Les violences sexuelles faites aux mineurs sont un crime. Elles constituent une violation grave des droits fondamentaux des enfants. • La Corse n’est pas épargnée, c’est pour lutter contre ce fléau qu’une démarche citoyenne a été mise en place : la Commission régionale indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants de Corse.
La CRIIVISE est inspirée de la CIIVISE, Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, installée en France en 2020 à l’initiative du gouvernement, mais qui a pris une réelle ampleur de 2021 à 2023 sous la présidence du juge Edouard Durand qui s’est attelé avec beaucoup de détermmination à l’élaboration d’un rapport rendu en novembre 2023 et intitulé : « Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit ».
Ce rapport est accablant : « 160.000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l’impunité des agresseurs et l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques. Les deux tiers de ce coût faramineux résultent des conséquences à long terme sur la santé des victimes ».
Avec 82 préconisations formulées pour sortir du déni et commencer à soigner le mal, ce rapport a créé un immense espoir parmi les victimes, vite déçu par le limogeage du juge Durand, puis la mise en cause de certains responsables qui avaient pris sa suite.
Orphelins d’une continuité à tout ce travail, des régions ont créés des commissions régionales notamment à Marseille, et à Hyères. En Corse, c’est sous l’impulsion notamment du Dr Hatem Ballé que la CRIIVISE est mise en place dans l’île.
Médecin urgentiste au SAMU de Bastia, le Dr Ballé est un référent dans l’île de la lutte contre les violences sexistes ou sexuelles. Il dirige l’Unité hospitalière d’accueil et de prise en charge des victimes de violences faites aux femmes et aux enfants dont il a lui-même proposée la mise en place. Une structure qui a accueilli plus de 2000 victimes depuis 2017, qui ont pu recevoir une prise en charge pluridisciplinaire et transversale. Son action est saluée dans la profession. Il figure parmi les fondateurs du diplôme universitaire Violence Famille Société. Et il est décoré de l’Ordre national du mérite pour l’ensemble de son implication humaniste.
Ce 19 septembre à la Maison de Quartier des Cannes Aiacciu, C3S Corse Stratégie Santé Sexuelle et sa responsable Paule Maerten, organisaient une réunion avec le Dr Ballé afin de faire se rencontrer des acteurs de la lutte contre ces violences et échanger sur les actions à mener pour améliorer les parcours sanitaire et judiciaire des victimes mineures.
Présentes, surtout des femmes, des infirmières, psychologues, éducatrices, sophrologues, des membres d’associations, des chargés de mission à la Collectivité de Corse, des agents hospitaliers… Pas d’élus hélas, et un public trop restreint pour parvenir à mettre en place et généraliser un plan d’ampleur pour lutter contre ce fléau. Mais le démarrage de cette démarche citoyenne est très important. Pour le Dr Ballé c’est l’implication des professionnels de santé et de justice qui va pouvoir commencer à faire bouger les choses.
Il y a eu plusieurs débats après la remise du rapport de la CIIVISE en France, il y a eu les caravanes Mouv’Enfants organisées avec Arnaud Gallais, très impliqué dans cette lutte, lui-même victime dans l’enfance, il y a eu la mise en place d’un diplôme universitaire à l’Università di Corti sur ces violences. Il y a eu aussi avant le rapport de la CIIVISE, un colloque Agora organisé par l’ARS sur les violences sexuelles qui a eu un retentissement mais dont on attend toujours les suites*. Pour le Dr Ballé, il est désormais nécessaire et urgent de rassembler les acteurs volontaires du monde médical pour une prise en charge rapide et au bon niveau des victimes de ces violences. « La situation en Corse est catastrophique, dramatique, voire de pire en pire » dit le Dr Ballé. Au niveau de la Justice le travail reste à faire, la définition de victimes n’est pas la même au niveau judiciaire, certains juges en sont à tergiverser sur le degré de pénétration pour savoir s’il y a viol ou pas ! Alors que la loi est très claire :
– Agression sexuelle, art. 222.22 Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle de quelque nature que ce soit, commise sur la personne d’autrui avec violence, contrainte, menace ou surprise.
– Viol, art. 222.23 Tout acte de pénétration, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. Passible d’une peine de 15 ans de réclusion.
La loi prévoit des circonstances aggravantes en cas d’agression sur mineur de moins de 15 ans, pour un auteur ayant autorité, ou en cas de vulnérabilité de la victime.
Les mécanismes des violences, la définition même de ces violences tout ceci est insuffisamment normé, reconnu, dit le Dr Ballé. Et il faut agir de concert. Assistants sociaux, psychologues, médecins, « il faut travailler pour le même dossier, pour la même victime, sur le même sujet » explique Hatem Ballé qui plaide pour une prise en charge partagée et la mise en place d’un réseau de professionnels, une démarche « de type société civile » avec différents pôles, social, juridique, médical. Pour cela, « expliquer ces violences et former les gens à lutter contre elles ». Car le sujet reste tabou et la société à peine à croire son ampleur. Trop de gens restent inactifs, incompétents ou dans l’incapacité d’agir.
C’est le rôle que veut se donner la CRIIVISE de Corse. « Elle est pour l’instant créée en termes d’image et de bruit de fond sur le territoire », totalement bénévole et « sans aides, sans soutien institutionnel » explique Paule Maerten, mais elle travaille quand même depuis le mois d’avril 2024 et a peaufiné un protocole de prise en charge. L’urgence est à la constitution de ces pôles de prise en charge et à la mise en place de ce protocole partagé, pour entourer la victime, combattre sa peur, son sentiment de culpabilité parfois, car le prédateur sait la manipuler, ce qui est un comble sordide. Faire en sorte qu’elle s’en sorte, et obtenir réparation pour agir de façon plus structurelle.
Mais pour soigner les victimes, faire régresser ce fléau en France et en Corse en particulier, il faut combattre les blocages administratifs, juridiques et politiques. Un travail ardu mais indispensable pour remettre l’enfant au cœur des priorités politiques, combattre les freins institutionnels d’un « système qui se protège ». Les bonnes volontés existent, il faut les rassembler.
C3S et la CRIIVISE seront présents à Bastia le 27 novembre prochain (siège de la Communauté d’agglomération). •
F.G.
* https://arritti.corsica/?s=ciivise
Signez la pétition de la CRIIVISE de Corse sur Change.org :
Pour une vraie politique de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants
La CRIIVISE plaide pour la mise en place d’une réelle politique publique de protection des mineurs contre les violences sexuelles. Cette politique doit s’appuyer sur plusieurs piliers essentiels :
- Prévention : Sensibiliser les enfants, les parents et les professionnels (Intervenants auprès des enfants y compris la médecine de ville et la médecine hospitalière) aux violences sexuelles et aux moyens de les prévenir.
- Détection : Améliorer la formation des professionnels pour qu’ils puissent identifier plus facilement les victimes de violences sexuelles.
- Accompagnement : Offrir aux victimes un accompagnement psychologique, médical, juridique et social de qualité.
- Répression : Lutter contre l’impunité des auteurs de violences sexuelles en renforçant les moyens de la justice.
La société civile a un rôle crucial à jouer dans la lutte contre les violences sexuelles faites aux mineurs. Signez la pétition que diffuse la CRIIISE pour demander aux pouvoirs publics de mettre en place une politique ambitieuse et efficace pour protéger les enfants. Ensemble, nous pouvons faire de la Corse une région où aucun enfant n’est victime de violence sexuelle. •
Les violences sexuelles faites aux enfants en France en chiffres
Toutes les 3 minutes, 1 enfant est victime d’inceste, de viol ou d’une agression sexuelle.
Chaque semaine 1 enfant meurt sous les coups de ses parents.
En 2021, +16 % de violences intrafamiliales non conjugales par rapport à 2020.
En 2022, le 119 a traité les situations de 40.334 enfants en situation de danger ou en risque de danger.
24 % des Français de +18 ans estiment avoir été victimes de maltraitance grave dans leur enfance.
Chaque année, 160.000 enfants sont victimes de violences sexuelles dont 77 % au sein de la famille.
Les enfants en situation de handicap ont un risque 2,9 fois plus élevé d’être victime de violences sexuelles.
2021 : 13 % des femmes et 5,5 % des hommes disent avoir subi des violences sexuelles dans leur enfance, dont 4,6 % des femmes et 1,2 % des hommes par des violences incestueuses.
88 % des femmes autistes sont victimes de violences sexuelles.
61 % des femmes handicapées victimes de violences ont été victimes de harcèlement sexuel contre 54 % des femmes dites valides.
4 femmes handicapées sur 5 sont victimes de violences.
Dans le sport, chaque année un enfant sur
7 est victime de violences sexuelles.
En 2022, 31 % des parents déclarent que leur enfant a été au moins une fois victime de cyber-violence.
23 % des femmes pratiquant une IVG sont enceintes suite à des violences dont 6 % suite à un viol. •