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Le processus de Beauvau

Ce processus a commencé par un document intitulé « Compte rendu des réunions du 16 mars 2022 entre le ministre de l’Intérieur et les élus et forces vives de Corse ». Seules y figurent les signatures de Gérald Darmanin et Gilles Simeoni.

 

Ce document ouvre alors « un processus à vocation historique de discussions » et il précise que « son périmètre couvrira l’ensemble des problématiques corses, sans exclusive, parmi lesquelles figure l’évolution institutionnelle vers un statut d’autonomie qui reste à préciser (…) à la lumière des statuts existants dans la Constitution, en Méditerranée ou le long de l’Arc Atlantique, voire de propositions sui generis ».

Ce document est rendu public alors que la visite en Corse de Gérald Darmanin avait été décidée en urgence absolue, pour répondre aux manifestations massives et violentes de Corti, Bastia puis Aiacciu tenues durant le mois de mars en réaction à l’assassinat sauvage d’Yvan Colonna par un autre détenu, islamiste radicalisé, laissé inexplicablement seul et sans surveillance alors qu’il accomplissait son meurtre. Les manifestants sont persuadés que les conditions de ce meurtre ne sont pas fortuites alors que l’État fait obstruction depuis des années au rapprochement en Corse des trois prisonniers détenus dans le cadre du commando Erignac, Yvan Colonna, Alain Ferrandi et Pierre Alessandri.

Aussi, le document signé par Gérald Darmanin prend « l’engagement que toute la vérité soit faite sur les circonstances de l’assassinat d’Yvan Colonna ».

En cette fin du mois de mars 2022, commence ensuite la campagne officielle qui précède l’élection présidentielle. Une période de réserve s’installe alors jusqu’à la réélection d’Emmanuel Macron le 24 avril 2022, puis les élections législatives des 12 et 19 juin 2022. Le nouveau gouvernement formé maintient Gérald Darmanin comme ministre de l’Intérieur, et donc comme interlocuteur de l’État auprès des élus de la Corse.

 

Le 21 juillet 2022, à Paris, un « comité stratégique » est installé. La délégation corse est conduite par le président du Conseil exécutif. Elle comprend une représentation de toute l’Assemblée de Corse, sa présidente, et deux membres de chacun des groupes, les parlementaires (députés, sénateurs et député européen), et les présidents des deux associations des maires, Corse du Sud et Haute-Corse.

Une première réunion de travail est organisée le 16 septembre, durant laquelle sont exposés les données économiques et sociales les plus récentes concernant la Corse, ainsi qu’une approche comparée des statuts des îles en Méditerranée (Sardaigne, Sicile, Baléares, Crète) et sur la façade atlantique (Canaries et Açores).

Puis la machine s’enraye. L’appareil judiciaire, toujours sous pression d’une volonté de revanche d’État contre le commando Erignac, persiste à refuser les mises en liberté conditionnelle d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. Ce signal négatif est très mal perçu en Corse, tandis que le ministre de l’Intérieur s’abrite derrière « l’indépendance de la Justice ». Durant l’automne et l’hiver qui suivent, les rendez-vous sont repoussés, et le processus reste en panne.

 

Le 6 février 2023, en voyage officiel en Corse pour la commémoration de l’assassinat du préfet Erignac, Gérald Darmanin tient un discours remarqué pour relancer le processus. Son message est tourné vers l’avenir. Puis les digues cèdent enfin pour que des mesures de libération conditionnelle soient enfin effectives, le 14 février pour Pierre Alessandri, puis le 24 mars pour Alain Ferrandi.

Le 24 février 2023 se tient alors la troisième réunion du processus de Beauvau. Le dialogue reprend sur des bases plus sereines, et le Président de la République se déplace en personne place Beauvau pour assister à une bonne partie des discussions, et réitérer son intention d’inscrire la question corse dans le projet de révision constitutionnelle qu’il envisage durant son second quinquennat.

En pleine crise sur la réforme des retraites, et alors que la motion de censure déposée par le groupe LIOT au sein duquel siègent les trois élus nationalistes corses est débattue à l’Assemblée Nationale, le rendez-vous suivant d’abord prévu le 16 mai, puis repoussé au 25 mai, est finalement tenu 7 juin. Cette quatrième réunion parle de contenu pour l’autonomie, et Gilles Simeoni s’engage à porter une proposition officielle émanant de l’Assemblée de Corse avant le 14 juillet.

 

Le 5 juillet 2023, ce sera chose faite par la délibération de l’Assemblée de Corse « Autunumìa ». Elle est votée par 46 conseillers territoriaux sur 63, soit les trois-quarts de l’hémicycle.

Ni le 14 juillet, ni les jours qui ont suivi, cette proposition n’a fait l’objet d’aucune réponse. Lors d’un voyage en Nouvelle-Calédonie fin juillet, Emmanuel Macron et Gérald Darmanin ont confirmé leur projet d’une réforme constitutionnelle, ce qui laisse la porte ouverte pour y associer la question corse.

Dans quelles conditions, et avec quel niveau de réforme ? C’est tout l’enjeu des discussions qui reprendront dès septembre dans le cadre du processus de Beauvau. •

F.A.