Après Bastia, c’est Aiacciu qui a accueilli la manifestation appelée via internet et le hashtag #IwasCorsica, celui de jeunes femmes (et parfois de jeunes gens) victimes en Corse d’agressions et de harcèlements sexuels dans l’indifférence et même la complicité d’une société qui jusqu’ici s’est refusée à admettre la réalité d’une violence sexiste largement répandue.
De cette réalité sordide, en témoignent désormais ces centaines de très jeunes femmes, pancartes haut brandies, qui ont défilé entre tribunal et préfecture ce dimanche à Aiacciu, après l’avoir fait il y a deux semaines à Bastia. Leur slogan « non, c’est non » fait référence aux trop nombreuses soirées ou fêtes qui tournent au cauchemar pour celles qui refusent de céder aux avances de rencontres d’un soir qui se transforment en agressions dont les auteurs sont forts d’une impunité généralisée.
Le premier objectif de ces jeunes filles est de briser le silence qui assure cette impunité et autorise toutes les agressions à venir. Car c’est en ce sens que la société est responsable de ces drames, l’absence d’éducation, de respect de la femme, son image dégradée par la pornographie, tandis que le machisme ambiant, dopé par l’alcool et d’autres substances qui circulent beaucoup trop largement sur notre île, pousse des jeunes hommes a priori sans histoire à se transformer en agresseurs envers l’autre sexe.
La chape qui pesait sur cette réalité a été levée grâce aux réseaux sociaux, et au courage de celles qui ont témoigné, du haut de leurs 15-20 ans, en défilant fièrement dans les rues de leur ville, tête haute et poing levé, en scandant des slogans réclamant justice et protection à la société où elles vivent.
La Corse connaît trop de violences et trop de jeunes sont aspirés dans des spirales mortelles. Encore deux meurtres à Aiacciu le mois dernier. On nous promet après chaque méfait que la justice passera, mais force est de constater qu’il n’en est rien ou presque, et que le vivier délinquant s’alimente sans cesse avec de nouveaux jeunes qui basculent dans la violence une fois devenus adultes.
Cette dérive doit être stoppée, et grand merci à celles qui, en défendant leur corps et leur liberté, commencent à y mettre enfin le holà. Car les violences sont toutes liées, et celles faites aux filles aux portes des lycées ou des boîtes de nuit sont les prémices bien souvent de celles qui suivront aux conséquences plus graves encore.
En se portant aux côtés de ces jeunes filles qui scandent leur slogan « nous sommes corses, nous sommes fières… et en colère » la société corse fait davantage que ce qui a jamais été fait pour sortir beaucoup trop de nos jeunes du culte d’une virilité destructrice des valeurs de la vie et du respect de l’autre.
Les esprits doivent changer. La violence, quelle qu’elle soit, doit être combattue et, comme le proclament les manifestantes révoltées, la peur doit changer de camp. Cela fait quelque chose de voir ces jeunes filles prendre leur courage à deux mains, se libérer de ce poids du silence où elles étaient emprisonnées, du fait souvent que le coupable est un proche et continue de menacer, parler enfin de ce qui leur est arrivé, l’inacceptable, sans même que leur plainte ne soit prise en considération, ni par la police, ni par la justice. Quel laxisme intolérable en vérité !
Ce sont nos filles qui souffrent et se révoltent. Cela fait mal au cœur d’imaginer qu’elles ont pu être abandonnées dans leur malheur, et cela fait chaud au cœur de les voir redresser la tête et brandir leur fierté retrouvée dans l’action collective de manifestantes exigeantes et déterminées.
Elles font souffler un air incroyablement frais et salutaire après des années de « confinement machiste » hérité d’une société patriarcale où la violence a trop souvent eu cours. Grâce à elles, les jeunes de l’autre sexe seront désormais sans doute mieux éduqués.
La société corse ne s’en portera que mieux !