Gilles Simeoni

« Construire une solution politique pour répondre à une question qui est fondamentalement politique »

Le président de l’Exécutif était l’invité de la nouvelle émission de notre confrère RCFM, « Puliticamente » présentée par Hélène Battini. Arritti reprend quelques extraits de cette interview au moyen de laquelle Gilles Simeoni a fait sa rentrée politique le 10 septembre dernier.

 

Un Premier ministre a finalement été nommé… qu’en attendez-vous ? Quid de l’avenir institutionnel de l’île mais aussi de ses finances ?

On a été largement spectateur de cette séquence qui a été longue, incertaine, qui s’est finalement clôturée par la nomination de Michel Barnier, c’est une expression de la complexité actuelle de la vie politique française. En ce qui me concerne de façon générale et sans pour autant être un soutien de Michel Barnier, loin de là, j’espère pour la France qu’il réussira. J’espère surtout, et j’attends de lui, en tant que Premier ministre, qu’il poursuive le processus de révision constitutionnelle devant déboucher sur un statut d’autonomie.

 

Vous lui avez écrit pour lui faire savoir justement la nécessité de mener à son terme la révision constitutionnelle, le groupe Liot a été reçu, son président a porté aussi cette demande et disait avoir été entendu, une écoute neutre de la part d’un Michel Barnier sensible à la décentralisation des territoires. C’est un peu frileux ?

C’est la position d’un président de groupe qui regroupe plusieurs sensibilité politique au sein duquel sont très impliqués les deux députés nationalistes Michel Castellani et Paul André Colombani. Je leur fais confiance pour répercuter au sein de leur groupe l’essentiel de ce que nous voulons. Le groupe Liot et son président ont leur expression au sein de l’assemblée nationale. Moi je suis président du Conseil exécutif de Corse. Ce qui va se jouer dans les semaines et les mois prochains entre la Corse et l’État, n’est pas la mise en œuvre d’une décentralisation, fût-elle très poussée. Il s’agit d’aller vers une révision constitutionnelle, vers un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice avec un pouvoir législatif, et plus globalement de construire une solution politique pour répondre à une question qui est fondamentalement politique et qui puise à l’histoire, à la justice et à la reconnaissance d’un peuple.

 

Est-ce que vous pensez que ça pèsera autant que l’hostilité du RN ?

Il y a l’hostilité du RN, et puis il y a les autres forces politiques qui sont représentés au sein de l’assemblée nationale et au sein du sénat. Le processus de révision constitutionnelle était rentré dans sa phase conclusive au mois de juin. Il y a donc au-delà des péripéties de la vie politique française, une continuité de la parole de l’État et je compte sur le nouveau Premier ministre pour qu’elle soit respectée pour que le processus reprenne et soit mené à bonne fin.

 

Vous avez eu l’aide de Laurent Marcangeli jusqu’ici. Il pourrait rester un allié selon vous ?

Laurent Marcangeli a pris des positions politiques courageuses, ça n’exclut pas les différends et quelquefois des oppositions. Je vais continuer d’aller vers la reprise et je l’espère la conclusion heureuse du processus avec l’état d’esprit qui a été le mien. D’un côté la fidélité irréductible à l’idéal que nous avons porté collectivement depuis des décennies, et des dizaines de milliers de femmes et d’hommes de toutes générations avant nous, de l’autre la volonté de trouver des points d’équilibre, parce que je crois que dans cette solution politique à construire ensemble et dans ce statut d’autonomie que nous devons obtenir et que nous aurons ensuite à mettre en œuvre, il faut qu’il n’y ait que des gagnants.

 

Justement il parle de sa convergence avec Michel Barnier, et pas forcément du dossier corse. Il parle de flux migratoires, de sécurité, de santé, de sérieux budgétaire également. C’est ce point-là aussi qui risque de bloquer ?

La question budgétaire a une double dimension, une dimension d’urgence absolue et une dimension plus structurelle. Je rappelle que nous sommes la Corse et les Corses, happés dans une problématique qui nous dépasse largement. On l’a vu au plan politique avec une dissolution de l’assemblée nationale qui a eu des dégâts collatéraux sur les discussions que nous avions, et qui a également précipité l’engagement de la France dans une crise politique qui risque de devenir une crise de régime. Mais ce tourbillon nous impacte également au plan budgétaire. La France est aujourd’hui confrontée à un déficit public extrêmement important dans une situation budgétaire gravissime. On cherche 10, 20, 30 milliards d’économie et ces économies se feront également au détriment de toutes les collectivités locales.

 

À ça s’ajoute la vision du nouveau premier Ministre, le modèle de la DSP il ne le plébiscitait pas il y a 20 ans lorsqu’il était à l’Europe, pourquoi la financer aujourd’hui ?

C’est la première urgence, la réindexation de la Dotation de Continuité Territoriale. Je rappelle que nous sommes en voie d’obtenir de l’Union européenne qu’elle valide définitivement le système de délégation de service public dans le maritime et dans l’aérien. Dans l’aérien, c’est acquis. Dans le maritime nous sommes à quelques encablures je l’espère de la conclusion heureuse de la procédure. Il y a à la fois la volonté de notre part de défendre le service public, de respecter les engagements contractuels qui sont pris au titre de la délégation de service public, et la volonté de faire corriger une injustice, puisque je le rappelle l’État a validé le périmètre du service public et n’a plus réindexée la DCT depuis 2009. Aujourd’hui il manque structurellement près de 40 millions d’euros. On avait eu des aides conjoncturelles en 2021 et 2022, nous avons besoin aujourd’hui d’une réindexation structurelle. C’est une négociation qui est budgétaire mais qui est également politique. Je rappelle qu’il y a un vote unanime de l’assemblée de Corse. Ce n’est pas seulement un bras de fer politique, c’est un enjeu économique et social très direct puisque très concrètement si nous n’obtenons pas la réindexation de la DCT, c’est le service public maritime et aérien qui sera en danger avec à la clé des risques majeurs sur des centaines d’emplois directs et des milliers d’emplois indirects. Toute l’économie de la Corse serait impactée, ce n’est pas envisageable. Parmi les urgences de la rentrée, je proposerais en tant que président du Conseil exécutif que nous ayons une démarche collective unanime pour obtenir cette réindexation.

Il y aura aussi une deuxième discussion au plan budgétaire, il y a des iniquités qui persistent, il y avait la perspective d’un nouveau pacte budgétaire, économique, financier et fiscal entre la Collectivité de Corse, les communes et intercommunalités et l’Etat. Avec la suspension du processus ces discussions ont également été interrompues, il faut vite les reprendre.

 

N’avez-vous pas la sensation d’avoir été mené en bateau par Emmanuel Macron ? Et ce coup d’arrêt sur le chemin de l’autonomie de l’île n’est-il pas l’échec d’une méthode, la recherche d’un compromis territorial à tout prix ?*

Je ne pense pas que ce qui s’est passé en juillet signe l’échec de la méthode. Sur la question de la méthode, je dis qu’il n’y en a pas d’autres. C’est ma responsabilité que de chercher à construire les convergences les plus larges possibles et je ne le regrette pas parce que je pense très sincèrement que la Corse a besoin de paix. Il y a la place aujourd’hui en Corse pour construire de très larges majorités de progrès, avec bien évidemment au sein de ces majorités le mouvement nationaliste dans toutes ses composantes.

« Mené en bateau » : comme beaucoup d’autres dans ces discussions, avec lucidité, nous sommes passés par des phases d’opposition très fortes avec les gouvernements successifs, avec l’État depuis des décennies, y compris avec le président Macron. À partir du moment où il y a eu des mots forts, par exemple du président Macron devant l’assemblée de Corse, mais également des actes, et l’ouverture d’un processus politique au lendemain de l’assassinat d’Yvan Colonna, il fallait y aller. Et je considère que nous avons bien fait. Quand vous discutez avec l’État, il ne peut pas y avoir d’autres solutions et d’autres issues que de trouver un accord et une solution politique avec l’État. Il faudra retourner vers ces négociations sans état d’âme, sans angélisme, en ayant conscience que les intérêts et la logique de l’État ne sont pas forcément compatibles avec les intérêts et la logique de celles et ceux qui défendent l’intérêt du peuple corse, mais le propre d’un conflit politique c’est qu’il doit se solder par une solution politique.

 

On entend parler de remaniement [de l’Exécutif de Corse] ?

Quand on parle d’un remaniement, on pense à de nouvelles femmes, de nouveaux hommes, une redistribution des responsabilités, ça fait partie de la vie démocratique, mais je pense qu’aujourd’hui les réponses ne peuvent pas se limiter uniquement à un remaniement. Il y aura des changements importants. J’ai écouté aussi ce que les Corses ont dit, à travers leur vote, mais également ce qu’ils m’ont dit lorsque j’ai eu l’occasion cet été de discuter dans les villages, souvent, dans toute la Corse. Il y a des améliorations à apporter, il y a des leçons à tirer, il y a des choses à changer y compris de ma part. Très concrètement il y aura bien sûr la recherche d’une efficacité accrue de l’administration de la Collectivité de Corse. Et puis il y aura une volonté d’aller plus vite, plus loin et plus fort sur la concrétisation des priorités politiques, y compris à droits constants.

Je ne pense pas qu’aujourd’hui les choses soient mûres pour que la majorité territoriale s’élargisse. Si je le faisais je pense que j’aurais une fin de non-recevoir, et de toutes façons on ne peut construire durablement que sur un socle commun, sur une confiance qui se construit aussi à l’aulne de ce que l’on fait ensemble. Ce que je vais proposer fait partie des innovations de cette rentrée politique, au sein de l’Assemblée de Corse, mais également aux forces politiques en dehors de l’assemblée, puisque certaines d’entre elles ne sont pas représentées, c’est d’abord de travailler à partir de la matrice de la délibération du 5 juillet 2023. Elle est essentielle parce qu’elle a permis de faire converger celles et ceux qui veulent un véritable statut d’autonomie dans toute sa dimension, mais également en perspective d’une véritable solution politique. Je m’adresserai bien sûr à Nazione qui n’a pas voté cette délibération. Mais au-delà de la délibération, je pense qu’aujourd’hui, y compris à droits constants, il faut identifier cinq ou six thématiques et au sein de ces thématiques, des priorités opérationnelles concrètes, et y travailler ensemble, identifier ces thématiques autour de la langue, de la terre, mais également dans des domaines concrets comme par exemple la santé ou le développement économique et social, et construire ensemble des propositions qui auront vocation ensuite à déboucher sur des rapports. L’idée c’est de démontrer qu’on peut avancer bien sûr, mais que sans autonomie nous ne pourrons pas aller aussi loin et aussi vite que nous devons le faire. •

 

* question posée par Roger Antech de Corse-Matin.

 

Pour accéder à l’intégralité de l’interview : www.francebleu.fr/infos/politique/