Riflessioni

Bourgeons et épines de l’autonomie

Le printemps de cette année aurait dû faire éclore les premiers bourgeons de l’autonomie. Ce sont les épines qui prolifèrent.

 

 

Enclavés et entravés que nous sommes entre les guerres, les tensions internationales, l’inflation, les conflits intérieurs, avons-nous quelque place dans cet entrelacs dont Macron lui-même ne discerne plus les priorités ?

On peut en douter. Darmanin, notre interlocuteur multicéphale, a comme mars sette barrette. Délégué à l’autonomie, il ne sait plus où donner de la casquette. Est-il le plus disponible dans ce temps pour résoudre notre équation à plusieurs inconnues dont quelques-uns de nos paramètres contradictoires et antagoniques ? En a-t-il encore la volonté ?

Si oui, faut-il attendre après les bassines, que cesse la menace terroriste, les morts de policiers ou de voyous en herbe, le bruit de la rue, y compris le nôtre ?

 

La mort tragique d’Yvan Colonna a remis sur le tapis ce qui était en dessous à commencer par les circonstances plus que troubles de son agression. Au-delà, la question corse dans son ensemble, pourtant défendue dans la discrétion avec autant d’acharnement que d’insuccès, s’est répliquée dans la rue, devenant certes plus visible et plus audible. Par ces répliques et le jaillissement du magma profond, on a cru pouvoir donner à penser que le président de l’Exécutif aurait été inactif voire trop longtemps conciliant avec l’état, sinon pire. Deux articles du Monde en septembre 2021 – donc avant la mort d’Yvan et les manifs – confirmés par Paris Match en février 2023, relatent un rendez-vous à l’initiative du Président de la République où l’autonomie de plein droit et de plein exercice a été confirmée recevable par ce dernier. Malgré le Simeoni-bashing, le président de l’Exécutif avec sa majorité garde volens nolens toute légitimité pour mener les discussions avec l’État.

La rumeur, les fake news, les réseaux sociaux ouverts à tous les délires, voire aux insultes et aux menaces, rendent l’action publique moins lisible. Que n’entend-on de contre-vérités !

La réalité devrait nous imposer l’union pour sortir ce peuple en lambeaux de sa lente et triste agonie. Les querelles intestines servent de prétexte à l’État lui offrant quasiment la démonstration alibi qu’une autonomie ne nous serait pas profitable.

Que ceux qui attisent les foyers de la discorde sachent qu’ils brûlent ce qu’il reste de la Corse, à petit feu.

 

Le contexte corse est propice à toutes les dérives : l’immense et silencieuse pauvreté face à l’ostentation de nombre de Rolex et de Porsche Cayenne – lorsqu’ils ne sont pas le fruit du travail bien évidemment – roulant sur les pavés de l’indigence en sont autant de marqueurs contrastés. D’un côté, ces pauvres écrasés sous leur plafond de verre, autant de têtes baissées, de dos courbés, à force d’humiliation. De l’autre cet affichage de la débauche, ouvrant opportunément un deal à ces malheureux qui en viennent à penser qu’ils pourraient sortir de leur condition pour enfin relever la tête. C’est pour partie le terreau des trafics, de la délinquance, quelquefois du crime ou de sa propre mort au dé-tour d’un chemin.

L’autre volet de ces dérives affiche un caractère plus « politique » : les attentats par le feu de mairies, d’entreprises, des résidences de familles corses ou non. C’est aujourd’hui une interrogation, demain ce pourrait être un problème. Ceux qui ont connu les années de plomb savent le prix des déchirures. Jouer avec le feu c’est risquer l’embrasement. Où trouver dans les fondamentaux du nationalisme de bonnes raisons de se solidariser à des actions aussi peu lisibles et aussi peu justifiées ? Quels patriotes défunts convoquer à la barre des défenseurs ? Quels arguments opposer à ceux qui ne rêvent que de « condamnation » ?

 

Malgré ce climat délétère, la fraction majoritaire, en nombre et en qualité, de volontaires pour sauver cette Corse, est remarquable tant au niveau des institutions, de l’université, des associations, de la société civile dans son ensemble. Elle est lucide, responsable, engagée, riche de projets, et compte de belles réalisations. Elle résiste avec intelligence et courage aussi, pour offrir le meilleur à sa jeunesse confrontée aux plus grands défis qu’ils soient écologiques ou sociétaux. Elle nous ouvre les portes de l’espoir.

Et ce même si elle se sent flouée quand elle se heurte à l’arbitrage d’un préfet pour l’heure jacobin et omnipotent, qui peut délivrer des permis de construire plus que contestables, distribuer l’argent public au gré des allégeances tacites ou avérées, au mépris des prérogatives et priorités de la CdC, souvent même en discordance totale avec les projets de cette dernière. Tels le téléporté ajaccien ou le port de Porti Vechju favorisant ainsi les antagonismes internes où les mêmes bénéficiaires de ces faveurs sont les premiers à se dresser ici contre la politique des déchets, là pour réclamer des barrages alors même qu’ils consomment sans pudeur cette manne financière hors de toute priorité, pas toujours dans l’intérêt principal des Corses.

 

Entre autres choses, ce qui manque à la Corse c’est un regard global sur notre cheminement mortifère. Le global c’est sortir des pièges de l’entre-soi, de la défiance à priori, pour entrer dans la recherche du compromis. Pour cela il nous faut nous essayer à l’humilité. Le premier qui s’y essaiera sera peut-être le moins humble. C’est pour cela que seul le collectif peut nous sauver ; hors des factions, des groupuscules, des mafieux, portant tous à des degrés divers la responsabilité devant l’histoire d’une dérive qui affectera en premier leurs enfants, mais aussi les nôtres. Que pèse notre discours face à l’immense capharnaüm ? Peu de chose ! Mais faut-il se taire pour autant ?

Que les vrais démocrates s’emparent de la parole, non seulement pour dénoncer la haine de tel préfet, la posture des défaits, l’imposture des bavards, la turpitude des combinazioni, mais pour faire jaillir et prospérer l’espoir, seul catalyseur de notre avenir dans une démocratie respectée et apaisée.

Les Grecs anciens honoraient un petit dieu appelé Kairos qui veillait sur l’instant opportun, sur le moment précis où il fallait s’emparer de l’avenir.

Comme eux l’ANZIANI PÈ L’AVENNE ne disent pas autre chose. •

L’Anziani per l’Avvene.