Autonumìa

Retour sur la visite du chef de gouvernement Basque en Corse

Iñigo Urkullu, président de la communauté autonome basque, a fait le lundi 30 mai une visite officielle de deux jours en Corse où il a été question de travailler, avec les élus de la majorité territoriale, autour du mémorandum mis en place entre les deux régions en avril 2021. L’occasion pour nous de revenir sur l’histoire du Pays Basque et de retracer son chemin vers l’autonomie.

 

Le Pays basque est situé à cheval sur les Pyrénées et sur la terminaison de la cordillère cantabrique, ce qui le situe donc sur le territoire français et espagnol. Il est composé de la communauté basque d’Espagne, qui comprend trois provinces, l’Álava, la Biscaye et le Guipúzcoa, ainsi que trois provinces françaises, le Labourd, la Soule et la Basse-Navarre. Le peuple basque est considéré comme le plus ancien groupe ethnique européen, et la langue basque est aussi la plus ancienne parlée en Europe. Cette ancienneté de la langue en fait une fierté pour le peuple basque. Le Pays basque fut tour à tour conquis par les Romains, au IIe siècle avant J.-C., puis par les Wisigoths au Ve siècle, et à la fin du VIIe siècle par le royaume musulman.

Son autonomie fut longue à gagner auprès des Espagnols. Effectivement, après la proclamation de la Seconde République espagnole, en 1931, les Basques espéraient que le nouveau régime leur accorderait plus d’autonomie. Cependant, ce n’est pas ce qui les attendait. Le statut d’autonomie est rejeté par les gouvernements espagnols avant que le Front populaire ne le leur accorde finalement en 1936. Un an plus tard, Francisco Franco attaque le Pays basque, et les années qui suivent marquent la mise en place d’un régime autoritaire et répressif. Les manifestations nationalistes sont alors interdites. C’est dans ces conditions que des mouvements comme l’Euskadi Ta Askatasuna, (ETA) voient le jour. Ils s’opposent au régime franquiste par la lutte armée.

Deux ans après la mort de Franco, en 1975, tous les prisonniers de l’ETA sont amnistiés et libérés. Puis, en 1979, les Basques obtiennent le statut d’autonomie auquel ils tenaient tant dans les années 1930. L’année suivante, ils élisent leur premier Parlement.

 

Il y a deux visions du conflit entre Basques et Espagnols. La première, défendue par les nationalistes basques, consiste à décrire la situation de la région comme étant le résultat d’un affrontement séculaire entre l’État espagnol et les Basques. Dans cet affrontement, les Basques luttent pour leur liberté et leur identité face à l’expansionnisme de Madrid, capitale de l’Espagne.

De l’autre côté, l’État espagnol et certaines formations, comme le Parti socialiste ouvrier espagnol, insistent sur l’absence de fondements historiques à ce conflit. Pour eux, la question basque est essentiellement un problème de terrorisme.

Les nationalistes basques ont toujours fondé leurs discours sur l’existence d’un conflit séculaire entre l’Espagne et l’Euskadi (le Pays basque). Cette interprétation se fonde sur plusieurs moments historiques, tel qu’au XIXe siècle, alors que l’Espagne aurait mis un terme à l’existence du Pays basque en tant que nation indépendante. La répression franquiste est également interprétée par les nationalistes basques comme un affront des Espagnols contre les Basques, notamment avec le bombardement de Guernica qui devient un symbole de cette agression.

Les nationalistes basques fondent donc leur volonté de séparation de l’État espagnol non seulement sur la singularité de leur langue et de leur peuple, mais aussi sur les nombreux conflits entre les Espagnols et les Basques au cours de l’histoire.

 

Le Pays basque a son propre gouvernement depuis 1980. Il est composé du lehendakari, le chef du gouvernement, qui est élu tous les quatre ans par le Parlement basque et par les conseillers qu’il choisit lui-même. L’actuel lehendakari est Iñigo Urkullu. Élu en 2012, il est à la tête du Parti nationaliste basque (PNV). Il est le cinquième lehendakari depuis la création du gouvernement basque, il y a près de 35 ans. Avant la création du gouvernement actuel, il y avait le gouvernement d’Euzkadi (1936-1978), puis le Conseil général basque (1978-1980).

Pour ce qui est du Parlement basque (Eusko Legebiltzarra), il exerce le pouvoir législatif, approuve les budgets, représente les citoyens et contrôle l’action du gouvernement de la communauté autonome. Le Parlement est constitué de 75 députés qui proviennent des trois territoires basques espagnols et qui sont élus au suffrage universel tous les quatre ans. Chaque territoire a le même nombre de députés.

La communauté autonome basque est l’une des 17 régions de l’État espagnol. Elle vote ses propres lois et peut donc mener des politiques tout à fait différentes de celui-ci. Les lois adoptées par le Parlement basque ont donc la même autorité que les lois de l’État espagnol. Le Parlement dispose aussi d’une compétence exclusive dans les secteurs de l’enseignement, la santé, les moyens de communication, la recherche, le développement économique, l’agriculture, la culture, et bien d’autres. La communauté basque dispose aussi d’une grande autonomie financière, c’est elle qui détermine sa politique fiscale, perçoit et gère les principaux impôts (sur le revenu, sur les sociétés et la taxe à la valeur ajoutée).

 

La première visite officielle d’Iñigo Urkullu, président du gouvernement basque, ces 30 et 31 mai en Corse marque incontestablement un temps fort politique pour l’île. Un déplacement qui s’inscrit dans le cadre du mémorandum mis en place en 2021 par la région autonome basque et la Collectivité de Corse. « C’est historique », a souligné Gilles Simeoni, « Iñigo Urkullu incarne le peuple basque et ses aspirations. Nous partageons, malgré nos différences géographique, culturelle, linguistique… des visions communes, celles d’États non formés et de l’union de deux peuples. Chacun a sa réalité propre mais les aspirations sont identiques : le développement d’une réalité institutionnelle dans le cadre de l’Union Européenne ».

Le président du gouvernement basque s’est rendu, avec les élus corses au sein de l’hémicycle pour s’adresser à différents acteurs : les élus des trois groupes nationalistes de l’Assemblée de Corse, les représentants des chambres consulaires, du CESEC, de l’Assemblea di a Ghjuventù et de la Chambre des Territoires. Lors d’une allocution particulièrement intense, Iñigo Urkullu a évoqué la situation actuelle du Pays Basque, la crise sanitaire de 2020 comme « un frein au développement des rapports entre les deux régions » et celle relative à la guerre en Ukraine. Insistant, au passage, sur l’importance de « veiller à la pérennité et à la qualité des services publics essentiels : santé, éducation, protection sociale ». Puis, le président basque est rentré dans le vif du sujet à travers la nécessité de bâtir une Europe des régions. Un point qui a constitué le fil rouge de ce voyage. « L’un des piliers de l’Europe du futur », a-t-il précisé, « c’est le respect de la diversité territoriale, culturelle, linguistique ou d’appartenance. Nous comprenons l’Europe comme la somme des peuples qui la composent ». Un point sur lequel a insisté de la même façon Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse : « Depuis le printemps 2021, la Corse a été invitée, comme observateur, à participer, aux initiatives de la RLEG, un groupe des régions européennes à compétence législative, coordonné et présidé par le Pays-Basque espagnol. Le groupe compte actuellement 16 régions qui partagent une base de valeurs et de principes communs et sont fortement engagées en faveur du processus d’intégration, tout en promouvant le principe d’une gouvernance multi-niveaux efficace dans l’Union. Si la Corse n’a pas de compétence législative, cette participation à RLEG s’inscrit dans la perspective de son évolution institutionnelle vers l’autonomie et dans le travail que nous menons auprès des institutions européennes pour la reconnaissance de nos spécificités. Nous nous réjouissons de pouvoir travailler ensemble, sur des sujets qui sont importants pour nos régions et nos peuples. »

Clara Maria Laredo.