprochement rapide d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, une première réunion des élus à Paris dès avril. Il promet toute la lumière sur l’agression contre Yvan Colonna, toujours entre la vie et la mort. Le Juge d’application des peines suspend sa peine pour permettre à sa famille de le visiter à l’hôpital sans contraintes.

 

21 mars 2022. Yvan Colonna meurt à l’Hôpital, sans revoir la Corse. Partout s’organisent des veillées. L’évêque de Corse se joint aux prières devant la cathédrale d’Aiacciu. À la mesure de l’émotion, la Collectivité de Corse met ses drapeaux en berne. Le gouvernement le lui reproche. Le 24 mars, la dépouille est accueillie à l’aéroport d’Aiacciu dans un silence poignant. Des milliers de personnes massées le long de la route accompagnent le cercueil. Le jour des obsèques, 25 mars, de nombreux commerces et institutions baissent rideau. Des délégations internationales sont présentes. Une minute de silence et des messes sont organisées partout en Corse. D’Aiacciu à Carghjese, des bandere à testa mora jalonnent l’itinéraire du convoi mortuaire. 3000 personnes assistent à l’enterrement.

Le lendemain, les tensions reprennent. Guérillas urbaines, incendies de villas appartenant à des continentaux, tags…

 

30 mars. À l’Assemblée nationale, la Commission des lois interroge les personnels pénitentiaires, révélant nombre de dysfonctionnements. Le 1er avril, le retour d’Alessandri et Ferrandi est annoncé comme imminent confirmant la gestion politique du statut DPS.

 

3 avril. Troisième manifestation en moins d’un mois derrière la banderole « Statu francese assassinu » à Aiacciu. Plus de 10.000 personnes défilent et des affrontements éclatent faisant une quinzaine de blessés dont deux graves parmi les manifestants. Des bâtiments officiels sont saccagés. Le Président de la République s’en offusque et annonce le report de la réunion avec les élus qui devait se tenir le 8 avril, il régresse : « l’autonomie n’est pas un objectif en soi ». Tous les mois qui suivront le gouvernement n’aura de cesse de souffler ainsi le chaud et le froid sur le dialogue avec la Corse.

Les mobilisations se poursuivent. Les blessés aussi. Tout ça sur fond d’élections présidentielles.

 

6 avril, la famille Colonna porte plainte contre l’État français.

En un mois de tensions, près de 300 personnes ont été blessées, 216 policiers, 76 manifestants.

 

11 avril, Alain Ferrandi et Pierre Alessandri sont transférés à la prison de Borgu. Un retour au goût amer, « il aura malheureusement fallu un drame absolu » déplore le député Jean Félix Acquaviva.

Les attentats par incendie se poursuivent, accompagnés de tags « IFF », « Fora »

 

24 avril, Emmanuel Macron est réélu, Gérald Darmanin est confirmé à l’Intérieur. Les trois députés nationalistes corses sont aussi réélus, ils ont même failli être quatre cette fois, mais toujours pas de réunion avec Paris…

 

2 mai, l’Assemblée de Corse relance les attentes. Elle demande que « toute la lumière soit faite sur les conditions de l’assassinat ». Et toujours pas de réunion avec Gérald Darmanin. Depuis 6 ans, Alain Ferrandi et Pierre Alessandri sont « libérables », mais c’est toujours le refus concernant leur demande d’aménagement de peine.

 

8 juillet, une rencontre entre le ministre de l’Intérieur et le président de l’Exécutif place Bauveau annonce enfin la reprise du dialogue.

 

21 juillet, un Comité stratégique rassemblant la représentation élue de l’île se met en place et annonce un cycle de 8 réunions thématiques.

 

22 juillet. Les députés nationalistes déposent une demande de commission d’enquête parlementaire sur les circonstances de l’assassinat. Sa recevabilité sera actée par la commission des lois le 23 novembre et le 7 décembre sa mise en place est effective. Elle est présidée par Jean Félix Acquaviva et Laurent Marcangeli en est le rapporteur.

 

28 juillet. Le rapport de l’Inspection générale de la justice sur les circonstances de l’assassinat est accablant. La Première ministre Elisabeth Borne annonce des procédures disciplinaires à l’encontre de la directrice de la centrale d’Arles et de l’agent chargé de la surveillance dans l’aile où se situe la salle de sport. Elle demande au garde des sceaux « une mission d’inspection sur l’évaluation » (les fameux quartiers d’évaluation de la radicalisation mis en place depuis cinq ans et devant lesquels Elong Abé aurait dû comparaitre). Mais trop de zones d’ombre demeurent…

Côté « processus », toujours des blocages… La rue s’est apaisée, mais les nationalistes quittent la table du fait des rejets de demandes d’aménagement de peine d’Alessandri et Ferrandi. Le 27 octobre, l’Assemblée de Corse est envahie par des militants. Elle vote une nouvelle résolution solennelle à l’unanimité pour la prise en compte des prisonniers dans le processus.

 

11 janvier 2023. Les auditions de la Commission d’enquête parlementaire démarrent*. Mensonges, omissions, dysfonctionnements, contradictions, parcours carcéral protégé de l’assassin… tout semble s’être conjugué pour ne laisser aucune chance à Yvan Colonna. La Commission, appuyée par l’Assemblée de Corse, demande une levée du « secret défense » concernant le parcours carcéral d’Yvan Colonna et de son assassin.

 

31 janvier. Pierre Alessandri obtient le régime de semi-liberté.

 

6 février. Discours d’ouverture remarqué de Gérald Darmanin lors de la commémoration des 25 ans de l’assassinat du préfet Erignac, qui contraste avec les fermetures des précédents anniversaires.

Le ministère de l’Intérieur donne son accord pour la déclassification du « secret défense » des documents de la DGSI, demandée par les juges chargés de l’enquête pénale et par la Commission d’enquête parlementaire.

 

23 février. Alain Ferrandi obtient le régime de semi-liberté.

 

24 février. Emmanuel Macron s’invite à la réunion du Comité stratégique à Paris. Il répète « pas de tabou » mais fixe deux lignes rouges : « la Corse dans la République » et le refus « de créer deux catégories de citoyens ». Le 28, les membres de la Commission d’enquête visitent la centrale d’Arles. Les personnels témoignent : « nous avons tiré la sonnette d’alarme sans être entendus… »  •

 

* À lire sur arritti.corsica rubrique Prigiuneri.