François Alfonsi sur Cuntrastu, émission de France 3 Via Stella

« Dans tout processus, il y a le principal et l’accessoire »

François Alfonsi, eurodéputé de la Corse, était l’invité de l’émission Cuntrastu sur France 3 Corse Via Stella le 14 février dernier. Il était interrogé par trois journalistes, Patrick Vinciguerra, de France Bleue Frequenza Mora, Ghjilormu Padovani, de Corse-Matin et Jean Vitus Albertini pour Via Stella. Morceaux choisis.

 

 

Processus Beauvau pour l’Autonomie

« Il faut donner du temps au temps mais je pense que le processus aura un débouché. Et ce débouché a été placé au niveau de l’autonomie de la Corse dès le départ, dès le protocole qui a été signé entre Gilles Simeoni et Gérald Darmanin. Donc il faut arriver là où on a dit que l’on arriverait (…)

Dans tout processus il y a le principal et l’accessoire. L’accessoire c’est des conditions posées par l’un des groupes sur l’organisation territoriale de la politique en Corse. Et puis le principal c’est les compétences que l’on va donner à la Corse et au peuple corse d’une façon générale pour décider et aller vers son avenir. Je pense qu’au moment des arbitrages il faut se concentrer sur le principal (…)

J’ai vécu en 1982 la création de l’Assemblée de Corse, vous vous en souvenez peut-être, une partie du mouvement nationaliste a fait campagne pour boycotter les élections en dénonçant a tràppula. Il y a toujours, quand il y a une négociation et un produit de cette négociation, un courant qui trouve que ça va trop loin et un courant qui trouve que ça ne va pas assez loin. Mais l’important c’est quand même d’avancer (…) et aujourd’hui quand on fait le bilan, tout le monde dit heureusement qu’on a créé l’assemblée de Corse. Je dirais que c’est pareil pour l’autonomie de la Corse. »

 

Pouvoir législatif

« C’est la règle. Et je peux vous dire puisque je suis député européen, je croise souvent des députés qui ne sont ni français ni ALE, la question qui se pose quand ils regardent la Corse et la Sardaigne. La Sardaigne est autonome depuis 70 ans et il ne se passe pas grand-chose vis-à-vis de la contestation politique de l’Italie. La Corse, on a voulu la maintenir dans le droit commun français de façon stricte depuis 60 ans et depuis 60 ans on sait ce qui s’y passe. Donc la question qui se pose c’est « pourquoi la Corse n’est pas autonome ? » La réalité c’est celle-là. La question interroge plus l’État français et son organisation que la volonté des Corses d’avoir leur autonomie comme l’ont les Sardes, les habitants des Baléares et toutes les situations comparables. C’est l’État français qui est interrogé, ce n’est pas l’Assemblée de Corse.

Comment organiser le scrutin territorial ? En Sardaigne pour garder l’exemple, ils ont modifié le nombre de provinces, c’est l’assemblée régionale sarde qui a décidé qu’il y aurait 8 ou 9 provinces au lieu de 4. C’est l’autonomie qui compte. C’est la capacité de décider soit même et ensuite de se tourner vers les Corses pour décider ceux qui sont majoritaires et ceux qui sont minoritaires. Aujourd’hui ceux qui sont majoritaires, ce sont les autonomistes »

 

Efficacité des institutions

« Les résultats économiques sont aussi tributaires de l’efficacité des institutions qui en décident. Les gens, on comprend bien qu’ils attendent de remplir le frigidaire, pour prendre une expression souvent employée, mais ils comprennent bien aussi que cela dépend de la qualité des décisions qui sont prises au niveau public, et du niveau où ces décisions sont prises (…) Les gens sont tous convaincus que plus les décisions sont prises à l’échelle de la Corse, plus elles seront profitables aux Corses (…)

Je suis nationaliste, je suis très attaché à l’autonomie, et puis je suis européen, je vois que c’est en gros ce qui fonctionne dans les îles et dans les territoires à forte identité. En Italie, il y a un territoire comme le Sud Tyrol qui est germanophone, et l’Italie ne se porte pas plus mal. Mais on a laissé les tyroliens continuer leur culture germanophone. Il faut décrisper le système français qui est complètement et largement le plus crispé d’Europe. S’il ne se décrispe pas, si les forces contraires – Conseil constitutionnel, la droite la plus refermée ou la gauche la plus jacobine – finissent par être majoritaires en France, on va avoir une difficulté de la Corse qui va continuer encore pendant des années. Aujourd’hui M. Darmanin, M. Macron, M. Simeoni aussi, sont à un rendez-vous de l’Histoire. Après, il y aura des contents, des mécontents, mais il y aura surtout des lendemains, et ce sont les lendemains qui comptent. »

 

Peuple corse et langue

« Dans toutes négociations, il faut trouver des compromis. (…) Peuple corse aujourd’hui, tout le monde a donné son aval à la formulation d’Emmanuel Macron, « Communauté corse, linguistique, culturelle, insulaire, etc. ». Il n’a pas dit « peuple corse », on est déjà dans un compromis, l’acceptation de cette formulation. Sur la langue corse, je crois que ce qui est important c’est le résultat. Il y a des situations où il y a une coofficialité avec des résultats très médiocres, et puis

des situations où la langue est très prospère – je pense aux Ladins dans les Dolomites, un petit peuple que j’ai visité et qui est exemplaire, en tous les cas significatif de ce qu’il faut faire pour qu’une langue se développe (…) À partir du moment où une langue à une réalité dans la société, elle y est officielle par définition. L’institution qui refuse l’officialité d’une langue qui a une réalité dans la société, est une institution bancale, qui ne tient pas compte de la réalité des populations qu’elle administre. Les institutions doivent s’adapter aux populations, pas le contraire (…) Dans le système français malheureusement les institutions sont tellement rigides qu’on a toujours tendance à Paris à vouloir demander aux gens de s’adapter aux institutions (…)

L’avenir du peuple corse se fait en regardant devant et en construisant l’avenir. En contribuant à la création des écoles immersives Scola Corsa comme j’ai pu le faire en tant que député européen, où l’enseignement de la langue corse garantit l’acquisition de la langue corse par les gamins. »

 

Montée de l’extrême-droite

« La montée de l’extrême-droite est un phénomène européen. L’endroit d’Europe où elle est la plus forte, c’est en France…. Même en Italie, le mouvement de Mme Meloni n’était pas aussi haut que ce que les sondages semblent attribuer aujourd’hui au mouvement de Mme Le Pen. L’extrême-droite est un problème pas que pour la Corse. C’est un problème beaucoup pour la France et au-delà beaucoup pour toute l’Europe. Est-ce que cette extrême-droite est capable de construire un avenir démocratique pour les peuples d’Europe, je vous réponds fortement non (…) Au Parlement européen, je vous assure que ça ne porte ni efficacité ni perspectives d’avenir (…) La réalité s’impose sur l’idéologie, c’est toujours comme ça. Et ce sera toujours comme ça aussi pour l’extrême-droite. Mais en attendant il peut y avoir des phénomènes de bulles et aujourd’hui on est dans ce phénomène de bulle. »

 

Élections européennes

« Les discussions avec les écologiqtes ne se sont pas bien passées. La fédération Régions & Peuples Solidaires a acté que la tête de liste des Verts serait désormais une femme et que donc la place que j’avais occupée devait l’être par une femme. On a désigné une candidate bretonne pour tenir ce rang, mais dans les discussions on nous a fait savoir que l’on ne voulait plus R&PS à la même place. Ça a posé des problèmes et très probablement, c’est pour ainsi dire acté, aux prochaines élections européennes, c’est dans une autre configuration que R&PS sera présente aux élections (…) Le PRG n’a plus rien à voir avec le PRG d’Émile Zuccarelli, d’ailleurs ils ont fait un divorce fracassant qui n’a pas eu beaucoup de résonnance en Corse, je partage votre avis qu’il va falloir beaucoup expliquer ici (…) C’est une coalition qui sera plus large et qui va essayer de regrouper des gens dont le fondement est d’être pro-européen bien sûr, et d’être ouverts à une évolution de la France dans le cadre européen vers le respect de ce qui est des lignes directrices européennes : la Charte des collectivités locales, la convention cadre pour les minorités, la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, il y a des textes européens qui sont dans le sens de nos revendications et que la France refuse d’appliquer. Le débat dont on parlait sur l’autonomie, c’est la France qui se met quelque part en règle avec les directives européennes (…) La coalition sera plus large que ça et elle propose un message… qui porte aussi sur les évolutions institutionnelles. »

 

Remise en cause du Padduc

« Dans le statut actuel de la Corse, il n’y a pas 36 mesures qui ont une couleur ou une odeur d’autonomie. Il y a le Padduc. C’est quand même spécifique à la Corse. C’est la seule région de France où les élus régionaux commandent l’aménagement du territoire, ailleurs c’est commandé par des préfets. Et ils ont fait le Padduc – grâce soit rendue à Maria Giudicelli qui a été tellement active pour sa mise en place – qui est un document protecteur auquel nous sommes tous attachés, notamment le président de l’Exécutif. Qu’il y ait dans l’exécution de ces prescriptions des dossiers qui soient délicats, il faut traiter les problèmes un par un, je suis pour le cas par cas, mais ceci étant dit, on ne peut pas à partir d’un cas remettre en cause ce qui est un grand progrès, et pour l’avancée de la Corse vers les responsabilités, et pour la protection de l’environnement de la Corse. » •