Sept mois après sa présentation en Conseil des ministres et cinq mois après son adoption en première lecture au Sénat, les députés ont débuté l’examen du projet de loi « 3DS » (décentralisation, déconcentration, différenciation, simplification) le 6 décembre dernier. « Simplifier l’action publique, lever les freins inutiles et faciliter le quotidien des maires et des élus », c’est l’ambition de ce texte selon la Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault.
Parmi ses mesures phares on compte de multiples sujets : Gouvernance des agences régionales de santé, implantation des éoliennes et des radars, redéfinition du statut de la métropole d’Aix-Marseille, transfert de certaines routes nationales aux départements et régions volontaires. Ce projet de loi révisant la relation entre l’État et les collectivités territoriales, présenté comme une « somme de petites améliorations » au Congrès de l’Assemblée des départements de France (ADF) par le premier ministre Jean Castex, était passé de 84 à 217 articles après son examen au Palais du Luxembourg.
« C’est pour l’heure un rendez-vous manqué » selon Jean-Felix Acquaviva, député de la seconde circonscription de Haute-Corse, qui décrit le projet de loi 3DS comme un texte peu ambitieux car ne prévoyant aucun transfert majeur de compétences et correspondant très peu aux attentes des territoires en matière de décentralisation. Il souligne également que le projet de loi connait quelques incohérences comme l’inscription de multiples mesures visant à renforcer le pouvoir des départements et des intercommunalités tandis que la loi Notre avait accru les compétences des régions en 2015.
Les députés du groupe Libertés et territoires, où siègent les trois députés nationalistes corses, veulent donner une plus grande ambition à ce texte par les nombreux amendements déposés. Parmi leurs priorités : une volonté de revalorisation des régions, un renforcement de la prise en compte des particularités territoriales notamment les territoires ruraux et montagneux, l’inclusion d’une lutte contre la spéculation immobilière dans certains territoires et une revalorisation des élus. Les députés s’opposent également à plusieurs mesures sous-tendant des mécanismes de recentralisation comme la recentralisation des agences de l’eau par exemple.
Parmi les 183 amendements déposés par le groupe Libertés et territoires, certains d’entre eux portés par les députés corses ont été adoptés, notamment concernant une procédure d’expérimentation législative à la Corse différente du droit commun. Cet amendement permet de rendre effectif le Titre II de l’article L4422-16 du statut de la Corse du 22 janvier 2002. Il renforce alors le pouvoir réglementaire de la Collectivité de Corse et réintroduit une disposition qui autorise une expérimentation législative par demande motivée du conseil exécutif ou de l’Assemblée de Corse. Cette disposition avait été introduite par la loi du 22 janvier 2002, adoptée au Palais Bourbon mais censurée par le Conseil constitutionnel. La Collectivité de Corse pourra alors procéder à des expérimentations législatives pouvant comporter des dérogations aux règles en vigueur ou en cours d’élaboration quand elles présentent des difficultés d’application en Corse. Néanmoins, le choix de la nature et la portée de ces expérimentations reviendra toujours au législateur, ainsi que les cas, conditions et délais dans lesquels la Collectivité de Corse pourra appliquer ces dispositions.
Malgré un avis défavorable du Gouvernement, cet amendement a reçu le soutien de la majorité LREM et de l’opposition, hors Les Républicains. Bruno Questel, député LREM de la quatrième circonscription de l’Eure et rapporteur du projet de loi, a jugé légitime ce dispositif pour plusieurs raisons, développées en séance : « La première, c’est qu’il reprend le dispositif que nous avions adopté en Commission des lois lors de la niche parlementaire de votre groupe. Il serait malvenu, voire déconsidérant pour notre travail, de se déjuger parce que nous serions dans un autre contexte. Enfin, ce dispositif répond à une aspiration qui est légitime puisque consacrée par trois fois par le suffrage universel en Corse. » Un avis non partagé par la Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales Jacqueline Gourault, opposée à cet amendement : « La création d’une nouvelle voie d’expérimentation spécifique à la Collectivité de Corse ne peut pas être votée ainsi. En effet, le législateur ordinaire ne peut pas prévoir une délégation du pouvoir législatif à une collectivité territoriale, il faut que ça soit une loi organique, c’est la Constitution. »
Cependant, cet amendement a également recueilli le soutien de députés d’horizons politiques divers comme celui de Sébastien Jumel, député communiste de la sixième circonscription de Seine Maritime : « On pourrait laisser le Conseil Constitutionnel souverain porter son appréciation. Ce n’est pas une prise de risque immense que de renvoyer aux Sages leur principe d’appréciation de la Constitution sur le sujet. Mais l’argument fondamental, c’est le respect de la souveraineté exprimée à trois reprises et cela mérite d’être entendu par la représentation nationale. » L’amendement a donc été adopté en séance le 6 décembre dernier grâce au soutien de la majorité et d’une partie de l’opposition que le député Jean-Félix Acquaviva n’a pas manqué de remercier sur Twitter.
Plusieurs autres amendements soutenus par nos députés ont également été adoptés comme celui de Michel Castellani, inspiré de la proposition n°2 du « Rapport sur l’évolution institutionnelle de la Corse » réalisé et remis Wanda Mastor au Président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, permettant au Président de l’exécutif de pouvoir ester en justice de manière plus efficiente au nom de la Collectivité de Corse.
Même si ce projet de loi ne constitue pas une nouvelle étape majeure dans le processus de décentralisation et dans l’avènement d’un véritable statut d’autonomie pour la Corse, la commission mixte paritaire se penchera sur cet amendement en janvier pour pérenniser ou non cette disposition d’expérimentation législative. •