Appliquer le Padduc

Impératif pour le développement !

Après avoir longtemps été la seule île de Méditerranée à perdre de la population, la Corse accuse une forte augmentation démographique ces dernières années (lire p.8), essentiellement due aux flux migratoires, au détriment toujours de l’intérieur de l’île, cette augmentation se concentrant surtout sur les deux grands pôles urbains de Bastia et d’Aiacciu avec tous les déséquilibres infrastructurels – et donc économiques, sociaux, culturels, et même sociétaux – que cela comporte. Comment rééquilibrer la population au profit de l’ensemble de l’île ? Le Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse a anticipé, prévoyant les grands équilibres, et les moyens et outils pour les bâtir. Encore faut-il qu’il soit appliqué.

 

La croissance démographique n’est pas un problème pour l’île, elle est même fortement souhaitable pour offrir de meilleurs débouchés pour son marché économique intérieur, donc pour l’emploi. Les travaux d’élaboration du Padduc allaient jusqu’à imaginer un triplement sans difficulté de la population de l’île, mais avec une répartition homogène sur l’ensemble du territoire, et des politiques adéquates pour l’organiser, en termes d’aménagement du territoire, de choix économiques, de lutte contre les fractures sociales, mais aussi de préservation de la langue et de la culture, car il n’est pas possible d’accueillir des populations nouvelles, a fortiori dans une île, sans prévoir les moyens pour que ces populations adhèrent au projet collectif.

En janvier 2017, pour organiser en synergie le développement territoire par territoire, l’Assemblée de Corse adopte un rapport pour une politique de « territorialisation » du Padduc1, faisant en sorte de gérer ces équilibres impératifs en logements, notamment en logements sociaux, en commerces, en infrastructures de toutes natures, en occupation des sols, avec le développement nécessaire, notamment agricole, pour donner à chaque territoires ses chances d’avenir.

 

Où en sommes-nous ? La Collectivité de Corse est chargée de faire le point des grandes orientations que s’est données le Padduc, pour réajuster au besoin les politiques jusqu’ici mises en œuvre ; un rapport présenté par Julien Paolini, président de l’AUE2 a été adoptée en novembre dernier par l’Assemblée de Corse, annonçant un rendu dans quelques mois.

Pour l’heure, nul besoin d’être grand clerc pour constater que malgré de nombreuses délibérations en différents domaines, les tendances néfastes que le Padduc devait combattre se sont poursuivies : déséquilibres intérieur/littoral, urbain/rural, résidences principales/résidences secondaires, urbanisation non maîtrisée, déficit en logements, consommation des terres agricoles, spéculation foncière et immobilière, etc. En vérité, la plupart des administrations communales, intercommunales, et même territoriales, ont rangé le Padduc dans leurs tiroirs et ont gardé les mêmes réflexes qui ont conduit l’île au mal développement par le passé. Le Padduc vaut directive territoriale d’aménagement, mais c’est une prérogative qui n’est pas respectée. Il n’est que de voir comment se bâtissent les plans locaux d’urbanisme ou comment s’appliquent les politiques très importantes qu’adopte l’Assemblée de Corse comme les plans déchets, ou la programmation pluriannuelle de l’énergie.

 

L’État ne joue pas le jeu, et mise sur les rapports de forces institutionnels c’est sûr. L’administration préfectorale compose souvent avec le fameux « contrôle de légalité ». À sa décharge, ce n’est pas simple non plus, avec ses propres services vidés de moyens. Mais le manque de moyens, financiers ou humains de l’État ou de la Collectivité de Corse, n’est pas seul en cause. La volonté politique arrache toujours les moyens quand il le faut. Le vrai souci est dans la nécessité de se montrer plus énergique dans le suivi de la mise en œuvre des politiques, dans leur évaluation, et dans les sanctions et les réajustements qui vont avec. Il faut davantage de suivi, davantage former les hommes politiques et les porteurs de projets, les administrations, tous celles et ceux affectés à cette « mise en œuvre ». La Corse n’aura guère plus à gagner avec une autonomie « de plein exercice et de plein droit » si elle ne parvient pas d’ores et déjà à appliquer les décisions qu’elle prend. C’est un problème crucial.

La difficulté d’élaboration d’un simple PLU est tout à fait symptomatique de ce mal corse. Il se projette sans réfléchir au territoire qui l’insère, aux complémentarités à trouver ou à impulser. Il sert une somme d’intérêts particuliers au détriment des besoins collectifs, et il finit par invoquer l’impossibilité de faire prétextant un Padduc trop restrictif. Un comble ! Le propre de la politique est d’offrir des cadres, pas de les gommer. Et lorsque des décisions sont prises, il est nécessaire de les appliquer avant que d’imaginer devoir les réviser. •

Fabiana Giovannini.

 

1. Propositions pour une politique opérationnelle en matière de foncier, de logement, d’urbanisme et d’aménagement durable à l’échelle territoriale. Rapport 17/019 AC du 27 janvier 2017.

2. Agence d’Aménagement d’Urbanisme et d’Énergie de la Corse.