Gilles Simeoni, avant la venue d'Emmanuel Macron

« On ne peut pas conditionner l’issue du processus à l’unanimité totale en Corse »

« Je refuse les lignes rouges du Gouvernement, ce n’est pas pour imposer les miennes » a dit le président de la Collectivité de Corse sur le plateau de France 3 Via Stella au soir de la visite en Corse du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Première visite depuis longtemps, après moults atermoiements de la part du gouvernement. Le ministre, lui, ne s’est pas exprimé publiquement. La parole, c’est le Président de la République, Emmanuel Macron qui la prendra durant son voyage dans l’île à l’occasion du 80e anniversaire de la libération de la Corse, du 27 au 29 septembre prochain. La majorité territoriale reste sur l’état d’esprit affiché depuis le début de ce processus, déterminée et patiente, sans craindre le débat avec l’État. Gilles Simeoni s’est livré à nos confrères sur Corsica Sera. Extraits.

 

 

Au terme de cette visite éclair du ministre de l’Intérieur avec qui vous vous êtes entretenu à deux reprises, sur quelle impression restez-vous ?

D’abord une impression positive notamment tirée de la réunion avec les maires de Corse, également de la réunion de la présidente de l’Assemblée de Corse et les présidents de groupes. Ce qui est acquis aujourd’hui c’est, qu’au moins dans l’esprit du ministre de l’Intérieur, la nécessité d’une solution politique, d’un accord politique global et d’un statut d’autonomie, est acquise. C’est un point positif. Il ne l’avait jamais dit de façon aussi claire, et il a d’ailleurs pu s’apercevoir – notamment lors de la réunion avec les maires – que y compris chez les maires qu’il convient bien sûr d’impliquer pleinement dans le processus, notamment dans les dimensions fiscales, financières et de la clause générale de compétences, que la majorité des maires est favorable à un statut d’autonomie. Maintenant, reste une partie importante, voire essentielle, quel contenu à ce statut d’autonomie ? Et quel contour pour la solution politique globale indispensable.

 

À ce stade, vous n’avez pas d’informations sur les intentions de l’État sur ces sujets-là ?

On a noté un état d’esprit. Ce qu’a dit le ministre Darmanin, aussi bien publiquement que dans les différents échanges que nous avons eus, c’est que ce serait le président de la République, au moment de sa venue, prévue pour les 27 et 28 septembre prochain, qui ouvrirait le spectre de la discussion dans la deuxième phase du processus.

 

Deuxième phase qui s’étalerait sur quel calendrier ?

Un calendrier nécessairement resserré, sans doute de quelques mois, puisqu’il est également acté que la révision constitutionnelle concernant la Corse interviendra avant la fin de l’année 2024.

 

Visiblement, le projet « Autunumìa », voté par une large majorité, ne convient pas au pouvoir central, est-ce que vous avez eu l’occasion de le défendre auprès du ministre ?

Ça a été un des objets principaux de mes entretiens avec lui, lui présenter la délibération, lui expliquer ce qu’est notre état d’esprit de façon générale, et aussi réaffirmer que le respect du fait majoritaire, le respect de la démocratie, impliquent que cette délibération soit prise en compte. Peut-être pas dans sa totalité, il y a une place bien sûr pour la négociation, et je pense qu’il est nécessaire de trouver des points d’équilibre le plus largement possible…

 

Donc vous êtes prêt au compromis ?

Je suis prêt à faire ce qu’il y a à faire pour que la Corse puisse tourner la page de 50 ans de logique de conflit, et qu’elle puisse s’engager résolument sur les chemins de l’espoir, de l’émancipation. Ça passe aussi, incontestablement et indiscutablement, par la prise en compte de ce qui est fondamental pour nous, ce pourquoi nous nous sommes battus depuis 50 ans, et ce pourquoi aussi les Corses nous ont mandatés.

 

Est-ce qu’il y a des lignes rouges ? La notion de peuple corse par exemple ?

Vous le savez, j’ai expliqué au Gouvernement, et à l’État en général, qu’on n’allait pas vers une négociation d’une importance comme celle que nous menons, avec des lignes rouges. Je refuse celles du Gouvernement, ça n’est pas pour imposer les miennes. Par contre, un certain nombre de points fondamentaux, ils sont repris dans la délibération, nous avons vocation à les défendre. Nous avons aussi vocation à élargir, y compris au-delà de celles et ceux qui ont voté cette délibération. Je rappelle que ce n’est pas seulement la majorité territoriale qui a voté la délibération. Il y a près de 75 % de l’Assemblée qui a voté, et je rappelle en forme de sourire, qu’il n’y a eu aucun des textes de lois votés par le gouvernement dans le cadre de la mandature actuelle, qui a pu bénéficier d’une telle majorité. Maintenant, notre devoir, notre responsabilité, sont de rechercher des points d’équilibre y compris avec d’autres forces politiques, et c’est ce que nous allons essayer de faire.

 

Justement, l’absence d’accord ici en Corse mettrait fin au processus parlementaire prévu, c’est une éventualité que vous intégrez ?

On sait que c’est un parcours d’obstacles qui est devant nous et qui est difficile. Mais on ne peut pas conditionner l’issue du processus à l’unanimité totale en Corse. La démocratie c’est aussi la diversité, il y a des gens qui ne sont pas d’accord en Corse, et puis il y a un fait majoritaire qui doit être pris en compte. Et notre responsabilité c’est d’aller au de-delà de ce fait majoritaire et d’essayer de trouver des points d’équilibre. Le chemin est étroit, mais il existe.

 

Le Président de la République devrait venir à la fin du mois, allez-vous le rencontrer avant sa visite ?

Si j’en ai l’occasion je le ferai volontiers, notamment pour réaffirmer l’importance qu’il y a à trouver le chemin de la paix irréversiblement enracinée, de la prise en compte de l’existence de notre peuple, et de la construction d’un présent et d’un futur heureux pour la Corse. •