numaru speciale Autunumìa

Histoire : l’autonomie au fil des siècles

Les nations d’Europe puisent leurs sources à la sortie du Moyen Âge, à compter du 14e siècle, et leurs soubassements dans la Renaissance qui a suivi. La Corse était alors conquête génoise, et cette domination dura jusqu’au 18e siècle.

Ce 18e siècle a été celui qui a ouvert les temps modernes pour toutes les nations d’Europe tournées vers les Lumières. Cela a été particulièrement vrai en Corse où la révolte contre Gênes se déroula en deux temps : révolte en 1735, défaite, puis exil de Ghjacintu Paoli, père de Pasquale, à Naples en 1739 ; puis la prise de pouvoir de Pasquale Paoli en 1755 qui érigea l’île de Corse en Nation souveraine, la première à disposer d’une Constitution, ce qui la plaça à l’avant-garde de toutes les révolutions qui suivirent, aux États Unis en 1774 et en France en 1789.

Mais, dès 1768, la Nation corse a été défaite militairement par l’armée française, et le roi de France en a pris possession par la conquête et la violence.

Aussi, Pascal Paoli, parti en exil à Londres, accueillit avec espoir la révolution française de 1789. La Corse sous son autorité avait marqué les esprits européens les plus progressistes, et les nouveaux dirigeants de la France en firent une référence pour leur propre révolution.

 

1790-1795. Les premières tentatives d’autonomie

Pasquale Paoli est de retour en Corse en 1790, après avoir été ovationné et adoubé à Paris par la nouvelle classe politique française, ce qui a amené le roi Louis XVI, encore au pouvoir, à le nommer Commandant de l’île. Pasquale Paoli s’attache alors durant deux ans à construire un « pouvoir corse » sans aller jusqu’à une indépendance synonyme de rupture avec la France. De facto, ces deux années durant lesquels « u Babbu di a Patria » a exercé le pouvoir sur l’île ont formé un premier statut d’autonomie pour la Corse.

À compter de 1993, la République change de nature, imposant un centralisme intransigeant autour de la Convention qui, le 2 juillet 1793, ordonne l’arrestation de Pasquale Paoli. Ce dernier, qui avait déjà vécu une vingtaine d’années en exil à Londres, renoue alors avec son pays d’accueil et engage des tractations pour que la Corse soit rattachée à la couronne britannique, seule puissance militaire pouvant rivaliser avec l’armée française de l’époque, tout en conservant une très large autonomie pour l’île. En juin 1794, une Cunsulta réunie à Corti décide de rompre avec la France, et de faire allégeance à Londres en créant un « Royaume anglo-corse » qui devait laisser à Paoli le gouvernement de la Corse sous protection de la flotte britannique commandée par un amiral anglais.

Mais les choses se compliquent rapidement en Corse, sur fond de rivalité entre Paoli et Sir Eliott, comme sur la scène internationale où les britanniques subissent des revers. La couronne britannique quitte la Corse et, le 14 octobre 1795, Pasquale Paoli part à nouveau en exil à Londres.

 

1914-1939. La résurgence de la revendication autonomiste

Apparue juste avant que ne débute la Grande Guerre avec la revue « a Cispra » dont la devise était « A Corsica unn’hè micca un dipartimentu francese, hè una nazione viva chì hà da rinasce », le mouvement se déclare autonomiste, puis est occulté par la déclaration de guerre de 1914.

La guerre passée, le sentiment autonomiste revient avec force avec la revue a Muvra qui précède la création en 1923 du Partitu Corsu d’Azione qui devient ensuite le Partitu Corsu Autunumistu. Il se construit aussi un mouvement culturel (nombreux poètes et écrivains) et une démarche historique dont le point fort, en 1925, est l’érection du monument de Ponte Novu.

La seconde guerre mondiale fera ensuite échouer ce mouvement qui sera discrédité par la revendication irrédentiste du fascisme italien. Après 1945, autonomisme et irrédentisme sont mis dans un même opprobre tandis que la Corse, saignée par les guerres et par l’exil, vivote difficilement économiquement et démographiquement.

 

1965-2023. L’autonomisme des temps modernes

Vingt ans après la fin de la guerre, la Corse connait un retard de développement abyssal. La fin de l’empire colonial français fait ressortir le dénuement de la Corse encore plus fortement. Une protestation sociale se développe alors, qui aura pour résultat de dissuader l’implantation d’un site d’essais nucléaires en Corse à l’Argintella, et de sauver la ligne de chemin de fer que l’État voulait fermer. Mais ce mouvement protestataire touche rapidement ses limites tandis que plusieurs de ses animateurs réalisent en fait que, si les Corses ne sont pas traités à égalité du reste de la France, c’est avant tout parce qu’ils ne sont pas des français comme les autres, ils vivent dans un pays colonisé !

Le retour sur l’Histoire glorieuse de Pasquale Paoli, totalement occultée jusque-là, les premiers accents du Riacquistu, accompagnent alors un renouveau politique autour de l’ARC, d’abord Action Régionaliste Corse, qui deviendra Azzione pè a Rinàscità di a Corsica et qui publiera en en 1974 un livre qui fera date, intitulé Autunumìa.

Envoyé par Paris pour parlementer avec un mouvement contestataire qui enflait dangereusement, l’émissaire gouvernemental Libert Bou finit par répondre à Edmond et Max Simeoni qui sont les leaders de l’ARC : « Même 200.000 Corses autonomistes ne feraient pas changer la Constitution », fermant la porte à toute négociation, et déclenchant par là-même les évènements d’Aleria d’août 1975.

Depuis la contestation politique s’est amplifiée, et radicalisée. Pour désamorcer les crises les plus graves, les gouvernements ont fait des concessions ; ainsi la création de la première Assemblée de Corse par le statut particulier Defferre de 1981. Ce furent alors les premiers élus nationalistes qui ont pu siéger au sein de l’institution nouvellement créée.

Mais ses pouvoirs étaient extrêmement limités et la revendication corse a continué. Une nouvelle ouverture gouvernementale s’est produite dix ans plus tard (statut Joxe-Rocard), mais les avancées obtenues sur la reconnaissance du peuple corse notamment ont été censurées par le Conseil constitutionnel.

Dix ans plus tard, nouvelles discussions avec Lionel Jospin, mais le processus bute encore sur le véto constitutionnel et est interrompu par l’élimination de Lionel Jospin du second tour de la présidentielle de 2002.

À l’époque, le nationalisme plafonne à 25 % des voix. C’est à compter de 2014 (victoire à la mairie de Bastia), qu’il entame une spectaculaire montée en puissance. En décembre 2015, après une fusion entre les deux tours des listes pour former la coalition « Pè a Corsica », les nationalistes gagnent pour la première fois la présidence du Conseil exécutif de l’Assemblée de Corse. Gilles Simeoni est élu président après avoir rassemblé 35,34 % des voix au second tour et obtenu une majorité relative.

En décembre 2017, nouvelle élection après avoir obtenu, vieille revendication, la constitution d’une collectivité unique rassemblant la région et les deux conseils généraux : la liste conduite par Gilles Simeoni obtient 56,46 % des voix au second tour, vingt points de plus que deux ans auparavant, et une large majorité absolue. Élu en 2017, Emmanuel Macron ignore ce résultat démocratique et refuse d’engager les discussions sur l’autonomie de la Corse. La frustration des Corses est immense après son voyage officiel sur l’île en février 2018.

En juin 2021, nouvelle élection de l’Assemblée de Corse. Les listes nationalistes recueillent 67,97 % des voix, soit une nouvelle progression remarquable. Aucun dialogue ne s’annonce quand, le 1er mars 2022, l’assassinat sauvage en prison de haute sécurité d’Yvan Colonna provoque une protestation massive, notamment parmi la jeunesse. Face aux émeutes le Président de la République dépêche son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui accepte d’envisager l’autonomie de la Corse et engage le « processus de Beauvau » autour de ce projet. •

A. FRANCESCHI.