Contre la privatisation des ports et aéroports de Corse

Le fond du dossier

Dans ce dossier juridiquement complexe se jouent des enjeux politiques majeurs. En tout premier lieu, il s’agit d’imposer le respect des compétences de la Corse qui ont été arrachées par le combat autonomiste des cinquante dernières années, particulièrement dans ce domaine qui, dans une île, est par définition hautement stratégique.

 

 

Une question politique majeure

La question des ports et aéroports remonte aux années Jospin, quand le Premier ministre avait, en 2002, voulu donner plus d’autonomie à la Corse en transférant la propriété des ports et aéroports à la Collectivité de Corse. L’article 15 de la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse a ainsi disposé : « les biens appartenant à l’État des ports d’Ajaccio et de Bastia (…) les biens des aérodromes d’Ajaccio, de Bastia, de Calvi et de Fìgari, appartenant à l’État, sont transférés dans le patrimoine de la Collectivité territoriale de Corse. »

Cette avancée politique est une des plus importantes dont la Corse a pu bénéficier depuis le premier statut particulier de 1982. L’opinion publique, et même les élus de la Corse, n’ont pas toujours conscience de l’importance de cette décision. Mais pour en mesurer l’impact, sachons que la compétence sur les ports et aéroports est encore au cœur des revendications de la Catalogne qui, malgré sa large autonomie, en est toujours privée 45 ans après son premier statut.

Concrètement, ce transfert a été un long processus durant lequel les conventions préexistantes entre l’État et les Chambres de commerce et d’industrie ne pouvaient être interrompues, ou laissées sans continuité. Ainsi, en 2005, les quatre conventions aéroportuaires et celle du port de Bastia, ont été renouvelées par la Collectivité de Corse, et cosignées par le représentant de l’État, pour une durée transitoire de 15 ans, jusqu’en 2020, tandis que celle du port d’Aiacciu allait, elle, jusqu’à 2043. Par ailleurs, en 2010, est créée la Chambre régionale de Corse à laquelle se sont affiliées les deux Chambres insulaires jusque-là rattachées à la Chambre régionale PACA-Corse.

Au plan législatif, une étape importante a été franchie en 2015 par le vote de la loi NOTRe qui a refondu le périmètre de l’ensemble des Chambres de commerce de France, leur retirant la gestion automatique des ports et aéroports, gestion désormais ouverte à la concurrence à la fin des concessions en cours. En Corse, du fait de l’insularité, cela représente 90 % de l’activité totale des deux CCI, et l’avenir immédiat d’un bon millier de salariés.

 

Un processus complexe

La loi NOTRe est aussi celle qui a créé la Collectivité Unique de Corse par fusion de la CTC et des conseils généraux, et elle a décidé aussi la fin des CCI départementales de Corse, ce qui a conduit à leur réunion dans la Chambre régionale créée en 2010.  C’est en 2019 que la Chambre régionale de Corse a été érigée « établissement public administratif unique » dotée de l’autonomie financière et de la personnalité morale, actant la fin des deux chambres départementales.

Mais n’était pas encore réalisé le transfert de tutelle de l’État à la CdC promis par la loi Jospin en 2002. C’est par le vote d’un amendement déposé par les députés corses en mai 2019 à l’article 46 de la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) qu’a été transférée définitivement la tutelle de l’État sur la CCI à la Collectivité de Corse.

La prolongation de 15 ans des conventions en cours en 2005 conduisait à l’échéance de fin 2020 pour leur renouvellement, en pleine épidémie du Covid-19. Dans ce contexte particulier, où les trafics aérien et maritime se sont effondrés momentanément, décision a été prise par la CdC de repousser au 31/12/2024 l’expiration des conventions existantes.

Entretemps, l’État a engagé le processus de privatisation des aéroports en France, tout en mettant les plus stratégiques d’entre eux, particulièrement Aéroports de Paris (ADP), dans une société aéroportuaire d’État dont l’État détient 60 % des parts.

Un des premiers aéroports privatisés, en 2015, a été celui de Toulouse alors qu’Emmanuel Macron était ministre de l’Économie. Actionnaire principal avec 60 % des parts, l’État en a alors vendu 49,9 % après appel d’offres à une entreprise chinoise en 2014. Cinq ans plus tard, la multinationale chinoise a revendu ses parts en réalisant une plus-value de 200 millions d’euros, après avoir ponctionné de 50 M€ par l’auto-versement de dividendes les avoirs financiers, tout en rendant des infrastructures vieillissantes qui ont été revendues au géant du BTP Eiffage. Ce scandale retentissant a démontré le danger d’abandonner au seul secteur privé la gestion d’une infrastructure aussi stratégique. Dans le cas d’une île a fortiori.

L’emprise des majors du BTP, Eiffage, Vinci et Bouygues, sur les aéroports français s’est généralisée au fur et à mesure que les concessions existantes arrivaient à échéance. Beauvais, Tahiti, Lille, Toulon et 36 autres ont été ainsi raflés par les majors du BTP au détriment des CCI qui ne pouvaient faire face. En effet, pour les magnats du BTP, l’offre avantageuse faite au moment de l’achat est largement compensée par l’exclusivité qu’ils se réservent ensuite pour réaliser les travaux, entretien des pistes et des bâtiments, au détriment des autres entreprises qui n’ont plus accès à des marchés qui échappent alors à l’économie locale comme à la concurrence.

 

Comment la Corse pouvait-elle échapper à cette logique de dépossession ?

C’est à cet objectif que répondait la délibération de l’Assemblée de Corse votée le 27 septembre dernier. Car le comble de la duplicité de la part de l’État était de transférer cette compétence importante en organisant son détournement via une procédure de marché public perdue d’avance !

Dans le droit des collectivités, régi par des directives européennes, une activité économique ne peut échapper à la mise en concurrence qu’à condition qu’elle reste exercée par la collectivité elle-même, en régie directe ou indirecte.

La régie directe était impensable car elle aurait mené à intégrer les mille agents des CCI dans les effectifs de la CdC, alors que leurs statuts et leurs profils de postes sont totalement différents.

Une quasi-régie est par contre possible à travers une structure publique dédiée dont la gouvernance est directement placée sous la tutelle de la collectivité concessionnaire, à condition qu’elle assume elle-même les risques liés à cette activité. Ce n’est pas le cas des SEMOP ou des SEM. Le statut de SPL (société publique locale) ne permet pas d’intégrer un organisme comme la CCI. La création d’une société aéroportuaire dédiée, comme l’a fait l’État là où il a jugé que c’était stratégique (Paris, Marseille, Bordeaux, Nice, etc.) est interdite à la CdC.

Le cabinet Ernst et Young, mandaté pour proposer des scénarios opérationnels, a fait la suggestion d’un syndicat mixte ouvert, qui peut agir en « quasi-régie » pour le compte de son actionnaire principal CdC, et qui peut être ouvert à un établissement public comme la CCI, et donc intégrer ses personnels. Mais cette création doit être autorisée par l’État.

C’est cette autorisation que le représentant de l’État présent à l’assemblée générale de la Chambre de commerce et d’industrie appelé à délibérer sur ce montage a annoncé remettre en cause, provoquant une colère mémorable du président de l’Exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, et un blocage généralisé de tous les ports et aéroports par les personnels concernés.

Avec l’issue que l’on sait, à savoir un recul rapide de l’État, acté par un courrier conjoint de la « ministre de la Corse » Catherine Vautrin et du tout neuf ministre des Transports, François Derovray, qui ont exprimé « leur attachement (…) à définir, dans la concertation, les conditions de sécurisation juridique du modèle qui sera retenu ».

François Alfonsi.

 

 

Suite au propos du secrétaire général aux affaires corses (SGAC) et à la colère du président du Conseil exécutif, le STC s’est immédiatement mobilisé lançant un mouvement de grève spontané. Tous les syndicats de la Chambre de commerce et d’industrie se sont alors réunis en intersyndicale bloquant l’ensemble des ports et aéroports de l’île.

24 heures plus tard, l’État revenait à de meilleures intentions, l’intersyndicale STC-CGT-CFE-CGC levait le blocage après signature d’un accord entre la Collectivité de Corse, la CCI et l’État.

« Le président Simeoni a trouvé un accord avec la ministre, nous levons tous les blocages », a annoncé allègrement Laurent Filippi pour le STC. « Les infrastructures portuaires et aéroportuaires de l’île resteront sous maîtrise publique des institutions corses. C’est une grande victoire sociale, économique et politique pour le peuple corse ! » s’est félicité Gilles Simeoni.