La tribune de Gilles Simeoni dans le Figaro

Pourquoi ce voyage ? Pourquoi la Corse ?

À la veille de la venue du Pape François dans l’île, Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de Corse, s’exprimait dans une tribune du Figaro, sous le titre : « Le voyage du pape en Corse montre qu’il peut exister un lien simple entre religions et laïcité ». Un message de fond qu’il était important d’exprimer et de réaffirmer dans le contexte corse et international, et qui met en relief le pourquoi de l’extraordinaire engouement des Corses pour cet évènement qui a été d’une dimension exceptionnelle.

 

 

« Le Pape François sera en Corse, à Aiacciu le dimanche 15 décembre. La perspective de cette visite enfièvre l’île et suscite un engouement populaire sans précédent. C’est en effet la première fois qu’un souverain pontife se rend dans l’île, pourtant distante de Rome d’à peine 350 kilomètres, et alors même qu’elle entretient avec le Vatican des liens étroits depuis le VIIIe siècle : la Corse a été une terre vaticane, éruptive et rebelle – « Cyrnorium fortia bella pectora – Les Corses intrépides au combat » – selon l’allégorie qui y est conservée ; plus de huit cents Corses formèrent d’ailleurs la Garde papale dès la fin du XVIe siècle. Aujourd’hui encore, le nom des rues et des églises du quartier romain de Trastevere témoigne de ce long compagnonnage des insulaires avec la papauté.

Mais ce poids de l’histoire, indéniable, n’a pas suffi à dissiper les questions, et quelquefois les incompréhensions : pourquoi ce voyage alors que le pape était absent, quelques jours avant, pour un événement majeur inscrit au confluent de l’histoire du sacré et du profane : la réouverture de Notre-Dame de Paris, redonnée à la France et au monde après avoir failli être engloutie par le brasier du 15 avril 2019 ?

Le Cardinal Bustillo, évêque de Corse, artisan clé, avec Mgr Mamberti, cardinal originaire de Vicu et préfet de la signature apostolique depuis 2014, de la venue du pape dans l’île, nous a donné quelques clés pour comprendre. Il a d’abord souligné que la joie et l’espérance ne se font pas concurrence : fête à Paris pour célébrer dans la gratitude envers tous ceux qui ont participé à la sauver et à la rétablir, la renaissance de Notre-Dame, fête en Corse pour le « Dimanche de la joie » à Aiacciu, fête universelle de Noël pour ensemencer la paix.

Alors que le monde, l’Europe et la France sont menacés par les guerres, les menaces et les tensions, l’Église invite celles et ceux qui croient, mais aussi tous les autres, à vivre dans le partage et la continuité ces trois moments heureux et fédérateurs, constitutifs d’une séquence globale et indivisible.

Le voyage du pape en Corse vient ensuite rappeler que la Corse est fille de cette Méditerranée, désignée, dans son discours de Marseille, comme un carrefour à la fois géographique et symbolique : celui du choix entre la culture de l’humanité et de la fraternité ou celle de l’indifférence.

Les institutions de la Corse, au nom de la tradition ancestrale d’hospitalité de l’île et du devoir sacré d’humanité, ont été les premières, en 2018, à proposer de recueillir les naufragés de l’Aquarius, quand les autorités étatiques européennes s’y refusaient. Ce choix a-t-il joué un rôle dans la décision du Saint-Père de rendre visite à l’île ? Impossible de le dire.

 

Reste une évidence, qui relève non plus du religieux mais du politique. Au-delà des crises migratoires, et pour pouvoir y répondre autrement que sous le prisme de l’urgence, de la crise et de la défiance, les États et les peuples du pourtour méditerranéen ont besoin d’un projet partagé. La Corse entend contribuer avec humilité, mais détermination, à l’invention de ce destin méditerranéen commun. Elle le fera notamment avec ses voisins sardes, toscans, catalans, mais aussi avec ses partenaires de la rive sud.

Le Cardinal Bustillo a, enfin, dans chacune de ses interventions publiques préparatoires à la visite du pape, rappelé un des enjeux principaux de ce déplacement : affirmer qu’il existe un lien simple, tacite, constructif entre religion et laïcité, et s’interroger sur les conditions à créer pour réparer les liens entre les autorités civiles et les autorités spirituelles. Ce débat est d’une actualité brûlante et douloureuse en France.

En quoi la Corse peut-elle contribuer à en alimenter et enrichir les termes ? Sans doute à travers la façon dont cette terre et son peuple vivent la relation entre religiosité et espace public, thème d’un colloque à dimension méditerranéenne que le Saint-Père clôturera dimanche matin. Une pratique que l’évêque de Corse, qui a quadrillé l’île dans ses moindres rencontres pour écouter celles et ceux qui y vivent, a qualifiée de « laïcité bienveillante » : une laïcité tranquille, inclusive, vécue au quotidien de façon apaisé et naturelle, sans ostracisme ni conflictualité. Une laïcité respectueuse de tous et de chacun, qui rappelle que la loi qui, en France, en pose le principe vise à la réconciliation et non au rejet et à l’hostilité.

La Corse est historiquement chrétienne. La religion et la foi catholiques, façonnent, depuis les temps les plus anciens, tous les moments clés de la vie communautaire de notre petit peuple : les fêtes, les deuils, les processions, le cycle des saisons, le nom des lieux comme celui des gens, jusqu’à, plus surprenant pour l’observateur extérieur, la bénédiction d’une rencontre sportive ou d’un ouvrage public.

Fait politique, culturel, et religieux s’interpénètrent indissociablement, et depuis longtemps : la Révolution de Corse, au XVIIIe siècle, a placé la jeune nation en lutte contre l’absolutisme du roi de France sous la protection de la Vierge Marie, laquelle a donné son nom – Dio vi salvi Regina – à notre hymne, qui sera entonné à la fin de la messe de dimanche.

Mais cette Révolution s’est aussi abreuvée à l’esprit des Lumières et s’est forgée autour des principes, gravés dans une Constitution écrite, de tolérance religieuse, de séparation des pouvoirs et de droit au bonheur. Et nous sommes fiers que les juifs, traqués et persécutés, à Livourne au XVIIIe siècle, au début du siècle en Syrie, ou dans l’Europe brune du deuxième conflit mondial, aient trouvé dans l’île un pays devenu le leur.

À la veille du 300e anniversaire de Pascal Paoli, la Corse d’aujourd’hui, par-delà les difficultés économiques et sociales, les incertitudes politiques, les tragédies de son histoire contemporaine, continue à s’inscrire dans le sillon ainsi tracé. Celui d’un modèle qui, tout à la fois, tient compte des racines d’un peuple, répond au besoin de sens et de spiritualité de la société contemporaine et offre à tous les citoyens, quelles que soient leur naissance, leur origine, leur couleur de peau ou leurs croyances, la même promesse d’appartenance et d’avenir.

En témoigne l’implication de la communauté musulmane de l’île aux préparatifs du voyage papal. C’est peut-être de ce modèle dont nous parlera le Pape François pendant sa visite pastorale, lui qui, en 2013 déjà, nous disait : « Je crois en l’homme ».