Fermeture du col de Banyuls en Catalogne

Incompréhensible et contraire au droit européen

Le député européen François Alfonsi, président de la Fédération Régions & Peuples Solidaires, s’est rendu, accompagné de Pèire Costa, directeur de R&PS, ce lundi 14 novembre au col de Banyuls, entre la Catalogne Nord (Pyrénées Orientales) et Sud (communauté autonome de Catalunya) à la rencontre des élus de la région pour leur apporter son soutien et témoigner de son indignation face à la violation du Traité de Schengen par la France. Toute une série d’actions, y compris judiciaires, sont engagées, mais le blocage préfectoral, incompréhensible et illégal, perdure, matérialisé par de gros blocs de pierres pour empêcher toute circulation, et ce depuis un arrêté en date du 7 janvier 2021. Explications.

 

 

Plusieurs élus catalans et membres associatifs accueillaient l’eurodéputé corse et R&PS. Parmi eux, le soutien de Oui au Pays Catalan que préside notre ami Jordi Vera. Présent également Unitat Catalana emmené par Jaume Roure. Le maire de Banyuls, Jean Michel Solé, et le président de l’association Albères Sans Frontières / Albera Sense Frontera, Pierre Becques (ancien maire de Banyuls), ont exposé la problématique qui se pose depuis maintenant deux ans, témoignant de l’arbitraire dont est victime toute une population sous de fallacieux prétextes.

On mesure avec cette affaire tout le fossé d’incompréhension qui peut exister entre les territoires et le pouvoir centraliste parisien qui méprise les aspirations des peuples, leurs cultures, leurs traditions. Un col, contrairement à ce que peut supposer la contrainte du relief, c’est d’abord un lien entre les territoires que Paris cherche aujourd’hui à briser à Banyuls.

 

“Le chemin de la liberté”

Le col de Banyuls a, depuis toujours, été un passage entre Nord et Sud Catalans. Au « Moyen-Âge, les moines du couvent de San Quirze de Colera sur le territoire de la commune de Rabos, entretenaient des liens réguliers avec le hameau de Banyuls, notamment pour y récupérer le sel », raconte Pierre Becque, président de Albera Sense Frontera, du nom du massif des Albères, à l’est de la chaîne des Pyrénées. Au XXe siècle, à la fin de la guerre civile espagnole, « de nombreux convois républicains l’empruntèrent pour fuir le franquisme ». Lors de la seconde guerre mondiale « un réseau d’évasion des juifs allemands persécutés a emprunté cette voie », « point de passage pour les Juifs, les résistants, les réfractaires au STO, les pilotes alliés abattus »… « Le philosophe allemand Walter Benjamin, l’écrivain Joseph Kessel, empruntèrent ces chemins »…

« Pour nous la symbolique est forte, cette route a toujours été le chemin de la liberté » surenchérit le maire de Banyuls Jean Michel Solé qui se désole « des relations très fraternelles interrompues » de part et d’autre de la frontière.

« La dictature de Franco ne nous empêchait pas de passer, il faut que ce soit la République qui le fasse ! » déplore Pierre Becque. On mesure l’amertume et la colère des habitants. Outre le symbole historique, outre l’atteinte à la libre circulation, c’est aussi une entrave économique conséquente pour la région. « De tous temps, des travailleurs agricoles permanents ou saisonniers ont emprunté cette voie ». Aujourd’hui, le rallongement du trajet (de 45 km et 40 mn supplémentaires) par le col le plus proche à Cerbère (resté ouvert) est une contrainte qui prive le territoire de Banyuls « de cette main d’œuvre essentielle ». Oléiculteurs, éleveurs des deux versants, sont victimes de cette discrimination qui n’a aucun fondement.

Même chose pour le commerce qui perd une clientèle importante quelle que soit la saison, et la dynamique de territoire s’en ressent, fêtes, foires, évènements comme les vendanges, autant de liens historiques et culturels interrompus par cette décision. Sans parler des problèmes de sécurité. Des accords-cadre entre les pays de l’Union européenne sont bafoués. Notamment concernant les services incendies. Cooperem est un accord signé entre le département des Pyrénées Orientales, le SDIS, la Generalitat de Catalunya, la Diputacio de Girona pour permettre une intervention immédiate de part et d’autre de la frontière en cas d’incendie. Une coopération financée par l’Union européenne.

Comble, dans l’arrêté préfectoral d’interdiction de circulation au col de Banyuls, il est dit que cette interdiction ne s’applique pas aux services incendie, « or par l’implantation matérielle d’obstacles, aucune circulation n’est possible et donc, en cas d’incendie majeur, l’État français est susceptible d’engager sa responsabilité » dénonce Pierre Becque.

 

Pourquoi fermer le col de Balnyus ?

Pourquoi cet arrêté alors ? Les motifs invoqués ne tiennent pas : Covid, menace terroriste, immigration cladestine. Au plus fort de la crise sanitaire, la libre circulation a été maintenue entre la France et l’Allemagne. Pourquoi l’empêcher maintenant du côté de la péninsule ibérique ? « Aucun élément ne démontre que le col de Banyuls soit un point de passage habituel de groupes terroristes » s’offusquent aussi nos amis catalans. Les auteurs des attentats du Bataclan sont venus de Belgique, la frontière avec la Belgique n’en a pas été fermée pour autant… Outre l’atteinte aux droits humains, l’immigration clandestine est aussi un prétexte. Celle-ci emprunte généralement des transports en commun, quant au trafic de drogue, il passe plutôt par les autoroutes que par les petites routes de montagne ! D’ailleurs, l’A9 ni aucun des autres cols restés ouverts à plusieurs kilomètres de Banyuls, ne font l’objet de mesures de contrôle particulier à la frontière. Si des terroristes ou des migrants souhaitent la franchir, ils ont tout loisir de contourner l’interdiction ! C’est donc uniquement l’économie de la région de Banyuls qui est lésée par cette interdiction. C’est dire la stupidité parfois des décisions administrativo-politiques depuis Paris !

Scandale dans le scandale, celle-ci se double d’un mépris affiché envers les élus qui ont fait remonter leurs doléances. Une déclaration de principe et de soutien a été cosignée le 29 octobre dernier par les députés européens catalans du sud Clara Ponsati Obiols et Jordi Solé, les Sénateurs de la région François Calvet, Jean Sol, Joseph Maria Cervera, Jordi Marti, les députés Mariona Illamola Dausà, Dani Cronella, Maria Antonia Batele, les conseillers régionaux Samuel Moli, également maire de Saint-André, et Aurélie Maillols, le Conseil Comarcal d’Empordà (côté sud) Josep Maria Bernils, le conseiller départemental Gregory Marty (maire de Port-vendres), et les maires de part et d’autre de la frontière, Jean Michel Solé (Banyuls), Cerbère (Christian Grau), Collioure (Guy Llobet), Sorède (Yves Porteix), Espolla (Carles Lagresa, Lluis Insa), La Vajol (Joachim Morillo), Capmany (Joan Fuentes), Cantallops (Joan Sabartes), Agullana (Josep Jovell), Vilajuiga (Xavier Llorente), Maureillas-las-Illas (Jean Vila), ainsi que le directeur de la Casa de la Generalitat de Perpinyà Alfons Quera. Mais rien n’y fait !

Maître Frédéric Bonnet, avocat de l’association Albera Sense Frontera a interpellé le préfet en août dernier et un recours pour excès de pouvoir près le Tribunal Administratif de Montpellier est en préparation.

 

François Alfonsi a demandé audience au préfet

François Alfonsi a écrit au préfet en prévision de son déplacement à Banyuls pour lui demander audience. Pas de réponse. L’eurodéputé Régions & Peuples Solidaires entreprend d’autres démarches pour dénoncer « cette situation contraire au principe de libre circulation, principe fondamental de l’Union européenne » qui « porte atteinte aux conditions de vie de nombreux citoyens qui ont besoin d’aller et de venir librement de part et d’autre de la frontière ». Quant à la question de l’immigration, « quand les migrants sont 10  kms au sud, ou 10 kms au nord, ils sont là, en Europe. Le problème humanitaire, le problème social, et de tout ce que cette situation représente comme enjeu au plan international, se pose dans les mêmes termes. Et il faut le traiter de toutes façons ».

Effaré par cette situation, François Alfonsi saisira le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et la Commission européenne. De même Jean Félix Acquaviva déposera une question orale au gouvernement. Affaire à suivre de très près.•

Fabiana Giovannini.